Thèse en cours

Prédire l'évolution mécanobiologique du tendon d'Achille et des coordinations musculaires en fonction de l'activité physique et des caractéristiques individuelles : prévention de la tendinopathie

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Auteur / Autrice : Manon Jamet
Direction : Martine PithiouxBenjamin Goislard de monsabert
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Sciences du Mouvement Humain - MRS
Date : Inscription en doctorat le 01/10/2024
Etablissement(s) : Aix-Marseille
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sciences du mouvement humain
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : ISM - Institut des Sciences du Mouvement Etienne Jules Marey
Equipe de recherche : BioMécanique/bioIngénierie (BMI)

Résumé

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Le tendon d'Achille est le plus grand tendon du corps humain. Les fibres qui le constituent sont liés aux trois muscles du triceps sural qui comprend le muscle soléaire et des deux chefs (médial et latéral) du muscle gastrocnémien, se situant dans la loge postérieure de la jambe. Fonctionnellement, il permet de transmettre les forces de ces trois muscles au pied, et de mettre en mouvement la cheville en flexion plantaire. Les unités muscle-tendons jouent un rôle prépondérant dans le cycle étirement-détente, en course à pied notamment, en emmagasinant de l'énergie élastique lors de son étirement pendant la phase de freinage lors du contact pied/sol pour la restituer lors de la phase de propulsion. Ce tendon est l'association de trois sous-tendons qui viennent s'insérer sur la tubérosité du calcanéum. Il a été démontré qu'il existe une grande variabilité interindividuelle concernant la structure et l'arrangement géométrique de ces trois sous-tendons. Par ailleurs, ils sont influencés par des spécificités anatomiques, ainsi que par le chargement engendré par les activités physiques pratiquées. La tendinopathie du tendon d'Achille désigne une lésion sans rupture de ce dernier. Il s'agit de la blessure la plus fréquente au niveau de la cheville. On estime que plus de la moitié des coureurs souffrent d'une tendinopathie du tendon d'Achille au cours de leur vie. Cette blessure est la raison de l'arrêt de la carrière de 5% des athlètes. Le traitement de cette tendinopathie à l'aide de protocoles de réhabilitation existants n'est concluant que pour seulement 6 patients sur 10 (Funaro et al., 2024). Pour les autres patients, la douleur et les déficiences fonctionnelles persistent. Les principales conséquences fonctionnelles se manifestent par des séquelles entravant leur pleine mobilité : un amplitude de flexion dorsale plus faible (Hein et al., 2014) ou une activation électromyographique des gastrocnémiens réduite lors de la course (Baur et al., 2004, 2011). L'absence de protocole pleinement efficace pour traiter la tendinopathie amène à rechercher une stratégie préventive de cette pathologie. La tendinopathie du tendon d'Achille est multi-factorielle. Cependant, cette pathologie est principalement engendrée par les sollicitations biomécaniques excessives et répétées ou au contraire absentes. L'apparition de micro-endommagements ou de nécrose déclenche un processus inflammatoire de remodelage qui se traduit par une dégradation nette de la matrice tissulaire. Si l'altération des chargements mécaniques physiologiques est une des causes majeures des tendinopathies, la maîtrise des risques biomécaniques sur le tendon d'Achille est un moyen pertinent pour prévenir l'apparition de tendinopathie. Cependant, la quantification de ces sollicitations biomécaniques reste à ce jour un défi puisque leur mesure directe est trop invasive pour être pratiquée in vivo. Il est également difficile d'observer in vivo, le comportement mécanique du tendon, même si l'élastographie par ultra-sons offre une voie d'exploration. Par ailleurs, il n'a jamais été envisagé d'analyser à quel point des spécificités anatomiques ou des stratégies individuelles de mouvement pourraient représenter un facteur aggravant de tendinopathie. Le tendon d'Achille est une structure qui est capable de se remodeler et d'adapter ses propriétés mécaniques en fonction de la charge ou de la contrainte appliquée. Cette dernière entraine une déformation du tissu : si elle est comprise entre 5 et 8%, les lésions induites sont microscopiques ; au-delà de 10%, elles sont macroscopiques (Sensini & Cristofolini, 2018; Wang et al., 2018). Une déformation excessive, ou au contraire trop faible, est le déclencheur d'un remodelage catabolique localisé de la matrice, un environnement biologique riche en collagène de type I, en macromolécules telles que les glycoprotéines, et en diverses cellules. Ce remodelage est accompagné d'une libération d'enzymes dégradant le collagène et conduisant à une dégénérescence. Au contraire, une déformation optimale est le facteur qui induit la stimulation des ténocytes, cellules responsables de la production de collagène dans la matrice : c'est le remodelage anabolique (Finni & Vanwanseele, 2023). Cela implique une augmentation de la surface de la section transverse, du module de Young, ainsi que de la rigidité du tendon et donc une certaine résistance à la traction (Lazarczuk et al., 2022; Millar et al., 2021; Wang et al., 2018). Un chargement mécanique habituel correspond à un signal mécanobiologique appelant un remodelage de la matrice qui se limite à un simple renouvellement. La déformation avec la fréquence de sollicitation seraient les deux facteurs à considérer pour prévenir cette pathologie en amont de la lésion. Un chargement optimal lors d'un entrainement qui induirait un niveau de déformation permettant un effet anabolique, permettrait la prévention de toutes lésions. De plus, les facteurs anatomiques, qui sont individu-dépendants, peuvent être prépondérants dans la capacité de déformation du tendon d'Achille. Notamment, moins le tendon est torsadé sur lui-même, et plus sa capacité de déformation est élevée. L'activité physique, induisant une certaine charge répétée au cours du temps, est un facteur extrinsèque à considérer pour le remodelage tissulaire du tendon. La prévention de la tendinopathie serait donc dépendante d'un chargement optimisé. En effet, bien que la raideur et la déformation soient primordiales, le nombre de cycles, la dynamique temporelle et l'intensité de chargement influencent ces variables et participent au processus dégénératif. Or à ce jour, il est encore difficile d'identifier comment le type d'activité physique, par exemple la pratique de marche ou d'exercices de musculation, influence le chargement mécanique du tendon et comment cela peut amener à des situations à risque de tendinopathie. Ce manque d'information vient de la difficulté à lier le chargement local du tendon aux propriétés plus générales du mouvement répété, comme la cinématique segmentaire et articulaire et les forces de réaction au contact pied/sol. Des équipes de recherche ont montré que la modélisation biomécanique multi-échelles permet de lier ces échelles d'analyse (Pizzolato et al., 2020) mais se sont focalisées sur une estimation à un instant donné ce qui ne permet pas de conclure complètement sur les facteurs de risque de tendinopathie car elles n'incluent pas de comportement mécano-biologique dynamique. Par ailleurs, pour une même activité physique, la signature individuelle du mouvement (incluant la cinématique, la dynamique et les activations musculaires) peut induire des scénarios significativement différents de chargement mécanique au niveau des trois muscles du triceps sural liées au tendon d'Achille, et plus largement, de la coordination des forces musculaires du membre inférieur. Certaines études ont développé des méthodes basées sur la modélisation biomécanique pour estimer les forces musculaires dans le triceps sural à partir de données de capture du mouvement pour ensuite identifier des zones de sur-sollicitations sur le tendon d'Achille et comment le type d'activité peut modifier ces zones de sur-contraintes (Funaro et al., 2024). Néanmoins, ces études extrapolent l'évolution du comportement du tendon sans simulation ni expérimentation longitudinale. Il apparaît donc nécessaire de développer des approches mécano-biologiques permettant de prédire l'évolution des propriétés mécaniques et géométriques du tendon face aux caractéristiques de l'activité physique, aux spécificités individuelles de signature de mouvement et de morphologie du tendon. La modélisation biomécanique est une approche permettant d'apporter des données quantifiées sur la mécanique du tendon, tout en prenant en compte des aspects de signature du mouvement et de morphologie. Sur la base d'imagerie in vivo, un jumeau numérique pourrait être crée grâce aux éléments finis et alimenté par des valeurs de forces musculaires estimées par des données de capture du mouvement. Ce type de procédure permettrait, en étant couplé à des mesures cinématiques et dynamiques, d'établir un lien multi-échelles entre la signature du mouvement individuel et la géométrie du tendon. Lors de mon stage de Master 2, j'ai travaillé sur une approche complémentaire du projet en utilisant un modèle musculosquelettique qui m'a permis d'estimer les forces musculaires du triceps sural, en fonction de différentes capacités de déformation des trois sous-tendons du tendon d'Achille. Le modèle choisi, afin de réaliser les simulations, a été développé sous la plateforme open source OpenSim® (Malaquias et al., 2017) et est composé de 23 degrés de liberté (DDL) et de 92 segments représentant finement la structure musculosquelettique des deux membres inférieurs. Alors que la plupart des modèles représente l'ensemble du pied comme un bloc rigide, celui-ci inclut 5 segments rigides (le talus, le calcaneus, le médio-pied, l'avant-pied et les orteils) et 5 articulations (la cheville, la sous-talienne, la médio-tarsienne, la tarso-métatarsienne et la métatarso-phalangienne), avec un total de 8 DDL ce qui amène à des estimations plus précises. Par ailleurs, le modèle inclut les paramètres décrivant les capacités contractiles du muscle comme initialement décrites dans le modèle de Hill (1938). Le modèle est régi par les relations force-déformation, force-longueur et force-vitesse ; et les valeurs par défaut, notamment en termes de longueur de fibre musculaire, de déformation maximale du tendon et d'angle de pennation, ont été ajustées par Thelen (2003). Pendant mon stage, je me suis penchée sur les liens entre la raideur du tendon, les forces musculaires et plus largement comment quantifier le chargement mécanique supportée par le tendon lors de la pratique de marche et de la course. Sur le logiciel OpenSim®, la raideur du tendon a été modifiée grâce à des recherches bibliographiques renseignant l'élongation du tendon à la force maximale isométrique, pour des participants sains et d'autres souffrant de tendinopathie (Arya & Kulig, 2010). Les forces subies par les trois muscles du triceps sural, ainsi que les autres muscles du membre inférieur, ont pu ainsi être observées pour différents niveaux de raideurs du tendon d'Achille et lors de trois mouvements différents : la marche, la course et la course rapide. Par ailleurs, ces valeurs ont été utilisées en entrée d'un modèle éléments finis simplifié du tendon d'Achille, adapté des travaux d‘Alix MORENO, stagiaire, Master 1 IEAP, encadrée par Jean-Louis Milan. Ce modèle est paramétrique. Les paramètres d'intérêt sont le diamètre du tendon et le module d'Young du tissu intrinsèque, qui entrent en jeu dans la raideur du tendon. Ce modèle permet tout d'abord d'observer les niveaux de déformation intrinsèques en simulant des essais de traction. Par ailleurs, le rayon et le module d'Young évoluent en fonction de la répétition du chargement mécanique selon des tendances identifiées dans la littérature. Ainsi, la répétition du chargement mécanique modifie le diamètre et le module d'Young du tendon et l'analyse éléments finis permet d'observer le niveau actualisé de déformation intrinsèque du tendon lorsqu'il est à nouveau sollicité. L'estimation de ces tendances d'évolution dans la littérature a permis d'établir une première équation mécanobiologique basée sur un signal mécanique de déformation. Ce signal sera à préciser à l'aide de fonctions plus précises dans le cadre de la thèse, d'autant plus que les capacités musculaires, notamment la force maximale isométrique, s'adaptent aussi. Pour finir, lors du stage réalisé en Master 2, j'ai eu l'opportunité de me former à l'échographie, permettant l'exploration de la morphologie du tendon (longueur et aire de coupe transverse). Cette technique sera utilisée dans le cadre du doctorat. Face aux enjeux de santé publique que représente la tendinopathie du tendon d'Achille, grâce aux travaux préliminaires que j'ai réalisés durant mon stage, j'ai pu initier et éprouver la question générale. Je peux désormais formuler une question de recherche plus précise et pertinente, et qui guidera mon travail de thèse : En quoi le type d'activité physique et les spécificités individuelles de signature du mouvement et de morphologie du tendon d'Achille impactent l'évolution des contraintes mécaniques à l'échelle du tissu et représentent un risque de tendinopathie ? Ce travail doctoral se basera sur une combinaison de données de capture du mouvement et d'imagerie in vivo avec des modélisations multi-échelles de la mécanique du tendon en liant les échelles géométriques allant de la cinématique segmentaire jusqu'aux déformations locales du tissu, tout en incluant une dimension temporelle, pour tenter de prédire les facteurs et leurs interactions engendrant un processus dégénératif vers la tendinopathie. Ce projet s'inscrit dans un objectif global de l'équipe BioMécanique et BioIngénierie (BMI) de l'Institut des Sciences du Mouvement Etienne Jules Marey (ISM) qui est la compréhension et la modélisation multi-échelles dynamique de la tendinopathie, déjà initié par mes travaux de master et en partie financé par l'Institut Carnot STAR dans le cadre d'un contrat post-doctoral. Le premier axe de travail visera à réaliser une campagne de mesure de motion capture et d'échographie du tendon chez une population variée de sédentaires et de sportifs. Le protocole de motion capture comportera une analyse cinématique, électromyographique et dynamique (à l'aide d'une plateforme de force et de pressions), sur une série de tâches incluant différents types de chargement du tendon (marche, course, squat, équilibre quasi-statique). Un premier protocole a déjà été réalisé par Robin RASPAIL (stagiaire, Master 1 IEAP encadré par Benjamin Goislard) et apporte des premières données de ces outils de capture de mouvement lors d'une batterie de tests. Aussi, une procédure d'évaluation du tendon par échographie sera ajoutée lors d'une contraction isométrique pour obtenir des données de morphologie. A l'aide du logiciel OpenSim®, il sera possible d'utiliser les données de capture du mouvement pour obtenir des scénarios de chargement mécanique du tendon. Par la suite, ces scénarios seront entrés dans un modèle mécanobiologique du tendon pour simuler son évolution en fonction de caractéristiques morphologiques individuelles déterminées par échographie (raideur et aire de section de coupe transverse). Le modèle éléments-finis du tendon possèdera des propriétés mécaniques tissulaires évolutives et une morphologie adaptative qui seront la conséquence de processus de remodelage répondant aux stimulations mécaniques. Il existe, dans la littérature, des modèles évolutifs de tendon, mais la plupart porte sur des phénomènes de cicatrisation après blessure et traitement chirurgical. Ici nous développerons un modèle non cicatriciel mais dédié au remodelage anabolique et catabolique ou homéostasique qui pourra s'inspirer des modèles existants. Le livrable de cette première partie sera donc un modèle mécanobiologique fonctionnel et dynamique, ayant en entrée la morphologie du tendon et les stratégies de mouvement individuelles. Les simulations mécano-biologiques à l'aide du modèle développé permettront d'avoir des scénarios d'évolution de l'état mécanique du tendon face à différentes activités et spécificités individuelles (mouvement et morphologie). Une première validation de ces scenarios d'évolution se basera sur des données de la littérature associées aux modifications mécaniques du tendon engendrées par la pratique régulière d'une activité physique. Les travaux de cet axe donneront à la fois un cadre méthodologique permettant la prédiction de l'état mécanique du tendon en fonction de paramètres individuels associés à la morphologie et à la signature de mouvement, et des scenarios qui appuieront les tests expérimentaux de la phase de validation. Afin d'apporter une validation expérimentale, une campagne de mesure longitudinale sera menée un échantillon réduit de personnes. Ces personnes auront à pratiquer une activité physique sur plusieurs semaines. Ils seront soumis au protocole de capture du mouvement et d'échographie avant, après et à intervalle de temps régulier pendant leur entrainement. La cohorte sera composée préférentiellement de profils caricaturaux (sédentaires/sportifs ; trailers/nageurs). Le choix de l'activité physique et des profils de participants se fera en fonction des résultats des simulations prédictives de l'axe précédent. Les travaux de cet axe permettront à la fois d'apporter de premières données longitudinales sur l'évolution concomitante de la morphologie du tendon et de la signature de mouvement, et de valider le modèle de prédiction mécanobiologique et musculosquelettique développé dans l'axe précédent, à la suite d'ajustements, pour avoir un accord avec les données expérimentales. Pour finir, l'objectif du troisième axe sera, à l'aide du modèle développé et des résultats des axes précédents, d'établir des liens poussés entre les différents facteurs du remodelage tendineux. L'objectif sera de hiérarchiser les facteurs développés précédemment ; c'est-à-dire la stratégie de mouvement, les caractéristiques individuelles du tendon, ainsi que l'activité physique associée ; et de cartographier leurs interactions. Les travaux de cet axe permettront d'illustrer la compréhension des différents facteurs de remodelage, et de leur possible interaction pouvant entrainer des répercussions décuplées. Une fois que les facteurs du remodelage sont établis, avec leurs possibles effets synergiques, il sera possible de s'intéresser à la tendinopathie. Pour cela, il faudra extrapoler le modèle. A l'issue de La validation du modèle mécanobiologique de tendon dans des conditions normales d'entrainement, le modèle sera extrapolé à des cas extrêmes de sur-chargements ou de sous-chargements mécaniques pour simuler un remodelage pathologique conduisant à des tendinopathies. Les données de la littérature sur les cas pathologiques permettront de calibrer cette extrapolation du modèle dans le domaine de la tendinopathie. Cette extrapolation au cas pathologique, permettra de mieux définir les typologies d'activité physiques optimales pour la prévention de la tendinopathie.