Le sang en droit de la famille
Auteur / Autrice : | Chloé Bill idoma |
Direction : | Delphine Tharaud, Carine Laurent-boutot |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Droit mention Droit privé et sciences criminelles |
Date : | Inscription en doctorat le 31/08/2024 |
Etablissement(s) : | Limoges |
Ecole(s) doctorale(s) : | Gouvernance des Institutions et des Organisations |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Observatoire des Mutations Institutionnelles et Juridiques |
Résumé
« Bon sang ne saurait mentir » , ce proverbe du XIVème siècle évoque la vérité physiologique offerte par le sang. Le sang est le liquide de vie faisant naître un lien de parenté. Le caractère irréfutable du lien qu'il produit, s'impose parfois comme un élément indispensable au rendu de la justice. Dans le même temps, le droit admet de faire du lien de sang une parfaite fiction. La place accordée au sang au cur des préoccupations juridiques se caractérise par une radicale ambivalence. Il constitue un élément nécessaire d'identification et de transmission de la parenté. Cependant, il ne lui est pas accordé pour autant une préséance à toute épreuve. Finalement, en droit de la famille, l'existence d'un lien de sang est aussi importante que son absence. Bousculé et remis en question par les mutations familiales, sociétales et bioéthiques, repenser ce sujet devient aujourd'hui essentiel. Cette étude s'inscrit dans une optique prospective et vise à proposer à des problématiques nouvelles que le droit ne régit pas encore, des solutions adaptées. Mais elle tend aussi à apporter un angle de vue nouveau à des questions anciennes en pleine métamorphose. Pour comprendre l'importance de ce sujet, il conviendra d'analyser l'ambivalence des considérations liées au sang en droit de la famille et de mettre en lumière les difficultés que cette ambivalence fait naître. Tantôt centrale, tantôt occultée, la place du sang en droit de la famille revêt un aspect nébuleux. Le sang est au cur des préoccupations régies par le Code civil. Son illustration la plus frappante réside dans les règles relatives à la filiation. Ces dispositions sont scindées en deux titres selon qu'il y ait ou non, un don de sang du parent . Cette structure n'est pas le fruit du hasard et démontre l'intérêt porté au lien biologique. Le sang en droit de la famille ne se limite pas à la filiation, il concerne plus largement la question de la parenté. La parenté instituée par le sang relève parfois de considérations pénales. Le lien de sang peut être la cause d'aggravation d'un crime lorsqu'il est commis sur un descendant ou un ascendant. Par exemple, depuis la loi du 21 avril 2021 , le viol incestueux est puni de vingt ans de réclusion criminelle. Le sang est également à l'origine de considérations territoriales liées au droit international privé. Le principe absolu en matière de nationalité, est celui du droit du sang . Le sang ne transmet donc pas seulement un patrimoine génétique, il transmet également un patrimoine culturel et national. C'est souvent par le sang qu'arrive la preuve. Un test sanguin peut apporter la preuve de la parenté. Ce test revêt une telle fiabilité, qu'un refus de s'y soumettre, peut être considéré comme un aveu de parenté. Cependant, le lien de sang ne garantit pas toujours les mêmes effets. Il a longtemps existé une discrimination institutionnalisée de l'enfant adultérin , comme si le lien de sang était altéré lorsqu'il était le résultat d'une relation hors mariage. L'origine de la parenté n'est pas toujours biologique, elle peut résulter de l'alliance, de la reconnaissance ou de l'adoption. Dans ces cas, le lien de sang est simulé. À titre d'illustration, c'est par le droit du sang que l'enfant adopté plénièrement acquiert la nationalité de ses parents adoptifs. Les nouveaux modes de famille offrent également une démonstration parfaite des nouveaux défis auxquels le droit est confronté. À titre d'illustration, les parents ayant recours à une convention de gestation pour autrui peuvent désormais voir établir une double filiation, tant pour le père biologique que pour la mère d'intention . En admettant cela, la Cour de cassation va au-delà des exigences de la Cour européenne des droits de l'Homme , en dépit de la fraude à la loi que produisent ces conventions. S'il n'est pas nouveau que les liens de sang puissent être feints, aujourd'hui plus qu'hier, la parenté s'éloigne de la vérité physiologique. Déjà en 2005, le professeur Jean Hauser évoquait un état civil français « à bout de souffle » . La loi bioéthique de 2021 venue remodeler en partie le droit traditionnellement applicable à la famille, entérine ce constat. Cette loi prévoit notamment la possibilité pour les couples de femmes ayant eu un enfant par assistance médicale à la procréation avec donneur de faire établir la filiation à l'égard de la mère n'ayant pas accouchée par une simple reconnaissance anticipée devant notaire. Malgré les évolutions, Le souhait de fonder une famille persiste, ce sont simplement les modalités de création de la famille qui évoluent. Contrairement à ce qui existent dans d'autres cultures juridiques, le rapport au sang en droit de la famille ne relève plus de l'évidence. Cette ambivalence amène d'ailleurs parfois à des conflits de lois, comme en matière de kafala, une institution de droit de la famille de certains pays de tradition musulmane interdisant l'établissement d'une filiation adoptive lorsqu'il n'existe aucun lien de sang . Si son rôle peut être altéré, il n'est pas supprimé pour autant. Une certaine confusion se dégagent de la relation qu'entretiennent sang et droit, soulevant des questionnements jusqu'ici irrésolus. L'ambiguïté du droit de la famille face au sang fait naître deux questions : Quelle place doit être accordée au sang en droit de la famille ? Est-il toujours pertinent de se référer aux liens du sang ? Quelles que soient les réponses à ces interrogations, il semble indispensable de reconsidérer la place du sang en droit de la famille. De multiples observations font apparaître cette nécessité. Le sang peut ouvrir l'accès à un droit comme il peut l'entraver. Le mariage incestueux est prohibé entre ascendants et descendants en ligne directe, entre frères et surs, oncle/ tante et neveu / nièce. L'interdiction du mariage incestueux ne résulterait pas du seul risque génétique attribuées aux unions consanguines . D'après Claude Lévi-Strauss, « la prohibition de l'inceste est moins une règle qui interdit d'épouser mère, sur ou fille, qu'une règle qui oblige à donner mère, sur ou fille à autrui, la règle du don par excellence » . Pourtant, rien ne prohibe le mariage entre cousins germains. L'exception accordée à cette union, pourrait s'expliquer historiquement par des raisons patrimoniales, afin d'éviter la division du domaine familial . Si des considérations patrimoniales ont pu fonder une dérogation à l'inceste, il convient alors de se demander si d'autres considérations pourraient tempérer cette interdiction. Or, la clémence accordée aux unions entre cousins ne se retrouve pas pour toutes les relations. L'enfant né de l'inceste ne peut bénéficier de l'établissement d'un double lien de filiation . Il peut sembler surprenant que le principe d'intérêt supérieur de l'enfant ne vienne pas protéger l'enfant des conséquences de l'acte commis par ses parents. D'autres circonstances témoignent de la contradiction apportée par la référence aux liens de sang ou plutôt, ici, par leur absence. L'union maritale peut aussi être interdite en raison de la parenté par l'alliance. Le mariage entre ex-alliés en ligne directe est prohibé. Cette interdiction viendrait cette fois éviter une transgression générationnelle . Concrètement, un ancien beau-parent ne peut épouser son ancienne belle-fille ou beau-fils, la Cour de cassation a déjà rappelé cette prohibition . Elle a cependant déjà dérogé à cette règle, notamment en raison de la longévité de la relation , ce qui démontre l'inconstance de cette prohibition. Il convient de souligner le paradoxe, consistant à préférer un mariage consanguin à l'union de personnes dépourvues de tout lien biologique alors même que la prohibition de l'inceste est une règle d'ordre public . En dehors du couple, le sang fonde d'autres interdictions. La consanguinité vient aussi empêcher la reconnaissance d'une communauté de vie au sein d'une même fratrie. La cohabitation des frères et surs célibataires reste fréquente, particulièrement en milieu rural mais il n'existe aucun statut légal régissant ces situations. La position est partagée par la Cour européenne des droits de l'Homme qui a refusé de reconnaître que la cohabitation fraternelle puisse conduire à l'exonération de l'impôt sur les successions au même titre qu'un couple, elle estime que « l'absence d'un ( ) accord juridiquement contraignant entre les requérantes fait que leur relation de cohabitation, malgré sa longue durée, est fondamentalement différente de celle qui existe entre deux conjoints ou partenaires civils » . La juridiction internationale se fonde sur l'absence d'engagement public pour justifier sa décision. En effet, le lien fraternel est un lien imposé par le sang mais il n'est pas certain que ce lien doive fonder une différence de traitement, d'autant qu'il est d'une stabilité indéniable. Au cours des débats avant l'adoption du PACS, il avait été proposé d'ouvrir cette forme d'union aux frères et surs, puisque le partenariat ne repose aucunement sur une analyse biologique ou procréative mais davantage sur des considérations économiques. L'ambiguïté de la place accordée au sang en droit de la famille pourrait donc même être perçue comme une atteinte potentielle au principe de non-discrimination, puisqu'elle provoque des différences de traitement sans que la différence de situation ne semble légitimement le justifier. Que le lien de sang existe ou non, qu'il ouvre ou restreigne l'accès à un droit, il est toujours à l'origine de retentissements importants, dépassant bien souvent le seul droit de la famille.