Policer les violences de genre
Auteur / Autrice : | Laure Sabatier |
Direction : | Jacques De maillard, Mathilde Darley |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Sciences Politiques |
Date : | Inscription en doctorat le 01/10/2024 |
Etablissement(s) : | université Paris-Saclay |
Ecole(s) doctorale(s) : | Sciences Sociales et Humanités |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : CESDIP - Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales |
Référent : Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines |
Résumé
Au tournant des années 1970, le lien entre rapports sociaux de genre et violences interpersonnelles devient un enjeu majeur de la recherche féministe anglo-saxonne et francophone. Partant du constat que les violences dont les femmes sont victimes sont majoritairement exercées par des hommes, ces violences sont considérées comme un levier de production et de maintien de la domination patriarcale exercée par les hommes sur les femmes. Dans les années 1990, les organisations internationales, et notamment l'ONU avec la déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes (1993), donnent une forte impulsion au 'problème' de la violence de genre. L'institutionnalisation de la lutte contre les violences faites aux femmes y est envisagée comme une sous-catégorie d'une catégorie plus large d'analyse de l'action publique, celle de la 'cause des femmes dans l'État' (Revillard, 2016). Trois conclusions essentielles émergent de la littérature qui s'intéresse à cette institutionnalisation : 1) elle provoque la fragmentation des violences de genre en sous-catégories de l'action publique, à l'instar des violences faites aux femmes ou des violences conjugales (Lieber et Roca i Escoda, 2015) qui font l'objet de dispositifs et de narratifs différenciés. 2) Les politiques sont principalement centrées sur la prise en charge des femmes victimes, c'est-à-dire qu'elles consistent pour partie en la mise en place de dispositifs de protection indépendamment du déploiement d'une réponse répressive à l'encontre de l'auteur. 3) L'accès à ces dispositifs de protection des victimes fait l'objet d'une judiciarisation croissante (Brown, 2018), et ce dans un contexte de constitution progressive des violences de genre en problème de sécurité publique (Jouanneau, 2024) Cette judiciarisation confère une place de plus en plus significative aux forces de sécurité intérieure dans le déploiement des politiques de lutte contre les violences de genre et de protection des victimes. Deux évolutions majeures semblent alors se dessiner, que cette thèse se propose d'étudier : l'importation d'une figure de la femme victime de violences telle que cadrée par le féminisme institutionnel dans des institutions historiquement dédiées 'au contrôle des hommes par les hommes' (Darley, 2014), et l'introduction d'une mission de 'prise en charge des victimes' dans des institutions historiquement dédiées à 'l'étiquetage de la délinquance' (Mainsant, 2012). À la croisée de la sociologie de l'action publique et de celle de la police donc, la thèse répondra à la question suivante : dans quelle mesure la mobilisation croissante de la police dans les politiques publiques de lutte contre la violence de genre participe à reconfigurer le champ d'intervention, le répertoire d'action et les pratiques des forces de sécurité intérieures ? Premier axe de recherche : émergence et importation de la figure de la femme victime de violence dans l'institution policière et évolution des doctrines de prévention de la délinquance H.1 : L'insertion de la police dans les politiques de lutte contre les violences de genre entraîne l'extension des prérogatives de l'institution policière à la prise en charge des femmes victimes. Deuxième axe de recherche : évolution, reconfiguration et permanences des pratiques professionnelles policières au contact d'une nouvelle catégorie d'action, la protection des femmes victimes de violence H.2 : La prise en charge des violences de genre par la police contribue à les fragmenter, en se concentrant sur les violences physiques urgentes et en marginalisant d'autres types de violences, et notamment les violences sexuelles au sein du couple. H.3 : Les routines de ciblage policier, comprises comme des processus d'étiquetage de la délinquance sur des critères d'évaluation du danger reposant notamment sur le genre, la race et la classe, se reconfigurent dans les pratiques de ciblage du public des femmes victimes de violence.