Plusieurs signifiés pour plusieurs voix: la polysémie dans la production poétique d'Apollinaire
Auteur / Autrice : | Camilla Boselli |
Direction : | Veronique Magri-mourgues, Gérald Purnelle |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Langue, litterature et civilisation francaises |
Date : | Inscription en doctorat le 01/10/2024 |
Etablissement(s) : | Université Côte d'Azur |
Ecole(s) doctorale(s) : | SHAL - Sociétés, Humanités, Arts et Lettres |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : BASES, CORPUS, LANGAGE |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
Ce projet de recherche vise à étudier la polysémie chez Apollinaire, considérée fondamentale afin de saisir la spécificité d'un auteur qui, tout en embrassant avec enthousiasme surtout initial les nouvelles tendances avant-gardistes, n'oublie pas le passé symboliste : au contraire, il continue à s'en nourrir. Si le langage est le moyen à travers lequel les hommes modèlent le monde qui les entoure, voilà que le monde avant-gardiste d'Apollinaire apparaît multiforme et le signe mono-sémique révèle des limites intrinsèques qui le rendent incapable de restituer l'expérience complexe de la modernité. Lié aux écrivains futuristes et aux artistes cubistes, dont les expériences plastiques sont à la recherche du simultanéisme, Apollinaire forge une poésie nouvelle, capable de traduire le concept d'ubiquité sur le modèle des représentations iconographiques de Braque et Picasso, en exploitant toutes les possibilités d'une parole poétique qui s'exprime à travers le vers libre et révèle le goût de la décomposition et recomposition cubiste. En même temps, certaines formes stylistiques typiques du Symbolisme, qui conçoit la poésie comme siège de synthèse unificatrice de l'hétérogène, à travers laquelle il est possible d'avoir une vision fugace de l'Absolu, perdurent. L'emploi de techniques de juxtaposition, vouées à l'union de réalités différentes et normalement disjointes, est un héritage explicitement symboliste, ainsi que, nous supposons, l'emploi répandu de la polysémie, qui restitue, de manière immédiate et « fulgurante », la vision de la secrète connexion des aspects les plus disparates de l'expérience. La synthèse se réaliserait au moyen d'un seul signe linguistique, opérant une fusion encore plus immédiate par rapport à celle issue de l'association thématique et de l'analogie. Comme l'écrit Mallarmé, « les mots ont plusieurs sens, sinon on s'entendrait toujours. - nous en profiterons »: Apollinaire hérite la volonté d'exploiter l'ambiguïté du langage en tant que moyen d'expression artistique aux possibilités infinies, capable de sonder l'ineffable et restituer harmonieusement l'unification de l'hétérogène. De l'autre côté, nous formulons l'hypothèse selon laquelle la polysémie serait l'instrument privilégié d'expression du simultané : elle ouvrirait la voie à une poésie nouvelle et simultanée, capable de traduire le concept d'ubiquité, sur le modèle des représentations des peintres cubistes, qui toutefois ne fait pas table rase du passé, mais au contraire le fusionne avec le présent. Un tableau bien plus complexe se crée ainsi, synthèse de modernité et tradition, symbolisme est simultanéisme, ce qui implique la nécessité pour le poète de « recourir à toutes les richesses de la langue, dont il ouvre au plus large l'éventail ». Du recueil Alcools, nous citons à titre d'exemple, le lexème sirène dans le poème liminaire Zone : la polysémie du terme permet l'évocation de la créature mythologique au buste de femme et au corps d'oiseau ou à la queue de poisson, et en même temps à la sirène de l'usine qui rythme la fin ou la reprise des travaux. À travers l'acte verbal, passé et présent s'entrelacent et donnent naissance à une temporalité nouvelle et simultanée : le son aigu de la sirène moderne fascine et séduit, de même que le chant de la créature marine d'Homère. Dans Alcools, les moments de l'expérience sont toutefois encore rapprochés et fusionnés à la manière symboliste : c'est le cas de Chantre, dont le titre renvoie à un chanteur d'église et au même temps à un poète épique. Le seul vers qui compose le poème est lui aussi polysémique : « trompettes marines » fait référence à l'instrument de musique à une seule corde, typique de la tradition médiévale, ainsi qu'au coquillage à la forme identique à ce dernier. Nous retraçons ici la volonté symboliste de recréation de la secrète connexion d'éléments qui dans la réalité expérientielle sont disjoints et qui ne peut voir lieu qu'à travers la parole poétique.