L'articulation de la pensée révolutionnaire, de ses caractéristiques pratiques et idéelles, dans la lutte palestinienne politique et armée
Auteur / Autrice : | Romain Lucas |
Direction : | Haoues Seniguer |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Science politique |
Date : | Inscription en doctorat le 03/09/2024 |
Etablissement(s) : | Lyon 2 en cotutelle avec Université Laval |
Ecole(s) doctorale(s) : | ScSo - Sciences Sociales |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : TRIANGLE - Action, discours, pensée politique et économique |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
Les organisations de lutte armée en Palestine, islamistes, nationalistes et révolutionnaires peuvent être qualifiées de maximalistes. Le « maximalisme » peut s'appréhender, dans le cas du conflit israélo-palestinien, comme la volonté palestinienne de détruire l'Etat d'Israël. Cette pensée, que l'on qualifiera de subversive dans la mesure où elle est de nature à renverser l'ordre politique, s'oppose au « minimalisme », solution dans laquelle les acteurs au conflit s'accordent pour une reconnaissance et une existence mutuelles. Mon projet propose d'examiner l'articulation de la pensée maximaliste, autrement dit révolutionnaire par la remise en cause du statu quo (F. Halliday, 1974), de ses caractéristiques pratiques et idéelles dans la lutte palestinienne politique et armée. Plusieurs travaux s'intéressent aux groupes et à leurs idéologies, en Palestine ou en Israël (Gleis, Joshua L. et Bert, 2012 ou Haklai, 2007, voir également Bertrand Badie). Toutefois, l'extrémisme se présente généralement comme la doctrine ou l'attitude qui permet de comprendre la situation (Sprinzak, 1998 ou Trapp, 2018). L'extrémisme, celui de Eric Hoffer notamment (The True Beliver, 1951), s'oppose à la modération, aux normes que la société impose et aux limites légales et sociales. Parler d'extrémisme est pertinent mais semble limité. Alors, nous proposons la caractérisation du maximalisme. La caractérisation du maximalisme, appliqué au cas Israël/Palestine, est un exercice complexe. La notion de maximalisme naît vraisemblablement dans le contexte russe du début du 20e. siècle (Hildermeier, 2000) et s'inscrit dans une longue tradition socialiste, partagée entre la réforme et la révolution. Elle demeure malgré cela très peu utilisée dans les sciences sociales, parce qu'elle n'a pas été suffisamment définie ou parce qu'elle ne répond qu'à des contextes idéologiques et pratiques très précis, souvent ancrée dans l'évolution des mouvements socialistes de la première partie du 20ème siècle. Ainsi, nous proposons d'appliquer la réflexion maximaliste à la situation Israël/Palestine. Dans les territoires palestiniens, la dichotomie maximalistes/minimalistes s'illustre avant les Accords d'Oslo mais surtout après. Comme les militants socialistes qui choisissent la voie de la réforme, plusieurs organisations palestiniennes, guidées par l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP), choisissent le dialogue. Elles reconnaissent l'Etat d'Israël et acceptent d'abandonner la violence. Leur combat ne se concentre plus sur l'élimination de l'Etat rival mais sur le développement de l'Etat palestinien. Elles empruntent donc la voie minimaliste dans la lutte. A l'inverse, d'autres mouvements refusent ces accords de paix. Ils refusent d'abandonner la lutte contre l'Etat hébreu et se radicalisent face au minimalisme des autres. Hamas, Jihad islamique palestinien et autres organisations locales partagent donc un projet maximaliste, malgré des discordes idéologiques. Ces démarches sont souvent réduites à l'extrémisme (Trapp, 2018). Mais elles se caractérisent généralement en une notion qui guide l'idéologie et le militantisme politique, à savoir la révolution. Le militantisme politique et les idéologies qui le gouvernent représentent des thèmes majeurs en science politique (A. Oberschall, 1993, D. Mac Adam, 1988 et D. Gaxie, 1977). La révolution a largement été pensée et développée (Éthier, 2010). En Relations Internationales, Fred Halliday compte parmi ceux qui pèsent sur le débat et la réflexion autour de cette question (1974). Par sa lecture des facteurs internationaux et domestiques, qu'il refuse de dissocier, le politiste irlandais propose une approche particulièrement intéressante pour envisager la révolution. Ses travaux sont ainsi particulièrement intéressant dans une démarche qui mêle le domestique et l'international. En 1965, Ernest F. Penrose écrivait déjà sur la révolution dans les relations internationales mais les concepts, datés, peineraient à s'appliquer aujourd'hui. Après F. Halliday, de nombreux travaux se distinguent, ceux de James Gow ou Georges Lawson par exemple (2000, 2015). Raymond Aron écrira lui aussi, lors de l'été 1968, sur les évènements français et la Révolution introuvable selon le titre de son ouvrage. Hannah Arendt et l'Essai sur la révolution (ER, 1963) doivent également être mentionnés. La révolution est perçue par H. Arendt comme une étape intermédiaire complexe, entre le passé et le futur, durant laquelle la violence est mobilisée (On violence, 1970). Cette notion de violence, étroitement liée à celle de la révolution, occupe une place particulière dans sa pensée philosophique et politique. L'idéologie et la gestion de celle-ci par les organisations palestiniennes mentionnées représentent un autre pan essentiel de la recherche. L'idéologie (dans Dits et écrits, 1976-1978, Foucault interroge la pertinence du concept ; voir aussi Ricoeur et la distinction entre idéologie et utopie), entendue comme un ensemble de croyances et de doctrines, dont la neutralité n'est plus établie depuis les travaux de Karl Marx (Supek, 1968), anime les organisations. Teun A. van Dijk (1998) explique qu'une présomption négative gouverne la notion d'idéologie (en référence à Marx-Engels et la « conscience fausse »). Il faut revenir à l'origine de la définition, soit l'étude des idées (Destutt de Tracy) et finalement se référer à des travaux qui ont permis de neutraliser la notion (Freeden, 1996). Il faut aussi sortir du cadre dominant / dominé (Gramsci, 1971) et de violence symbolique (Bourdieu et Eagleton, 1994) pour penser l'idéologie en dehors de ce prisme (Abercrombie, Hill et Turner, 1980). Teun A. van Dijk propose une définition tirée de ses propres travaux (Van Dijk, 1998) en plusieurs points. Là aussi, plusieurs travaux doivent être mentionnés. Sarah E. Parkinson, avec une approche de politique comparée, s'intéresse à l'idéologie des organisations avec un travail approfondi dans les camps de réfugiés palestiniens en Syrie et au Liban mais aussi auprès des kurdes irakiens. En étudiant la manière dont « l'idéologie façonne le recrutement », elle met en exergue l'importance de celle-ci dans le discours. Les organisations ont besoin d'une idéologie forte pour attirer, créer des liens et maintenir l'engagement militant. Dans le même registre, Jillian Schwedler (2006) étudie la modération des partis islamistes, en Jordanie et au Yémen, qui leur permet de passer de partis de niche à des partis de masse. Cette étude du militantisme politique et de l'idéologie des partis radicaux au Moyen-Orient met en exergue une absence de réflexion sur les organisations qui, a contrario, décident de poursuivre et de maintenir leurs positions révolutionnaires. La violence appliquée à l'exemple des organisations armées en Palestine connaît plusieurs travaux importants, dont ceux de Robert A. Pape. En 2003, il publie un article sur les attentats suicides, expliquant le retour de la violence dans les territoires palestiniens par l'échec des processus de paix. Son approche autour des questions d'occupation, de résistance, d'identité nationale est pertinente mais reste cantonnée à la logique du terrorisme suicide. Elle décrit évidemment une méthode maximaliste, guidée par une idéologie qui peut être définie de la même façon, mais elle pourrait aller plus loin et proposer une caractérisation de cette méthode/idéologie. Ainsi, bien qu'elle mette en évidence une réflexion interdisciplinaire, la littérature est, d'une certaine manière, sujette à discussion, du moins en ce qui concerne le rapport à notre objet. En effet, elle ne prend pas en considération les nouveaux enjeux liés à la notion de maximalisme dans les études de sécurité, dans les études aréales, ni les évolutions récentes du contexte régional et international (conflit dans la bande de Gaza, extension de celui-ci, résurgence du panarabisme, du nationalisme, de l'islamisme, de l'antisionisme et de l'antisémitisme, la redistribution des capacités de puissance au Proche et Moyen-Orient, etc.). De plus, en sciences humaines et sociales, les efforts pour surpasser les logiques sectorielles peinent à se développer. Ma recherche tente de combler ce manquement empirique dans la littérature, en particulier celle consacrée à la Palestine.