Culinae. Cuisines et alimentation dans l'Occident romain (Italie, Gaule Narbonnaise, Espagne)
Auteur / Autrice : | Matthieu Guillou |
Direction : | Emmanuel Botte |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Archéologie |
Date : | Inscription en doctorat le 01/10/2024 |
Etablissement(s) : | Aix-Marseille |
Ecole(s) doctorale(s) : | Ecole Doctorale Espaces, Cultures, Sociétés |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : CCJ - Centre Camille Jullian |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
Longtemps, l'étude de l'alimentation pour les périodes anciennes s'est vue limitée à l'établissement de catalogues de sources, aussi bien littéraires qu'archéologiques. Elle se bornait à l'étude des recettes qui nous sont parvenues, d'Archestrate de Géla au fameux Apicius, ou encore à une présentation sommaire des cuisines que l'on trouve dans les maisons de Pompéi. L'ouvrage de Jacques André, ''L'alimentation et la cuisine à Rome'' (André 1961), a longtemps constitué une référence incontournable pour les études sur l'alimentation antique. Cette méthode descriptive a progressivement cédé la place à des analyses plus complexes, qui envisagent l'alimentation notamment à travers un prisme socio-économique. Ces études approfondies ont mis en lumière les principaux centres de production agricole, les réseaux d'échanges commerciaux entre les différentes régions du bassin méditerranéen, et ont examiné le fonctionnement des systèmes de distribution alimentaire, en se penchant notamment sur les cas de la distribution annonaire (Virlouvet 1995). L'introduction des sciences sociales dans les études historiques a marqué une évolution décisive vers l'élaboration d'une histoire sociale de l'alimentation. Cette nouvelle approche se distingue par son attention aux processus de production et de distribution des aliments, aux normes sociales qui régissent la consommation alimentaire, ainsi qu'aux pratiques de sociabilité qui y sont associées notamment la pratique du banquet , avec pour objectif ultime de décrypter la hiérarchie sociale inscrite dans les habitudes alimentaires. À ce titre, les travaux de P. Garnsey ont bien mis en évidence la dimension sociale des choix et pratiques alimentaires (Garnsey 1999). Cependant, cette approche a eu tendance à occulter les pratiques alimentaires plus quotidiennes ou individuelles pourtant essentielles à une compréhension plus globale de l'alimentation. Les débats les plus récents se concentrent sur l'analyse des pratiques alimentaires dans les contextes cultuels romains ou antiques de manière plus générale, s'appuyant sur les avancées scientifiques pour éclairer les modes de consommation de l'époque, notamment avec les travaux de W. Van Andringa (2008). En parallèle, des travaux portant sur les cuisiniers et leur statut dans le monde romain ont été réalisés (Le Guennec 2019). Cependant, malgré ces avancées considérables dans la compréhension de l'alimentation antique, l'étude des cuisines en tant qu'espaces de production culinaire reste largement sous-explorée. Les travaux existants, tels que ceux de P. Kastenmeier (2007), bien que précieux, abordent ces espaces sous des angles souvent restreints. Il est essentiel d'approfondir notre connaissance de l'alimentation romaine par des recherches scientifiques détaillées sur les lieux où les aliments étaient transformés, afin de combler le vide entre la matière première et sa consommation dans divers contextes, qu'ils soient sociaux, commerciaux, ou religieux. Le projet de thèse présenté vise donc à combler cette lacune sur l'étude des cuisines dans le monde romain, en s'intéressant à l'espace même où se déroulent les opérations de transformation des aliments, impliquant alors un regard sur la nature même de ces derniers et la batterie de cuisine impliquée dans leur préparation. Afin de garantir une vision d'ensemble de ces structures, l'étude intégrera aussi bien les cuisines en milieu urbain qu'en milieu rural. Au-delà de la comparaison entre les domus et villae, cette approche permet d'intégrer la question des espaces collectifs de restauration (Monteix 2007 et 2013). Pour mener à bien une étude pertinente des cuisines, il a été choisi comme zone géographique l'arc méditerranéen compris entre l'Espagne et l'Italie, couvrant ainsi les provinces de Bétique, Tarraconaise et Narbonnaise ainsi que l'Italie péninsulaire. Cette approche géographique étendue est cruciale pour garantir une diversité significative de données et de cas à analyser, permettant ainsi d'identifier les différentes influences et spécificités. La chronologie porte sur la période comprise entre le IIIe s. avant notre ère et le IIIe s. ap. J.- C. L'objectif est de déterminer si les modes de consommation alimentaire ont influencé les transformations architecturales des cuisines pour s'adapter à ces nouvelles pratiques culinaires. Le choix de ces territoires et de cette chronologie étendue est justifié par la possibilité de suivre l'évolution des espaces culinaires au cur de l'Italie et de ses plus anciennes provinces occidentales. La limite chronologique basse a été choisie en raison de la constatation d'une diminution notable de cuisines comme espaces architecturaux spécialisés, aussi bien à Ostie à partir de la fin du IIe siècle qu'en Gaule à la même période (Bonini 2016). La première étape consistera en un inventaire exhaustif des cuisines de Pompéi et Herculanum. Cette démarche s'appuie d'une part sur l'état de conservation exceptionnel de ces sites, qui offre une opportunité unique d'étudier en détail ces espaces culinaires, et d'autre part sur le fait que la Campanie, grâce au port de Pouzzoles, était au cur des échanges commerciaux et des influences culturelles méditerranéennes. Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce travail sur les cuisines des cités vésuviennes n'a jamais été réalisé. Seule la thèse de P. Kastenmeier, portant sur les lieux du travail domestique dans les maisons pompéiennes (Kastenmeier 2007), l'aborde mais de manière assez brève et logiquement sans la perspective de la romanisation. Quant à la question des cuisines dans les espaces de restauration collective, traitée par N. Monteix (2010 et 2013), celle-ci mérite d'être intégrée dans une approche plus globale. Le projet de thèse proposé vise à inventorier de manière exhaustive un corpus représentatif de plusieurs centaines de cuisines romaines, dans le but d'analyser avec précision ces espaces de production alimentaire. L'objectif est de recueillir, organiser, et analyser les données relatives à ces cuisines, en les examinant sous divers aspects afin d'appréhender leur fonctionnement, leur architecture, et leur rôle au sein de l'espace domestique ou public. La typo-chronologie établie de ces cuisines romaines sera ainsi confrontée aux vestiges de cuisines dans les provinces de Gaule Narbonnaise, de Tarraconaise et de Bétique. Pour la Narbonnaise, cette approche n'a été réalisée qu'à l'échelle de sites (Mauné, Monteix, Poux 2013) mais pas encore à celle de la province. Pour l'Hispanie, des synthèses plus régionales ont été réalisées récemment (Fernandez Ochoa, Salido Dominguez, Mar Zarzalejos Prieto 2021), mais là encore personne ne s'est livré à l'exercice d'une synthèse à l'échelle d'une province. Ce type d'enquête sera obligatoirement transdisciplinaire. Il sera en effet impératif que soient prises en compte les données fournies par l' anthracologie, la paléobotanique et l'archéozoologie pour travailler à une reconstitution des environnements et des approvisionnements en combustible. Pour répondre à des questions pratiques de fonctionnement et d'utilisation de ces espaces, seule l'archéologie expérimentale est en mesure de fournir des éléments de réponse. Celle-ci prendra en compte l'utilisation de copies de vaisseliers antiques afin de travailler sur les modes de cuisson (flamme vive, sur braise...), mais également l'évacuation des fumées dans des espaces qui étaient souvent peu ventilés. Au-delà d'un travail portant sur les pratiques culinaires des Romains, ce projet de recherche vise à répondre à des questions d'étude de la romanisation et des phénomènes d'acculturation au travers des pratiques culinaires et alimentaires.