« Sous les galets, la plage ! » L'analyse pétro-archéologique des galets de silex de la paléo-Manche comme révélateur des systèmes socio-économiques des (paléo)littoraux au Tardiglaciaire
Auteur / Autrice : | Louis Marguet |
Direction : | Nicolas Naudinot |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Préhistoire |
Date : | Inscription en doctorat le 01/04/2024 |
Etablissement(s) : | Paris, Muséum national d'histoire naturelle |
Ecole(s) doctorale(s) : | Sciences de la nature et de l'Homme : évolution et écologie |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Histoire Naturelle de l'Homme Préhistorique |
Equipe de recherche : NOMADE (Néandertaliens et Hommes anatomiquement modernes : comportements émergents, dynamique culturelle, mobilité territoriale) |
Mots clés
Résumé
Ce projet de thèse vise à discuter de l'évolution des pratiques d'exploitation des espaces littoraux par les communautés paléolithiques sur le temps long entre la fin de la dernière période glaciaire et le début de l'Holocène (soit entre - 20 000 et - 9000 avant JC) période caractérisée par des mutations rapides et structurelles des systèmes préhistoriques, mais également par une très forte instabilité climatique aux répercussions majeures sur les environnements (e.g. Naudinot et al., 2019). Une des conséquences les plus visibles de ce réchauffement tardiglaciaire est la remontée rapide du niveau marin qui va progressivement engloutir les plaines de la Manche et des dizaines de kilomètres d'espaces littoraux le long de la façade atlantique. Du fait de cette transgression marine, les espaces littoraux occupés par les collectifs de chasseurs-collecteurs sont aujourd'hui submergés par l'océan. Les sites rapportés à cette période reposent ainsi sous plusieurs dizaines de mètre d'eau (130 m pour le début de la période concernée). Il est donc difficile d'investir ces sites et même de les identifier. Ces installations littorales paléolithiques sont ainsi les grandes absentes de nos réflexions et modélisations sur les organisations économiques et sociales de ces communautés et leur évolution au cours de cette longue période. Les données acquises par l'archéologie ces dernières années pour des périodes plus récentes (et dont les sites sont encore accessibles sur les estrans) (e.g. Dupont et Marchand (dir.), 2016) montrent pourtant, tout comme les études ethnographiques chez les populations de chasseurs-collecteurs maritimes subactuelles (Yesner, 1980 ; Kelly, 2014), que ces espaces, du fait notamment des ressources spécifiques qu'ils peuvent offrir (riches, diversifiées et peu sujettes aux variations saisonnières), ont souvent été occupés selon des modalités différentes de ce que l'on connaît plus en arrière dans les terres. Ces milieux montrent ainsi souvent des organisations économiques singulières (occupation plus stable des communautés dans le paysage, développement d'activités de stockage). Ces spécificités peuvent également avoir eu des répercussions notables sur la structuration sociale des collectifs avec, dans certains cas, le développement de conflits ou encore de l'esclavage. On comprend dès lors tout l'enjeu d'intégrer ces espaces inconnus dans les modèles actuels strictement construits à partir de données continentales. Or les traces d'une exploitation de ces milieux littoraux restent très discrètes dans les données archéologiques. Si des coquillages (utilisés comme ornements) ou des ossements de cétacés (mobilisés dans la confection de l'armement), sont parfois connus, ces exemples restent assez exceptionnels et toujours liés à l'artisanat (e.g. Pétillon, 2013). La diffusion de ressources alimentaires très en arrière des terres reste en revanche anecdotique. Les travaux, menés sur les équipements en pierre des communautés du Mésolithique dans la péninsule armoricaine, ont toutefois montré que la très grande majorité des outils lithiques était fabriquée dans du silex collecté le long des estrans (e.g. Marchand, 2012). Ces espaces maritimes étaient alors situés non loin de l'actuel trait de côte. Plus récemment, le même constat a été fait pour le Tardiglaciaire, impliquant cette fois des transports sur plusieurs dizaines et même centaines de kilomètres. Ces milieux maritimes ont donc été largement fréquentés et exploités par les préhistoriques au moins pour la conception de leur équipement. C'est ainsi spécifiquement sur cette industrie et ce matériau que ce sujet de thèse portera il constitue une opportunité unique d'investir indirectement des espaces aujourd'hui engloutis par les eaux et pourtant nécessairement omniprésents dans la vie des collectifs paléolithiques. La détermination précise de ces matériaux, l'étude de l'évolution de leur représentativité et de leurs états d'introduction sur les sites (outils, supports, galets entiers) dans le temps long permettra ainsi de pister les transformations des pratiques en fonction des préférences des sociétés et en parallèle des contraintes naturelles imposées par une très rapide remontée des niveaux marins. Ce sujet s'appuie sur le développement d'outils analytiques adaptés à la caractérisation des silex en milieux marins. Les galets littoraux sont en effet le résultat d'accumulations sur les côtes après arrachement sur les gîtes primaires de la Manche et transport maritime. Il conviendra donc d'être capable de définir précisément les milieux de collecte des silex : littoral actif, cordons fossiles, affleurements alors exondés ? Ainsi, le développement d'une approche analytique innovante est central dans ce projet, car elle seule permettra de dépasser nos hypothèses actuelles et de quantifier précisément, dans les collections archéologiques, la part des matériaux marins et leur évolution dans le temps. La méthodologie s'appuiera sur le concept de « chaîne évolutive des silex » développé en Europe de l'Ouest depuis une dizaine d'années (e.g. Delvigne et al., 2020 ; Fernandes et al., sous presse). Ce concept stipule que les roches siliceuses sont instables et se transforment en fonction des conditions du lieu dans lequel elle se trouve. La description des différents stigmates d'altération chimiques et mécaniques associés aux gîtes permet : 1) de comprendre les phénomènes qui en sont à l'origine ; 2) de définir les caractéristiques des types de matériaux évolués dits « types gîtologiques » et 3) d'en cartographier l'extension. A ces fins, il s'agira de constituer et de développer un référentiel géologique actualiste (lithothèque) selon des critères harmonisés à l'échelle européenne. Les travaux engagés dans ce projet de thèses viendront compléter ceux déjà existant mais partiels établis dans le cadre du GDR « Silex » (1) en effectuant des prospections de terrains raisonnées, (2) en compilant les données inédites issues des carottes marines et (3) en étudiant les référentiels disponibles selon les méthodes mise en place ces dix dernières années dans le cadre du GDR « Silex » et des PCR « Réseau de lithothèques ». La création d'un tel référentiel servira non seulement au travail de thèse, mais également aux études régionales sur la péninsule armoricaine, et surtout à la constitution d'un modèle d'évolution des galets marins, jusqu'alors est inexistant, qui servira à terme de référence internationale pour toutes les analyses pétro-archéologiques en milieu côtier.