Chevaliers au lion. Mémoires médiévales d'Yvain (XIIe-XVIe siècle)
Auteur / Autrice : | Geoffrey Derain |
Direction : | Nathalie Koble |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Langues et littératures |
Date : | Inscription en doctorat le 01/09/2024 |
Etablissement(s) : | Université Paris sciences et lettres |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale École transdisciplinaire Lettres/Sciences |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : INSTITUT DES TEXTES ET MANUSCRITS MODERNES |
établissement opérateur d'inscription : Ecole normale supérieure |
Mots clés
Résumé
Héros majeur chez Chrétien de Troyes, au même titre que Lancelot ou Perceval, Yvain glisse ensuite au second plan, parmi les figures mineures de la fiction arthurienne, tout particulièrement dans les romans en prose, où il intègre le fonds roulant du personnel arthurien. Pourtant, les traits essentiels du personnage et les motifs emblématiques de son récit sont repris avec précision par la tradition romanesque et réutilisés pour créer de nouveaux avatars du Chevalier au lion, qui ne sont, chaque fois, jamais tout à fait Yvain, et jamais tout à fait un autre. Nombre de chevaliers sauvent des lions, ou affrontent le gardien redoutable d'une fontaine magique : ils font, et sont, comme Yvain tout en étant pas lui. Ainsi Yvain perdure-t-il, sous la forme d'un étrange fantôme, souvent présent mais rarement en son nom propre, un archétype chevaleresque qui hante les mémoires des lecteurs et des romanciers, pendant tout le Moyen Âge. C'est cette mémoire paradoxale, entre oubli et souvenir, monumentalisation et réinvention du personnage, que nous voulons explorer. Notre travail portera d'abord sur la mémoire du personnage. Yvain est, à travers les siècles et les réécritures, un palimpseste de différentes figures superposées : il faudra alors établir ce qui permet leur identification au même individu et formuler ce qui constitue son identité fictionnelle. Nous en proposerons une caractérisation sémiologique et narratologique, pour définir ce qu'en conservent et ce que réinventent ses réincarnations successives. Nous émettons l'hypothèse qu'Yvain consiste en un nexus de motifs entrelacés : il s'agit d'établir quels motifs du roman de Chrétien de Troyes finissent par devenir le réceptacle métonymique de la mémoire d'Yvain, et comment les réécritures les modifient, aboutissant ou bien à la réinvention d'un Yvain dépouillé de son identité de Chevalier au lion (comme dans les cycles en prose) ou bien à la création de romans d'Yvain sans Yvain, où ce dernier est remplacé par un nouvel avatar du Chevalier au lion. Puis, nous étudierons les stratégies de réécriture et d'intertextualité utilisées par les romanciers en vers postérieurs à Chrétien pour réactiver chez les lecteurs la mémoire du Chevalier au lion. Ces réécritures tentent-elles de réinvestir le texte de Chrétien, de s'inscrire dans sa filiation pour capter son autorité littéraire, ou bien essaient-elles de s'approprier le mythe pour le réinventer, voire le parodier ? Nous posons l'hypothèse qu'en réécrivant Yvain, ces romanciers en vers postérieurs à Chrétien de Troyes tentent de revendiquer un positionnement littéraire prestigieux, permis par le patronage du maître champenois d'une part, et par l'inscription dans une tradition formelle contraignante et qui se raréfie dès le XIIIe siècle : celle du roman en vers. Réécrire Yvain, chevalier du vers qui n'apparaît quasiment jamais en prose, plutôt que Lancelot ou Tristan, chevaliers de la prose hégémonique dès le XIIIe siècle, ce serait peut-être se réclamer d'une certaine virtuosité poétique et langagière, faire vivre la mémoire d'un héros du vers. Enfin, nous examinerons les transferts culturels du personnage et du mythe, entre les aires française, galloise, anglaise et allemande. Quelles altérations ces transferts causent-ils, et comment, dans ce mythe, l'imaginaire breton et latin dialoguent-ils, voire fusionnent-ils en une mémoire commune d'Yvain ? Quels enjeux politiques et idéologiques y a-t-il à traduire Le Chevalier au Lion ? En confrontant Ywain and Gwain avec les autres traductions européennes du roman, notamment l'Iwein de Hartmann von Aue, nous pourrons mettre en regard des choix de translatio insulaires et continentaux, et saisir la spécificité des postures de leurs traducteurs et auteurs. Nous espérons ainsi comprendre comment le mythe littéraire d'Yvain s'établit comme mythe littéraire européen, propre à une mémoire qui dépasse le Moyen Âge.