Habiter le monde : habitations familiale, sociale et cosmique dans les romans de Victor Hugo.
Auteur / Autrice : | Clara Galliere |
Direction : | Didier Philippot |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Littératures françaises |
Date : | Inscription en doctorat le 29/08/2024 |
Etablissement(s) : | Sorbonne université |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Littératures françaises et comparée (Paris ; 1992-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Centre d'étude de la langue et des littératures françaises (1998-....) |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
De quoi la maison est-elle le nom dans les romans de Victor Hugo ? En partant des représentations concrètes de la domus dans l'univers romanesque de l'auteur, essentiellement atypiques, nous entendons questionner l'origine flottante des personnages, articulant de façon problématique les notions de filiation et d'identité. S'il existe des représentations concrètes de la demeure dans les romans hugoliens, celle-ci est rarement un lieu pérenne permettant la construction d'un foyer. Paradoxalement, la domus n'est pas un lieu pour demeurer. Partant de ce constat, notre travail se propose d'élargir la perspective et d'étudier la question de l'habitation du monde selon trois champs indiqués par la notion grecque d'oikos : l'habitation familiale, l'habitation sociale et l'habitation cosmique (l'coumène, la nature habitée, opposée à la nature inhabitée et peut-être inhabitable, comme l'océan). Habiter la famille : comment les personnages hugoliens, souvent orphelins, tout aussi souvent solitaires, pourraient-ils prendre place dans un foyer ? Habiter la société : l'individu s'inscrit dans des interactions qui conditionnent son rapport à l'autre mais aussi à des normes et à des règles. Dans les romans hugoliens, souvent qualifiés de « vagabonds », d'« étrangers », les personnages centraux, comme Jean Valjean, Gavroche, Quasimodo, Gilliatt, habitent paradoxalement les marges. L'habitation des marges, loin de refléter le statut du seul philosophe, révèle la situation existentielle et sociale du personnage hugolien, qui échappe aux assignations. Isolé géographiquement, il a aussi une identité changeante, fluctuante. Il s'agirait donc d'interroger le lien entre la difficulté à acquérir un état civil et la façon dont les personnages se rapportent à leur entourage. Comment « trouver sa place » ? Nous proposons l'hypothèse selon laquelle cette redéfinition, ou ce décalage, des lieux d'habitation permettrait de déployer une ontologie du personnage hugolien, incapable, ou difficilement capable, de s'enraciner. Ce nomadisme ne manifeste cependant pas uniquement une impuissance à se fixer ; il relève aussi de la liberté des personnages et permet, plus largement, d'interroger la vision du monde au prisme de la philosophie hugolienne. Car les personnages s'inscrivent dans un macrocosme selon la perspective, ouverte, du surnaturalisme hugolien. Comment habitent-ils le monde (la nature) ? La notion d'immanence permet de penser la continuité, chez Hugo, entre l'intériorité et l'extériorité, l'amalgame du spirituel et du matériel dans un système continu de cercles concentriques : « Humanité, nature, surnaturalisme. » Ce postulat de l'existence de « créations invisibles » « inaccessible[s] à nos sens » (Les Choses de l'infini) sous-tend la difficulté à habiter le monde. L'instabilité et la démesure semblent définir l'ensemble de l'écosystème dans lequel nous vivons. Du latin manere, l'immanens est aussi ce qui demeure. Mais comment demeurer dans un monde où tout s'efface ? L'individu serait condamné à habiter une nature infinie qui le dépasse et le submerge. Cette réflexion vertigineuse est favorisée par le développement des sciences astronomiques au XIXe siècle et par le rejet de l'héliocentrisme, faisant passer du monde clos à un univers infini, pour reprendre l'expression d'Alexandre Koyré. Nous n'oublierons pas enfin de prendre en considération les fondements biographiques de la quête ou du refus de la demeure chez le Hugo nostalgique des Feuillantines, ou le Hugo de l'exil décrivant la maison de Marine Terrace à l'ouverture de William Shakespeare, ou tout heureux de posséder enfin une demeure à lui, Hauteville House, et de la façonner comme une uvre à part entière. On explorera la tension, telle qu'elle est pensée et mise en scène par Hugo lui-même, entre la demeure et l'exil, du point de vue de la topographie, comme du point de vue, plus large encore, de la cosmologie.