L'influence de la phalange dans la pensée morale et politique de Platon et d'Aristote.
Auteur / Autrice : | Valery Denis |
Direction : | Arnaud MacÉ, Jean-Christophe Couvenhes |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Philosophie |
Date : | Inscription en doctorat le 14/10/2024 |
Etablissement(s) : | Besançon, Université Marie et Louis Pasteur |
Ecole(s) doctorale(s) : | SEPT - Sociétés, Espaces, Pratiques, Temps |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Logiques de l'Agir |
Résumé
L'invention de la phalange remonte au moins au VIe siècle avant notre ère et elle ne disparaîtra en partie qu'à la fin de la période hellénistique ; l'héroïsme valorisé à l'origine et continuant à être loué dans les poteries ou les poésies représente un péril pour le groupe qui ne doit, dans la combat en phalange, être fragilisé à aucun moment par la moindre initiative individuelle. Que l'on voit dans cette évolution militaire un besoin de propriétaires terriens de défendre leurs récoltes en substituant un rempart humain aux murailles de la ville, ou l'invention de pirates ou de mercenaires devant affronter les difficultés d'un débarquement, l'hoplite, dont le bouclier semble davantage protéger le voisin de gauche que son porteur, va devenir jusqu'à la fin des guerres médiques l'un des grands symboles de l'unité des Hellènes, au même titre que la langue grecque ou que les concours olympiques. L'idée d'une « philosophie de la phalange » constituera notre point de départ et il conviendra d'en établir la nature et les contours. Notre projet de recherche va consister à explorer la portée et les limites de ce modèle dans l'évolution de deux penseurs en particulier. D'une part nous nous attarderons sur Aristote, qui associe, dans ses Politiques, la fin de la monarchie à Athènes à l'émergence de la phalange. Le Stagirite semble d'ailleurs, dans l'Ethique à Nicomaque, se faire l'héritier de valeurs d'équilibre, de prudence et de mesure qui émerge avec l'avènement de la phalange : cependant cet héritage est en tension permanente avec un idéal d'héroïsme, de magnanimité hérité de l'Iliade. Cet idéal héroïque est destiné à marquer les débuts de la période hellénistique, alors que tout ce que peut représenter la phalange, aussi bien dans son rôle militaire que dans les valeurs qui lui sont attachées, est voué à disparaître au profit d'un nouvel essor de la cavalerie et Aristote en est nécessairement conscient. Devons-nous y voir un parallèle avec la glorification de la Cité alors que ce modèle est déjà apparemment condamné ? Aristote cherche-t-il à faire subsister les valeurs de la phalange en dépit de leur disparition annoncée, en tentant de la concilier avec le nouvel idéal, qui se veut héritage d'Achille, incarné par Alexandre? Dans les faits la phalange est déjà une grande partie un héritage révolu, la marine à Athènes ayant bouleversé les mentalités politiques. Nous pouvons remarquer que Sparte elle-même a dû renoncer à la seule domination sur terre pour se consacrer à la constitution d'une flotte capable de vaincre son adversaire sur son domaine de prédilection. Nous devrons examiner si la manière dont Epaminondas a changé les règles à Leuctres pourrait marquer le glas du modèle traditionnel jusqu'à Thèbes, la phalange oblique incarnant peut-être la fin de l'agonistique attachée à la phalange. Si ce tribut à l'idéal hoplitique se vérifie dans l'Éthique et Les Politiques, cela semblerait valider l'hypothèse qu'en dépit du déclin de la phalange aurait pu exister une nostalgie ou un topos philosophique de ce mode de combat et de tout ce qu'il représente pour des raisons politiques, voire morales. Et de manière assez logique, il conviendra donc d'examiner si ce modèle qui historiquement comme géographiquement semble si étranger aux origines d'Aristote , ne viendrait pas au moins en partie de l'influence de Platon. Ce sera donc ici la partie la plus importante de la thèse sans aucun doute aussi bien en termes de volume que d'enjeux. Le travail consistera à voir dans quelle mesure la figure de l'hoplite a pu servir de modèle à certains traits moraux et institutionnels du platonisme plutôt que le modèle couramment admis de la société spartiate. Pour récapituler : il y aurait donc quelque chose d'autre à l'uvre que l'influence de Sparte, et nous supposons que loin d'être ébloui par le mirage spartiate, Platon aurait été surtout un nostalgique de l'idéal véhiculé par la phalange ; et ce ne serait qu'en tant que celle-ci aurait trouvé son expression la moins dénaturée dans l'organisation spartiate que nous pourrions reconnaître cette dernière dans le platonisme. L'étonnante tension entre son admiration et sa critique de Sparte proviendrait du fait que ce n'est pas tant Sparte qu'il admire que le fait qu'elle aurait en partie conservé l'idéal hoplitique, mais simplement comme une image, alors qu'il faut revenir à l'essence. Bien des traits vont en ce sens : on insiste sur la solidarité des combattants, le citoyen soldat a une éducation qui dépasse de loin le cadre militaire, on n'y délaisse pas la musique si chère à Platon, mais c'est loin d'être tout. Jusqu'à quel point le citoyen soldat, le gardien, est-il avant tout hoplite? Les Grecs prêts à se sacrifier face à l'Atlantide ne seraient-t-ils pas le symbole d'une infanterie qui représentait l'unité de la Grèce avant que la marine ne vienne corrompre les mentalités? Voilà le genre d'hypothèses que nous aurons à examiner dialogue par dialogue, Le Banquet étant peut-être le plus révélateur quand on l'examine sous cet angle. L'organisation même d'un banquet, au delà de sa valeur religieuse, pourrait correspondre aux repas collectifs des soldats ; mais sans aller aussi loin les références à l'amour entre soldats, ciment de la phalange sont explicites dans l'uvre.