Thèse soutenue

L'impossible éducation critique et politique au numérique : territoires, dispositifs, métiers et acteurs

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Auteur / Autrice : Amélie Turet
Direction : Vincent LiquèteDivina Frau-Meigs
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sciences de l'information et de la communication
Date : Soutenance le 15/12/2018
Etablissement(s) : Bordeaux 3
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Montaigne-Humanités (Pessac, Gironde ; 2007-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Médiation, Information, Communication, Art (Pessac, Gironde)
Jury : Président / Présidente : Jean-Luc Bouillon
Examinateurs / Examinatrices : Vincent Liquète, Divina Frau-Meigs, Pascal Plantard, Nathalie Pinède-Wojciechowski, Éric Guichard
Rapporteurs / Rapporteuses : Jean-Luc Bouillon, Pascal Plantard

Résumé

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Cette thèse a pour objet d’identifier les degrés d’implication de l’État en faveur de l’éducation critique et politique au numérique. Elle analyse les dispositifs publics liés à la diffusion des usages du numérique et les caractéristiques des acteurs professionnels et bénévoles chargés de leur mise en œuvre : leurs appellations, leurs lieux d’exercices, leurs qualifications et les représentations de leurs missions prioritaires. Les questions de recherche sont : En quoi l’enchevêtrement de dispositifs d’action et de formation constitue-t-il une aide ou un empêchement au travail des acteurs pour former la population à une compréhension critique et politique du développement du numérique ? Ces acteurs développent-ils des stratégies d’adoption ou de contournement de ces dispositifs pour assurer leurs actions de formation et d’éducation ? Le corpus est composé de 5 sources complémentaires : les textes réglementaires au niveau français et européen ; 699 offres d’emploi et les référentiels de compétences des formations ; une enquête par questionnaire auprès d’un échantillon de 140 médiateurs numériques ; 10 entretiens d’experts sur la médiation numérique ; 2 monographies issues de 2 périodes d’observation participante au sein de deux entités d’animation de réseaux d’Espaces Publics Numériques. La thèse montre que l’éducation critique et politique est minoritaire, supplantée par l’initiation aux « bonnes pratiques » des usages de l’Internet, fondée sur la prise en main des outils. L’enchevêtrement par le haut des dispositifs conduit à un empêchement de la formation de la population aux enjeux de la société numérique : il produit une double contrainte indépassable entre la recherche de performances comportementales pour répondre aux exigences économiques et la recherche de recul critique en faveur de l’intérêt sociétal du numérique. Seuls les cas de subversion et l’engagement militant notamment sur les logiciels libres, le développement durable, l’anti GAFAM,… résistent à cette injonction de développement normatif. La thèse fait apparaître quatre grandes phases de cette évolution, en lien avec les modes de diffusion des innovations informatiques dans la population française : de 1967 à 1984, le temps de la genèse des méthodes pour la massification des usages de l’informatique : l’éducation scientifique et technique et les clubs informatiques. de 1985 à 1999, le temps des méthodologies de l’appropriation des outils et des usages : l’éducation nationale et le Minitel. de 2000 à 2011, le temps de l’accès public à l’Internet : emplois jeunes et Espaces Publics Numériques. de 2012 à 2016, le temps de la réduction de la fracture culturelle au numérique : les emplois d’avenir numériques, les fablabs et les tiers lieux. Après les tâtonnements des débuts (phase 1), le système d’initiation aux usages du numérique engendre la disqualification des animateurs des clubs informatiques (phase 2) ; il empêche l’offre des systèmes préexistants de l’éducation nationale et de l’éducation populaire (phase 3) ; il provoque l’autocensure des animateurs territoriaux, peu encouragés à une pensée réflexive sur la société numérique (phases 3 et 4). Toutefois, il produit une éducation critique en résistance à travers certaines figures de l’animateur multimédia en emploi jeune (phase 3), et de l’animateur « hackers » ou « systémiste » (phase 4), plus militant et entrepreneur inspiré par les modèles du libre qui détournent les dispositifs en maniant avec agilité les innovations sociales et numériques. Il en résulte que l’éducation critique au numérique reste un point aveugle de la réglementation (aucun texte n’encourage à y réfléchir), sans qualifications ou flux financiers pour la soutenir. Le risque demeure que le numérique soit un nouvel instrument au service de la reproduction et de la distinction sociale.