HERITAGE ET REECRITURE FACETIEUSE AU XVIIE SIECLE DANS L'UVRE DE LOUIS GARON
Auteur / Autrice : | Catalin Barbunta |
Direction : | Dominique Bertrand, Veronica-Loredana Balan |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Langue et littérature françaises |
Date : | Inscription en doctorat le 01/09/2023 |
Etablissement(s) : | Université Clermont Auvergne (2021-...) en cotutelle avec Université de Bacau |
Ecole(s) doctorale(s) : | Lettres, Langues, Sciences humaines et Sociales |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : IHRIM - Institut d'Histoire des Représentations et des Idées dans les Modernités |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
Pendant les cinquante dernières années, la tradition comique et la littérature récréative spécifiques à la période de la Renaissance ont connu un véritable essor au sein des études philologiques. En particulier, la facétie jouit d'un intérêt particulier, souligné et renforcé par le Colloque de Goutelas de 1977, où 24 communications étaient dédiées à cette espèce littéraire principalement renaissante. Les uvres littéraires parues au sein de cette tradition sont minutieusement analysées et encadrées dans l'espace socio-culturel d'origine, enquêtées surtout en tant que points de référence à la fois pour les développements multidirectionnels caractéristiques de la période et pour l'émergence d'autres uvres résultant de l'intérêt du public pour ce genre. Cette tradition de la littérature récréative, marquant le XVIe siècle, présente cependant des réminiscences un siècle plus tard aussi, lorsque un nombre significatif de recueils facétieux récupèrent une part importante des caractéristiques du genre, se présentant comme des exemples d'héritage réadapté. Parmi celles-ci, se distingue l'uvre de Louis Garon, ''Le Chasse-Ennuy, ou L'Honneste Entretien des bonnes Compagnies'', un recueil de textes à caractère récréatif en français, publié en France dans la première moitié du XVIIe siècle (la date de la première publication est incertaine, car l'une des éditions se présente comme publiée en 1600, mais la mention ''trop-tost'' qui la suit indique une date réelle ultérieure), fortement inspirée, semble-t-il, de l'uvre en italien de Tommaso Costo, ''Il Fuggilozio'', publiée en 1596. L'exemple des deux textes, où le premier représente la source principale d'inspiration du second, illustre les emprunts qui ont lieu en France aux XVIe et XVIIe siècles, où les uvres italiennes constituaient les sources privilégiées des auteurs-compilateurs français. Ces transferts littéraires et compilations de textes sont d'autant plus courants que le statut d'auteur ayant des droits pleins sur son texte n'existait pas à cette époque. Ainsi, il était possible qu'un texte apparaisse sous une forme (presque) identique dans les uvres de plusieurs auteurs, sans qu'il y ait de répercussions légales. Dans le cas de Louis Garon, celui-ci a recours à la traduction pour s'approprier certaines parties des textes de Costo en italien, prouvant ainsi qu'il a la capacité de parler (ou du moins de comprendre) la langue de Dante. Cependant, il est essentiel d'identifier le degré dans lequel l'uvre italienne inspire le recueil français, ainsi que les autres sources privilégiées pour la construction de ''Chasse-Ennuy''. Tiphaine Rolland (''Le ''vieux magasin'' de La Fontaine'', 2020) identifie même le « Décaméron » de Boccace, uvre emblématique de la tradition comique européenne, comme une source indirecte de l'ouvrage français : la facétie XCVI « D'un mary qui ſupris ſa femme auec un autre » de la deuxième partie de ''Chasse-Ennuy'' (centurie IV, p. 429) s'avère être une variante réécrite d'un texte de l'uvre de Guillaume Bouchet (1598), qui à son tour a adapté le texte emprunté à des ''Joyeuses Narrations'' (1557), où il se retrouve dans une forme identique à la version traduite du « Décaméron » (1349-1353) réalisée par Le Maçon (1545). Les caractéristiques définitoires des uvres comiques spécifiques au début de la période de la Renaissance, parmi lesquelles les thèmes considérés comme irrévérencieux et le langage audacieux, dont le but, outre celui de susciter l'amusement et le rire, était la critique de la société de plusieurs points de vue (religieux, politique, social), se révèlent moins évidentes au début du XVIIe siècle. Le « Décaméron » de Boccace et le « Liber facetiarum » de Poggio Bracciolini, une compilation de nouvelles et respectivement de facéties, fortement critiquées pour l'audace de leurs sujets, thèmes et langages abordés, représentent deux uvres de référence dans la tradition comique, étant les sources d'inspiration de nombreuses créations ultérieures. Comparée à ces deux chefs-d'uvre, le « Chasse-Ennuy » de Louis Garon s'avère être une critique plus réservée de la société, de l'Église et des figures royales, comportant, au contraire, des portraits admiratifs de certains souverains de l'époque ou des périodes passées. Même les thèmes abordés, bien que majoritairement identiques à ceux des uvres renaissantes, sont développés d'une manière plus réservée, ces changements de perspective étant justifiés par la contrainte de la censure imposée par l'Église catholique. François Lavie identifie neuf index de titres interdits publiés sur le territoire italien, parmi lesquels on trouve un nombre significatif d'uvres appartenant à la tradition comique, telles que le « Liber facetiarum » de Poggio Bracciolini (écrit entre 1438 et 1452, avec une première édition en 1470), les « Facetiae » de Heinrich Bebel (1508-1512), les « Motti e facetie del Piovano Arlotto » (1515), les « Facetie, motti e burle » de Lodovico Domenichi (1548/1562) et les « Detti e fatti piacevoli » de Lodovico Guicciardini (1565), que l'on peut considérer comme des influences imposant une limite thématique et de langage aux uvres publiées dans toute l'Europe occidentale, surtout étant donné que les auteurs et compilateurs de l'époque avaient besoin d'approbation pour mettre leurs uvres en circulation. L'édition de 1631 de la deuxième partie du « Chasse-Ennuy » présente sur la page de titre la mention ''Avec Privilège de sa Majesté'', ce qui atteste de l'éligibilité de l'uvre à la publication et informe les lecteurs de la conformité de l'uvre. Notre projet de recherche vise donc à la fois l'identification et le commentaire des caractéristiques spécifiques de la littérature comique au sens large, en insistant sur les changements adoptés par les auteurs-compilateurs du XVIIe siècle pour respecter les exigences thématiques et linguistiques imposées par la censure, ainsi que l'analyse des aspects relevant de la traductologie, étant donné qu'une grande partie des uvres comiques françaises s'inspirent directement des chefs-d'uvre italiens ou par l'intermédiaire de traductions déjà existantes en français. En particulier, nous nous proposons de situer le recueil facétieux de Louis Garon, le « Chasse-Ennuy », dans la tradition de la littérature récréative, en la comparant à d'autres uvres déjà intégrées par des études antérieures, en ce qui concerne les caractéristiques thématiques, linguistiques, textuelles et structurelles, en insistant particulièrement sur l'uvre italienne « Il Fuggilozio » de Tommaso Costo comme source privilégiée du compilateur français. Nous porterons un intérêt particulier à l'investigation des similitudes entre les deux textes, afin de faire une distinction entre le transfert direct, par simple traduction, et le transfert obtenu par la réécriture du texte, en tenant compte surtout du fait que l'uvre de Garon présente une note sur la page de titre attestant de sa conformité aux demandes de la monarchie. Étant donné que l'approche présentée dépasse les limites de l'uvre de Louis Garon et, implicitement, du domaine de l'interprétation littéraire, tant par les objectifs que nous nous proposons d'atteindre que par la méthodologie privilégiée, notre projet se situe à la croisée des domaines de la littérature, de l'histoire des mentalités et de la traductologie.