Thèse en cours

Pollution de l'air extérieur, investissements défensifs et inégalités

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Auteur / Autrice : Némo Gosteau
Direction : Julie Lochard
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Sciences économiques
Date : Inscription en doctorat le 01/12/2024
Etablissement(s) : Paris 12
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Organisations, marchés, institutions
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : ERUDITE - Equipe de Recherche sur l'Utilisation des Données Individuelles en lien avec la Théorie Economique

Mots clés

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Résumé

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Bien qu'elle soit principalement associée à des maladies respiratoires (notamment l'asthme, les bronchopneumopathies chroniques obstructives et le cancer du poumon) et cardiovasculaires (particulièrement les accidents vasculaires cérébraux), la pollution de l'air ambiant est aussi identifiée comme facteur de risque pour un nombre croissant de problèmes de santé comme le diabète, les troubles mentaux ou les naissances en faible poids (Dominski et al., 2021). Ainsi, dans un premier chapitre, je me propose d'étudier l'impact de la pollution de l'air ambiant sur les dépenses de santé remboursées par l'Assurance maladie sans présupposer les pathologies sous-jacentes à ce coût. Cette approche globale est rendue possible par un appariement des données journalières de pollution de l'Ineris et du Système National des Données de Santé (SNDS). En effet, le SNDS permet de travailler sur l'ensemble du parcours de soins des individus (en ville et à hôpital). Il donne des informations sur l'ensemble des dépenses de santé soumises au remboursement depuis 2014 (principalement leurs montants, la part remboursée par l'Assurance maladie, le pseudonyme du bénéficiaire et la date de soins) ainsi que sur les bénéficiaires (notamment leur pseudonyme, leur âge, leur sexe et leur commune de résidence) et leur lieu de résidence (indice de défaveur socioéconomique de la commune) (Tuppin et al., 2017). Pour la période 2014-2024, des remboursements journaliers par assuré pourront être reconstituées en agrégeant les dépenses sur la date de soin et le pseudonyme bénéficiaire. Ces données pourront ensuite être appariées aux données de pollution de l'Ineris en s'appuyant sur la date de soins et la commune de résidence de l'assuré. Cette base en panel me permettra d'estimer l'effet des variations journalières de la pollution de l'air ambiant sur les remboursements de l'Assurance Maladie perçu par un bénéficiaire en contrôlant de son âge, de son sexe, de la défaveur socioéconomique de sa commune résidence et, par l'introduction d'effets fixes, de la saisonnalité et de ses caractéristiques individuelles inobservées et fixes dans le temps. Par ailleurs, la pollution de l'air ambiant semble être à l'origine d'un gradient social de santé (Deguen, 2013). On parle de gradient social de santé lorsqu'en parcourant les catégories sociales depuis les plus favorisées vers les plus défavorisées, on observe une dégradation de l'état de santé des individus. Les principaux canaux par lesquels la pollution de l'air ambiant peut impacter distinctement la santé des individus selon leur catégorie sociale sont des différentiels d'exposition et des différentiels de vulnérabilité (Deguen, 2013). On parle de différentiel d'exposition si les individus sont relativement plus exposés à la pollution de l'air extérieur du fait de leur catégorie sociale et de différentiel de vulnérabilité si les effets délétères, à niveau d'exposition donné, sont accentués chez ces individus. Par exemple, à Strasbourg, la concentration de l'air ambiant en NO2 est plus forte dans les IRIS les plus défavorisés (différentiel d'exposition) et, à niveau de concentration en NO2 donné, on observe un risque plus élevé d'infarctus du myocarde dans les IRIS où les revenus sont en moyenne les plus modestes (différentiel de vulnérabilité) (Deguen et al., 2010). Dans cet exemple, le différentiel d'exposition est approché par l'inégale répartition de la pollution de l'air extérieur entre lieux de résidence. Toutefois, un différentiel d'exposition pourrait émerger de comportements d'évitement différenciés entre groupes sociaux. En effet, la mise en place de comportements préventifs face à la pollution de l'air extérieur semble dépendre des caractéristiques des individus. Par exemple, Graff Zivin et Neidell (2009) observent une baisse de la fréquentation du Zoo de Los Angeles les jours d'alerte au smog. Ils remarquent que cette diminution est exacerbée chez les Angelins (habitants de Los Angeles), chez les enfants et chez les personnes âgées. Ils expliquent ces résultats par des coûts et des bénéfices différents entre les groupes. Pour les Angelins, le coût d'opportunité de ne pas aller au Zoo un jour de smog (qui représente ici le coût de la prévention) est plus faible que pour les non-résidents, car ils pourront y retourner un autre jour. Pour les enfants et les personnes âgées, le bénéfice de la prévention est plus élevé que pour le reste de la population, car ils sont à priori plus sensibles aux effets délétères de la pollution de l'air extérieur. Dans un article de 2013, Graff Zivin et Neidell adaptent le modèle de Grossman (1972) aux choix de comportements d'évitement. Les deux hypothèses centrales de ce type de modèle sont a) que l'individu dispose d'une information parfaite et b) que sa santé peut être envisagée comme un capital dont le stock se déprécie avec le temps (vieillissement) peut être endommagé par des chocs (maladies) mais peut aussi être préservé, accru ou reconstitué par le biais d'investissements. Dans notre cas, les chocs sont les maladies engendrées par la pollution de l'air ambiant (représentés par une fonction de dommage qui prend en entrée l'exposition d'un individu et donne, en sortie, l'altération de son capital santé) et les investissements sont les comportements d'évitement de la pollution de l'air extérieur. Dans ce modèle, la qualité de l'air ambiant est fixée et le seul moyen de réduire son niveau d'exposition est de mettre en place des comportements préventifs. Sous ces hypothèses, ils montrent qu'un individu représentatif met en place un comportement d'évitement si les bénéfices sanitaires attendus lui procurent un bienêtre supérieur au coût d'opportunité de celui-ci (dans l'exemple précédant le coût d'opportunité de ne pas aller au zoo pour éviter d'être exposé à la pollution de l'air extérieur est de renoncer au bien-être associé à la visite du zoo) (Zivin & Neidell, 2013). Dans mon deuxième chapitre, je souhaite, dans un premier temps, développer un cadre théorique qui modélise le différentiel de vulnérabilité précédemment discuté en faisant dépendre la fonction de dommage de variables socioéconomiques (comme le revenu, ou le niveau d'éducation) et mettre en lumière les mécanismes qui pourraient mener, par le biais de comportements d'évitement différenciés, à un différentiel d'exposition et, par extension, à un gradient social de santé. Dans un second temps, je souhaite tester empiriquement la crédibilité de ce modèle. Une approche possible consisterait à étudier l'effet de la concentration journalière en polluants de l'air extérieur dans une commune sur le nombre de déplacements à vélo en son sein et, de regarder si on observe un effet hétérogène selon le niveau de défaveur socioéconomique de la ville. Notons qu'étudier ce mode de déplacement est d'autant plus intéressant que l'activité physique est reconnue comme un facteur aggravant (à court terme) l'effet délétère de l'exposition à la pollution atmosphérique (Jiang et al., 2023). Si aucun effet n'est observé les résultats seront tout de même intéressants au sens où ils appuieraient l'hypothèse d'un manque d'information de la population sur les effets sanitaires de la pollution de l'air extérieur (Ramírez et al., 2019). Ce test empirique est rendu possible par le libre accès aux données de la Plateforme nationale des fréquentations, gérée par Vélo et Territoire et encadrée par le ministère de la Transition écologique et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). Cette plateforme permet d'obtenir les « fréquentations cyclables » journalières dans plus de 175 communes françaises depuis septembre 2013. Ces données pourront être appariées aux données de pollution journalières de l'Ineris et aux données socioéconomiques de l'Insee. Enfin, de ce gradient social de santé, pourrait découler des différences de reste à charge entre catégories sociales. Ces différences constitueraient des inégalités environnementales au sens où les populations les plus modestes supporteraient une part disproportionnée du coût social de la pollution de l'air extérieur. Certaines études estiment l'effet de la pollution de l'air ambiant sur le reste à charge des individus. Par exemple, Xia et al. (2022) estiment qu'une augmentation de 10 microgrammes par mètre cube d'air de PM2.5 augmente de 0.4 % le reste à charge des individus. Mais, à ma connaissance, aucun papier n'étudie cet effet au regard du revenu des individus. Dans un troisième chapitre, j'aimerais donc étudier la présence d'inégalités environnementales en estimant, pour chaque décile de revenu, l'impact de la pollution atmosphérique sur le taux d'effort (défini par la Direction de la recherche des études, de l'évaluation et des statistiques (Dress) comme la part du reste à charge après remboursement de l'Assurance maladie dans le revenu disponible7). Pour ce faire, un accès à l'EDP-Santé, qui constitue un enrichissement de l'échantillon démographique permanent par les données du SNDS pourra être demandé. Cette base de données est gérée par la Dress. Elle permet, pour l'ensemble des assurés sociaux nés du 2 au 5 janvier, du 1er au 4 avril, du 1er au 4 juillet et du 1er au 4 octobre, d'avoir accès à la fois aux données présentes dans le SNDS et aux informations détaillées sur les revenus des bénéficiaires pour la période 2014-20228. Après agrégation des dépenses sur la date de soin et le pseudonyme bénéficiaire les taux d'effort journaliers entre 2014 et 2022 pourront être calculés pour chacun des assurés sociaux présents dans l'EDP-Santé. Ces données pourront ensuite être appariées aux données de pollution de l'Ineris en s'appuyant sur la date de soins et la commune de résidence de l'assuré. Je pourrais alors estimer l'effet des variations journalières de la pollution de l'air ambiant sur le taux d'effort d'un bénéficiaire selon son décile de revenu en contrôlant de son âge, de son sexe, de la défaveur socioéconomique de sa commune résidence et, par l'introduction d'effets fixes, de la saisonnalité et de ses caractéristiques individuelles inobservées et fixes dans le temps. Notons qu'on autorisera l'hétérogénéité de cet effet par des variables d'interactions entre la pollution de l'air extérieur et les indicatrices d'appartenance aux différents déciles de revenus.