Thèse en cours

Normativité algorithmique et droit du travail

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Auteur / Autrice : Abel Gouttenoire
Direction : Thomas Pasquier
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Droit social
Date : Inscription en doctorat le 16/02/2019
Etablissement(s) : Lyon 2
Ecole(s) doctorale(s) : EDD - Ecole doctorale de droit
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : CERCRID - Centre de Recherches Critiques sur le Droit

Résumé

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De l'essor des NTIC à l'intelligence artificielle, ces techniques partagent un dénominateur commun, l'architecture algorithmique. En substance, l'algorithme s'entend comme une suite finie et non ambiguë d'opérations ou d'instructions permettant de résoudre une classe de problèmes par l'obtention d'un résultat à partir d'élément fournis en entrée. Sa mise en œuvre suppose – dans la plupart des cas – son expression dans un langage informatique sous la forme logicielle. L'étude ambitionne alors d'analyser de qu'elle manière l'algorithme irrigue le droit et plus particulièrement la relation de travail. Il reviendra donc de faire la démonstration des effets normatifs de l'algorithme et en quoi le droit du travail se donne à voir comme une branche d'exploration privilégiée de cette phénoménologie internormative. Pour ce faire, l'étude mobilise le concept de normativité algorithmique qui se définit comme suit : un certain type de rationalité normative reposant : sur la récolte et/ou l'analyse automatisée de quantité (souvent massives) de données permettant la modélisation, la classification, l'anticipation ou la conduite des comportements des êtres et des choses et s'imposant comme valeur de référence concurrente, alternative ou complémentaire à d'autres normes tel que le droit. La normativité algorithmique se compose de deux éléments. Un élément matériel d'abord. Cela renvoie sous son aspect technique aux données utilisées, traitées par les algorithmes informatiques, mais aussi l'architecture interne de l'algorithme (algorithme de machine learning, symboliste ou déterministe, statistique etc.). Le langage juridique propose sa propre classification des éléments technologiques (données personnelles/non personnelles) concourant à rendre possible la normativité algorithmique. Un élément substantiel ensuite. L'instrumentum algorithmique ne serait se réduire à sa seule technicité. Le raisonnement intrinsèque des algorithmes et les résultats qu'il produisent, induisent des choix, des actions pour les personnes. Pourrait être ainsi considéré que les algorithmiques informatiques ont une force normative, au sens comme la définit Catherine Thibierge qu'ils tendent à s'imposer comme un instrument de référence. Tel est le cas par exemple de l'algorithme de Parcours sup, ou pour Google, de de Page Rank pouvant avoir une valeur alternative ou supplétive à d'autres normes, notamment juridique. Partant de cette démarche, deux expressions de la normativité algorithmique peuvent être identifié en droit du travail : l'une qui est instrumentale (Partie I), quand l'autre est institutionnelle (Partie II). (Partie 1) Au-delà du simple outil, l'algorithme porte des effets normatifs dans la relation de travail. Démonstration faite de son mécanisme intrinsèque et de sa reconnaissance par le droit, il reviendra d'exposer comment sa technologie irrigue la relation de travail, tant au niveau de son modèle productif (plateformisation des organisations) que des composantes et partie prenante de la relation en elle-même. Sa logique tend alors à perturber les référentiels traditionnels du droit du travail (le travail, le travailleur, le temps et le lieu du travail…) ou à l'envisager sous son modèle. Par exemple, le salarié est représenté et quantifié sous le prisme de la donnée qu'il génère par les technologies algorithmiques (vidéosurveillance, plateforme, logiciel d'évaluation, de recrutement, etc.) (Partie 2) En réponse, le droit intervient – non pas en seul rempart – mais comme modèle de représentation accompagnant la logique algorithmique. Venant réguler l'intermédiation algorithmique, la règle de droit institue un régime « nouveau » des relations de travail. A titre d'illustration, si le travailleur est traçable et réduit à ses données numériques dans la matrice algorithmique, son corolaire suppose un droit à la transparence sur ces dernières. Une première partie ses effets normatifs sur la relation de travail (PARTIE I). Par exemple, en quoi elle perturbe la représentation du salarié – et les droits en résultants - quantifié sous le prisme de la donnée qu'il génère. Puis, dans une seconde partie, il s'agira d'analyser comme le droit intervient – non pas en seul rempart – mais comme modèle normatif accompagnant et régulant la logique algorithmique (PARTIE II). A titre d'illustration, si le travailleur est traçable et réduit à ses données numériques dans la matrice algorithmique, son corolaire suppose un droit à la transparence sur ces dernières. (Partie I). Au-delà du simple outil, l'algorithme porte des effets normatifs dans la relation de travail (Titre 1). Démonstration faite de son mécanisme intrinsèque et de sa reconnaissance par le droit (chapitre 1), sa technologie irrigue la relation de travail, tant au niveau de son modèle productif – plateformisation des organisations – que des composantes et partie prenante de la relation en elle-même, qui ne sont pas sans effets normatifs. Sa logique tend alors à perturber les référentiels traditionnels du droit du travail (le travail, le travailleur, le temps et le lieu du travail…etc.) ou à l'envisager sous son modèle (exemple : le travailleur est envisagé sous le prisme de la donnée indifféremment de son statut). Plus encore, c'est l'incarnation et l'exercice même du pouvoir dans le rapport de subordination qui s'en trouve transfiguré (Titre 2). Du modèle algorithmique ressort deux phénomènes émergeant du pouvoir de l'employeur : son objectivisation d'une part (Chapitre 1), notamment par une procéduralisation des raisons d'agir. A cela, conviendra-t-il de dénaturaliser cet instrument d'inscription de la règle et du pouvoir et de prêter attention à sa construction, aux choix qu'il traduit, à ce qu'il permet de voir, comme ce qu'il empêche de voir : les biais algorithmiques. D'autre part, la dilution du pouvoir (Chapitre 2). L'atomisation des lieux et la fragmentation des figures de pouvoir que suscite ou facilite la normativité algorithmique induit une redistribution des responsabilités en droit. Son examen met au jour la fragilité du droit du travail dont la rationalité juridique pourrait être compromise par cet autre rationalité cherchant à lui substituer sa propre fin. En réponse, ou par jeu de réfaction ou de réflexion normatifs, le droit intervient – non pas en seul rempart – mais comme modèle de représentation accompagnant la logique algorithmique : aux expressions instrumentales de l'algorithme succèdent celles instituantes du droit (Partie II). Venant réguler l'intermédiation algorithmique, la règle de droit institue un régime nouveau des relations de travail (Titre 1). Si le travailleur est traçable et réduit aux données qu'ils génèrent dans la matrice algorithmique (Chapitre 1) son corolaire suppose un droit à la transparence sur ces dernières (Chapitre 2) ainsi que sur les incidences générées au travail (chapitre 3). Ce régime constituerait une nouvelle arène où l'enjeu n'est rien moins que le respect des libertés et droits fondamentaux du travailleur. Arène dont cette normativité imprime également la raison juridique (Titre 2). Tant au niveau de l'ordonnancement de ce sous-système qu'est le droit du travail (ex : Quid du code du travail numérique dans la hiérarchie des normes ?) que de ses catégories juridiques propres à cette branche du droit (notion d'entreprise, statut du travailleur). Plus encore, se manifeste une recomposition substantielle du raisonnement et du syllogisme juridique par les effets intrinsèques et mécanistes de la programmation informatique (Chapitre 1, section 2). La réception par l'être humain de cette logique amène à identifier la doctrine des organes et institutions de niveau national (CNIL) ou supranational (CEPD, Commission européenne), qui par des discours nourrissent certaines représentations, non sans implications pour le droit des travailleurs. Implications d'autant plus prégnantes lorsque cette normativité s'adosse au raisonnement du juge du contrat de travail (section 2). Elle s'organise ainsi autour d'un calcul – parfois prédictif – auquel elle cherche à soumettre le juge. Si son rôle traductiviste « de bouche de la loi » tend à être supplée par l'automatisation, conserve-t-il encore une souveraineté d'appréciation du fait et de la règle. Du moins sous cette dimension les algorithmes d'aides à la décision du magistrat n'ont-ils – pour l'heure – qu'un certains pouvoirs d'influences. En retour, l'homme juge le programme ; à savoir le truchement de la plateforme (ou des logiciels) de travail et l'architecture de son algorithme. Se jouerait, somme toute, moins une guerre des normes qu'un processus mutationnel du droit et du travail en prise avec le modèle algorithmique. Dimensions esquissées de ce qu'il génère, encore faudra-t-il analyser le déplacement dans la conception de la finalité du droit au regard du travailleur et de son action. Elle nourrirait en droit réflexions et propositions dans une démarche davantage prospective de la place du travailleur sous la figure algorithmique de l'intelligence artificielle.