Thèse en cours

Citoyennes- citoyens en situation coloniale : l’engagement politique en Guyane française : contrainte coloniale et idéal républicain, 1848-1946

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Triangle exclamation pleinLa soutenance a eu lieu le 05/03/2024. Le document qui a justifié du diplôme est en cours de traitement par l'établissement de soutenance.
Auteur / Autrice : Juliana Rimane
Direction : Justin Daniel
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Science politique
Date : Inscription en doctorat le 01/10/2012
Soutenance le 05/03/2024
Etablissement(s) : Antilles
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Dynamique des environnements dans l'espace Caraïbes-Amériques (Pointe-à-Pitre ; 2022-....)

Résumé

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Si la participation à la vie de la cité est corrélée au sexe, elle l’est aussi à la classe, et plus explicitement à la race, en situation coloniale. Ainsi jusqu’à l’obtention du droit de vote, les femmes dans l’espace public sont invisibilisées et marginalisées. Pour autant, si les hommes de la colonie deviennent citoyens votants, l’exercice de leur citoyenneté semble subir des restrictions qui s’apparentent selon eux à de la discrimination. Le droit de vote et l’engagement politique ne permettent pas à la population de se vivre comme partie intégrante de la France, le fossé se creusant entre leurs aspirations et leur vécu. En dénonçant jusqu’à l’extrême les manquements et les humiliations de la gestion coloniale, la population de la colonie montre qu’elle ne se satisfait pas des échelles de valeurs où la classe, la race et le genre font office de marqueurs. Si l’acte d’abolition ouvre la porte à la réalisation de la démocratie, force est de constater que l’égalité ne peut se concrétiser en raison du statut colonial qui questionne d’autant la démocratie que les besoins des populations ne sont pas pris en considération. Les restrictions et les stéréotypes limitent de fait l’exercice de la citoyenneté. L’appropriation des leviers institutionnels républicains par les nouveaux citoyens à peine sortis de l’esclavage et des anciens libres de couleur est vécue comme un bienfait même si les inégalités deviennent d’autant visibles qu’elles se dévoilent dans un système déclaré comme égalitaire. L’école républicaine peine en effet à effacer les divisions socio-raciales héritées de la société esclavagiste. L’inégal accès à l’éducation, accentué par les différences territoriales entre zones rurales et urbaines, perpétue des inégalités. Le fossé qui se creuse entre l’expérience! des citoyens et leurs aspirations installe durablement une ambiguïté entre le discours délivré par la République et la réalité du vécu colonial. La gestion de la colonie reste marquée par les stigmates de la mise en esclavage et les relations de classe. Les dynamiques raciales et sociales restent visibles dans le discours et les interactions quotidiennes où la couleur de la peau reste un marqueur significatif d’identité et de statut social. En instaurant des doutes sur la capacité des habitants à intégrer pleinement la nation française, la République ne se donnait pas les moyens de gommer les préjugés et les stéréotypes liés au passé. Entre dénonciation de la gestion coloniale et marginalisation de la parole des élus locaux, les femmes de la colonie parviennent à s’immiscer dans les interstices laissés par la démocratie pour se rendre visibles dans le corps des citoyennes, impulsant une dynamique dans les processus politiques, économiques, sociaux et culturels. L’obtention tardive du droit de vote n’éloigne pas les Guyanaises des formes variées, parfois singulières de socialisation politique. Le combat tant des femmes que des hommes permet de cerner les interactions liées à la race, au genre et à la classe sociale dans un contexte général de violence faite aux femmes. Si les hommes exercent leurs droits politiques dans un cadre légal qui ne les protège pas toutefois des représentations et des stéréotypes, les rapports sociaux de genre permettent d’apprécier le patriarcat qui marginalise de façon globale les femmes qui évoluent dans des systèmes de subordination qui se recoupent et commandent leur engagement dans l’espace public. Les rapports de classe, de race et de genre s’articulent et s’imbriquent dans les faits et dans tous les imaginaires de la vie de la colonie. Sans attendre passivement l’octroi du droit de vote, les femmes ont lutté en amont pour les droits politiques des hommes dans l’espace valorisé qu’est la campagne électorale et l’élection. Quels que soient leur milieu et leur éducation, elles avaient intériorisé ! les codes et les valeurs inhérents à la société nationale et à la République qui les pousse à agir dans la société pour la faire évoluer et la transformer. Bien que marginalisées, elles sont « actives » et « réactives », s’imposant dans un espace dévolu aux hommes dès les premières élections en 1849 dans une démarche qui reste toutefois structurée par la légalité du temps électoral, même si leurs acquis éducatifs, notamment des femmes de la ruralité sont rudimentaires. Illettrées, elles marquent de leurs empreintes la vie politique sociale et culturelle de la société guyanaise, non pas pour défendre un quelconque droit des femmes, mais le maintien et le respect des droits communs, se posant en sujets politiques, la citoyenneté sociale précédant parfois la citoyenneté politique, marquant la montée en puissance de la citoyenneté féminine des femmes de la colonie. La citoyenneté et les pratiques qui en découlent se jaugent en conséquence à l’aune de l’incohérence entre l’affirmation des principes républicains et les pratiques qualifiées d’autoritaires, voire d’antirépublicai! nes de la gestion coloniale française. Représentant le pouvoir central, les gouverneurs sont souvent perçus comme des obstacles à l’idéal républicain, exerçant un pouvoir discrétionnaire arbitraire alors que les institutions locales comme le Conseil général et les municipalités expérimentent de façon récurrente l’impossibilité d’user pleinement de leurs droits fondamentaux. Malgré les dissonances locales, les Guyanaises et les Guyanais développent une identité culturelle propre marquée par des stratégies de résistance sociale et culturelle contre l’inefficacité et l’inaction de l’État ; renforçant la solidarité et les futurs engagements politiques, notamment de la bourgeoisie féminine cayennaise ; créant des opportunités pour la cohésion sociale et l’émergence d’une culture régionale partagée. En dépit d’une société et d’un environnement fracturés, les Guyanaises ont créé des espaces de liberté leur permettant de s’éloigner des rôles domestiques traditionnels pour se penser comme des actrices qui imposent leur présence et leur volonté à leurs partenaires masculins ; instaurant une complicité teintée de complexité dans les rapports de genre qui sont autant de stratégies de survie dans le contexte colonial patriarcal. La vie politique donne à voir l’exacerbation des tensions entre les représentants de l’État et les élus de la colonie qui aspirent à une plus large autonomie de gestion dans un contexte où les tensions entre les élites cayennaises et la population rurale permettent aux premiers de justifier une rupture d’égalité au sein du territoire, actant explicitement l’idée selon laquelle les institutions républicaines, dont le droit de vote, ont été appliquées trop prématurément dans les contrées rurales. Si cette situation reflète des divisions sociales, raciales et de genre, elle reflète aussi les conflits liés au jeu politique où s’entrecroisent et s’entremêlent enjeux locaux et intérêts politiques nationaux. Les pratiques politiques révèlent les interactions entre les rapports sociaux de genre, de race et de classe. Les pratiques électorales mettent en évidence la complexité des rapports sociaux. Reléguées et marginalisées puisque ne disposant pas du droit de vote, les femmes impulsent une dynamique dans la vie politique locale qui aboutit in fine à la condamnation judiciaire officielle de la politique coloniale menée par la France dans la colonie. Entre fidélité à la France et volonté de restaurer l’État de droit, la parenthèse de Vichy permet à la bourgeoisie cayennaise d’asseoir un peu plus sa domination sur les populations moins lettrées, une domination qui devient explicite dès lors que l’Ordonnance du 21 avril 1944 accorde aux femmes le droit de vote et d’éligibilité. L’implication des femmes dans la vie politique reste en conséquence une question de classe sociale, même si leur participation à la politique reste limitée.