Parcours et mouvances de l'eau fluviale en Grèce ancienne, entre hommes, terres et dieux

Journeys and Shifting Currents of River Water in Ancient Greece, Between Humans, Lands and Gods

• Auteur / Autrice : Marylène Lebrère
• Direction : François Quantin, Corinne Bonnet
• Type : Projet de thèse
• Discipline(s) : Histoire des religions et anthropologie religieuse
• Date : Inscription en doctorat le 01/09/2024
• Etablissement(s) : Université Paris sciences et lettres
• Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de l'École pratique des hautes études
• Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Anthropologie et Histoire des mondes antiques
• Partenaire(s) de recherche : établissement opérateur d'inscription : EPHE PARIS

Mots clés

Mots clés libres

Imaginaire fluvial

Réalités hydrographiques (paysages karstiques; phénomène de résurgence de l'eau fluviale)

Dieux-fleuves

Pratiques rituelles et votives ; dispositifs cultuels

Mémoire et identité collectives

Lien intime avec le divin

River imagination

Hydrographical realities (karstic landscapes; resurgence of river water)

River-gods

Ritual and votive practices; worship devices

Collective memory and identity

Intimate link with the divine

Résumé

Πῶς ἐτόλμησας, λιπών ἐπώνυμόν τε ῥεῦμα καὶ πετρηρεφῆ αὐτόκτιτ´ἄντρα (…) ; « Comment as-tu osé quitter le courant du fleuve qui te doit son nom et tes grottes aux voûtes de roche que tu as creusées (…)? » (Prométhée enchaîné, 299-301) Pour cette question de Prométhée adressée à Okéanos, Eschyle puise dans l'imaginaire mythico-religieux grec lié aux fleuves et fondé sur une réalité physique inhérente à la Grèce : la présence active de l'eau fluviale à travers le paysage karstique, en surface, mais aussi en profondeur, sous la terre. La disparition des eaux d'un fleuve frappait l'imaginaire des Grecs – qui ont laissé des témoignages écrits –, de même que leur résurgence, leur jaillissement, cruciaux pour la vie quotidienne des Anciens. Ainsi, l'eau fluviale semble-t-elle suivre un dessein mystérieux : elle apparaît, disparaît et réapparaît sous le regard émerveillé des Grecs pour qui l'eau exsurgente a résolument quelque chose d'extraordinaire. Dès lors, du réseau hydrographique veinant le territoire grec, les Anciens ont développé une hydromythologie particulière qui, à son tour, a induit une perception symbolique et religieuse du fleuve et, plus généralement, du paysage fluvial. Notre enquête se doit donc d'être sensible à l'environnement réel dans lequel s'inscrivent les fleuves grecs en tant qu'éléments physiques et topographiques (et géographiques) afin de comprendre le sens que la composante fluviale (source, courant, eau – tourbillonnante –, berges, embouchure) a pris pour les Hellènes, les valeurs religieuses qu'elle a sous-tendues. Nous nous attacherons dès lors à étudier le cycle hydrique d'Okéanos, le Fleuve originel, autour duquel s'est élaboré le cœur d'une hydromythologie fluviale laissant entrevoir la transcription mythique d'une physicalité en rapport avec le phénomène karstique. Une fois ce cadre défini, nous examinerons plus spécifiquement les valeurs liées à l'eau fluviale, de même que la fonction courotrophe des dieux-fleuves. Le rapport de dépendance vital entre les hommes et les fleuves (au bénéfice des premiers) s'est mué en un puissant lien identitaire et mémoriel entre les riverains et les fleuves de leur région et cité. Les fleuves pouvaient être des fondateurs de lignées humaines, celles de dirigeants, ou être eux-mêmes les premiers rois à régner sur un territoire grec. De ce fait, ils sont intimement liés aux mythes de fondation de certaines cités helléniques. Si les exemples de généalogies fluvio-humaines sont nombreux, il sera opportun de les recontextualiser (ou « reterritorialiser ») en replaçant certains mythes de fondation dans leur substrat identitaire, dans la terre de leur cité que traversent les fleuves; ce qui implique de considérer les paramètres géographiques, topographiques et surtout hydrologiques, afin d'analyser avec pertinence la dimension symbolique liée aux fleuves — éléments physiques, bien réels, de l'environnement des cités — par les Anciens. Par conséquent, il sera important d'étudier comment ces liens s'expriment à travers les récits étiologiques et généalogiques, les pratiques rituelles, et le culte qui leur est rendu. Dans cette perspective, il conviendra de nous poser la question de l'état des lieux des sanctuaires consacrés aux dieux-fleuves dans les cités grecques : leurs implantations (urbaines ou périurbaines ? À proximité du cours du fleuve, de sa source, de son embouchure ?), le bâti et les dispositifs hydrauliques à valeur cultuelle dans les sanctuaires, ainsi que le matériel votif. Enfin, il s'agira d'analyser les représentations, et les pratiques religieuses liées aux résurgences fluviales, réalités hydrogéologiques. Pour ce faire, nous suivrons les cours de l'Alphée, de l'Arcadie à la Sicile (en passant par l'Élide), et du Nil, d'Alexandrie à Délos, entre paysage réel et symbolique. Car les fleuves semblent charrier avec eux mythes et valeurs identitaires grecques aux quatre coins de la Méditerranée.

Πῶς ἐτόλμησας, λιπών ἐπώνυμόν τε ῥεῦμα καὶ πετρηρεφῆ αὐτόκτιτ´ἄντρα ( ); ‘How did you dare to leave the current of the river that gives you your name and your rock-vaulted caves that you dug (...)?' (Prometheus Bound, 299-301) With this question from Prometheus to Okeanos, Aeschylus draws on the Greek mythico-religious imagination linked to rivers and based on a physical reality inherent to Greece: the active presence of river water across the karstic landscape, on the surface but also deep underground. The disappearance of the waters of a river struck the imagination of the Greeks – who left written testimonies – as did their resurgence, their gushing out crucial to the daily life of the Ancients. In this way, river water seemed to follow a mysterious design: it appeared, disappeared and reappeared before the astonished gaze of the Greeks, for whom exsurgent water was resolutely extraordinary. From this point onwards, the ancient Greeks developed a particular hydromythology of the hydrographic network that veins the Greek territory, which in turn led to a symbolic and religious perception of the river and, more generally, of the river landscape. Our investigation must therefore be sensitive to the real environment in which Greek rivers are embedded as physical and topographical (and geographical) elements, in order to understand the meaning that the fluvial component (source, current, water – swirling –, banks, mouth) took on for the Hellenes, and the religious values that it underpinned. We will therefore study the hydric cycle of Okeanos, the original River, around which the core of a fluvial hydromythology developed, suggesting the mythical transcription of a physicality linked to the karstic phenomenon. Once this framework has been defined, we will look more specifically at the values associated with river water, as well as the courotrophic function of the river-gods. The relationship of vital dependence between people and rivers (to the benefit of the former) has evolved into a powerful link of identity and memory between local people and the rivers of their region and city. Rivers could be the founders of human lineages, those of rulers, or themselves be the first kings to reign over a Greek territory. As a result, they are closely linked to the founding myths of certain Hellenic cities. While there are many examples of river-human genealogies, it will be useful to recontextualise (or ‘reterritorialise') them by placing certain foundation myths in their identity substratum, in the land of their city through which the rivers flow; this implies considering the geographical, topographical and above all hydrological parameters, in order to analyse with relevance the symbolic dimension linked to rivers – physical, very real elements of the environment of cities – by the Ancients. Consequently, it will therefore be important to study how these links are expressed through etiological and genealogical accounts, ritual practices and the worship they received. We need to look at the location of sanctuaries dedicated to the river gods in Greek cities: where were they located (urban or peri-urban? Near the river's course, its source, its mouth?), the buildings and hydraulic devices of cult value in the sanctuaries, as well as the votive material. Finally, we will be analysing the representations and religious practices associated with river resurgences, which are hydrogeological reality. To do this, we will follow the courses of the Alpheus, from Arcadia to Sicily (via Elida), and the Nile, from Alexandria to Delos, between real and symbolic landscapes. For the rivers seem to carry with them Greek myths and values of identity to the four corners of the Mediterranean.