Approche multi-critères/holistique de la revalorisation des déchets du génie civil et bâtiment
Auteur / Autrice : | Vincent Rozzi |
Direction : | Antonin Fabbri, Jean-claude Morel |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Génie civil |
Date : | Inscription en doctorat le 01/10/2023 |
Etablissement(s) : | Vaulx-en-Velin, École nationale des travaux publics de l’État |
Ecole(s) doctorale(s) : | MEGA - Mécanique, Énergétique, Génie Civil, Acoustique |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : LTDS - Laboratoire de Tribologie et Dynamique des Systèmes |
Mots clés
Résumé
1-Contexte et objectifs : Le secteur du bâtiment est le premier producteur de déchets en France. Il est aussi le premier consommateur d'énergie et, d'après une étude réalisée par l'ADEME en 2013, il est responsable de 23% des émissions de CO2 en France. La faible consommation d'énergie dans la production et l'économie circulaire, qui étaient évidentes dans la construction vernaculaire, nécessitent maintenant des idées innovantes pour être mises en uvre dans l'environnement bâti actuel. Fort de ce constat, ce projet de thèse trouve son origine dans l'observation d'un grand nombre de constructions en terre existantes en Europe comme preuve de l'utilisation de matériaux écologiques vernaculaires permettant d'offrir un mode de construction durable. Conscients de la qualité et de la quantité de ce patrimoine existant, et utilisant les idées des constructeurs du passé qui ont bénéficié de milliers d'années de savoir-faire empirique, ce projet de thèse propose d'intégrer ce matériau vernaculaire dans le système socio-technique actuel. C'est en outre une opportunité de réutilisation des sols excavés, qui sont parmi les déchets de génie civil les plus importants en volume. Cependant, bien qu'il y ait un nombre croissant de nouveaux bâtiments en terre, la perspective d'entrer dans la construction courante en tant que principaux matériaux structurels est limitée. Outre les problèmes de perception sociale et du manque de main-d'uvre qualifiée, les raisons souvent invoquées sont les faibles résistances mécaniques et la susceptibilité à l'eau du matériau. Une solution classiquement mise en avant pour résoudre ces problèmes est la stabilisation de la terre avec du ciment ou de la chaux. Cette solution n'est malheureusement pas du tout à la hauteur des enjeux climatiques, en particulier de la règle européenne qui est de limiter les émissions de CO2 à 55% du niveau de 1990 à l'horizon 2030, (European Commission 2019). Un calcul simple basé sur les données du GIEC 2022 (IPCC 2022) montre que tous les secteurs doivent diminuer leurs émissions de l'ordre de 80% dans les prochaines années. Pour arriver à un tel niveau de réduction il faut un changement de paradigme que les acteurs du bâtiment ne savent pas actuellement faire. En effet les industriels depuis des décennies améliorent les systèmes existant pour gagner sur les prix de vente à court terme sans qu'il y ait des effets mesurables sur les émissions de CO2 qui continuent d'augmenter. De fait l'approche industrielle de recyclage est tellement inappropriée que le recyclage est devenu l'avant dernier niveau sur l'échelle de 10 gradations de l'économie circulaire (refuse, rethink, reduce, reuse, repair, refurbish, remanufacture, repurpose, recycle and recover), Potting et al. 2017. Du coup le recyclage que nous proposons ici est innovant, il s'apparente plus à une réutilisation et est pleinement dans l'esprit de l'économie circulaire car il n'utilise que des déchets et s'apparente au « up-cycling » en anglais, opposé au « downcycling » actuellement systématiquement pratiqué. En effet la terre d'excavation et les matériaux de déconstruction sont transformés (simplement par broyage puis compactage) en matériau de construction avec des propriétés nobles au lieu de servir de remblais ou partir en décharge. L'idée de ce projet de thèse est d'explorer une nouvelle voie de stabilisation, basée sur l'utilisation de matériaux issus de la déconstruction des bâtiments (béton, tuiles, briques concassés ). Pour ce faire, les objectifs à atteindre sont les suivants : - Analyse des disponibilités de déchets locaux issus de la construction en terre (e.g. excavations) et de la démolition des bâtiments ; clarification de la pertinence du recyclage en fonction de la disponibilité des déchets et des propriétés obtenues sur les nouveaux matériaux obtenus. - Compréhension des interactions physico-chimiques entre les différents composants sélectionnés pour la fabrication des matériaux en terre ; - Définition de la meilleure technique constructive afin d'obtenir un comportement hydromécanique satisfaisante, tout en minimisant le niveau d'énergie intrinsèque liée à la fabrication ; - Caractérisation du comportement hygrothermique des matériaux fabriqués à l'échelle des briques de terre compactée ; - Caractérisation de l'efficacité énergétique des matériaux fabriqué à l'échelle de la petite parois (~1m2). Cette caractérisation sera développée soit d'un point de vue expérimentale à travers des essais dans une double enceinte climatique soit d'un point de vue numérique par des simulations aux éléments finis. 2-Verrous scientifiques : Afin de répondre à l'enjeu général de cette thèse, un certain nombre de verrous scientifiques, qui sont détaillés ci-après, devront être levé. Ainsi, indépendamment du résultat final du travail, la levée, même partielle de ces verrous, permettra la production de résultats scientifiques de premier ordre pour les chercheurs travaillant sur les constructions en terre crue, et également, dans une certaine mesure, pour l'ensemble de la communauté en science des matériaux. De manière plus précise, les verrous scientifiques sont les suivants : - Identification et quantification des interactions entre la terre et les éléments issus de la déconstruction de bâtiments. Il est à noter que l'intérêt associé à la levée de ce verrou pourrait s'étendre aux problématiques de stabilisation des sols, en particulier pour des applications de géotechnique routière. - Lien entre la microstructure du matériau et la dynamique des échanges d'eau avec l'extérieur. La mise en place de ce lien serait un résultat de premier ordre afin de faire avancer notre maîtrise du comportement des matériaux hygroscopiques, qu'ils soient géosourcés ou biosourcés. En effet, l'eau est connue pour fortement impacter leurs comportements thermique et mécanique et est le vecteur principal de leur dégradation. - Lien entre les caractéristiques à l'échelle du matériau et les performances d'usage des éléments constructifs. Actuellement, par manque de connaissance sur ce lien, l'analyse de la performance des éléments constructifs en terre ne peut se faire que via des mesures directes, induisant des coûts et des temps d'essais souvent non compatibles avec les contraintes des projets de construction en terre. 3-Déroulement de la thèse : 3.1-Démarche de travail, méthode(s), programme indicatif des différentes étapes sur les 3 ans en indiquant les périodes (ex : mois 1 à 10) L'approche globale du projet est basée sur les deux principes de multidisciplinarité (i.e. analyse physico-chimique des matériaux, caractérisation expérimentale du comportement hydromécanique et hygrothermique, analyse numérique) et de l'étude des matériaux à différentes échelles (i.e. échelle de la brique et échelle de la petite parois). Ces principes de multidisciplinarité et de caractérisation multi-échelle seront appliqués à travers les cinq tâches suivantes : T.1 - (mois 1 à 4) Analyse des principaux travaux de génie civil qui seront réalisé localement dans une surface d'environ 30 km2 autour des sièges des partenaires ENTPE et UniGe. Cette analyse permettra d'évaluer les disponibilités des matériaux issus de la construction en terre ou de la démolition des bâtiments à niveau local, tout en minimisant la consommation d'énergie liée au transport. L'analyse sera aussi développée sur la faisabilité technologique de la solution proposée pour être étendue pour des temps successifs à la fin du projet et dans des autres régions différentes de celles étudiés. Le but de la tâche T.1 sera de sélectionner des matériaux qui seront employés pour les tâches suivantes. En parallèle, la doctorante/le doctorant réalisera durant cette période l'étude bibliographique initiale sur les modes de constructions en terre et sur les interactions physico-chimiques entre la terre et les constituants des matériaux recyclés ciblés. T.2 - (mois 4 à 12) Les matériaux sélectionnés au cours de T.1 seront caractérisés d'un point de vue physique avec la mesure de la distribution granulométrique et des propriétés de porosité (e.g. mesure de densité sèche, de distribution de taille des pores, de surface spécifique, etc.) et d'un point de vue chimique (e.g. mesure de la composition minéralogique et caractérisation de liens chimiques). Les essais physico-chimiques (i.e. granulométrie, porosimétrie, diffractométrie aux rayons X, spectroscopie aux rayons infrarouge, etc.) faciliteront les activités des tâches suivantes surtout en relation à la définition de la meilleur technique constructive (T.3) et à l'interprétation de la caractérisation hydromécanique et hygrothermique qui sera conduite à l'échelle de la brique (T.4) et à l'échelle de la petite parois (T.5). T.3 - (mois 4 à 12) Les activités de la tâche T.3 consistent dans la définition de la technique de construction la plus optimisée qui permettra d'atteindre des bonnes propriétés mécaniques et, en même temps, de réduire l'énergie intrinsèque de fabrication (énergie grise). Les deux techniques de brique de terre comprimée à faible teneur en eau et adobe (ou brique coulée) seront utilisées et les échantillons seront soumis aux essais mécaniques de compression pour évaluer l'effet de la technique de fabrication sur la rigidité et la résistance des matériaux. La meilleure technique sera donc sélectionnée en fonction de la réponse mécanique des échantillons et des évaluations sur la quantité de matériau employé, vitesse de fabrication et l'énergie consommée. T.4 - (mois 12 à 32) La technique sélectionnée dans T.3 sera utilisée afin de mettre en uvre plusieurs séries d'échantillons fabriqués avec des terres et des déchets de démolition d'origine différentes. Outre la mesure de leur performance mécanique, ces derniers seront caractérisés d'un point de vue microstructural (microscope électronique, BET azote, ATG-DSC) et hygroscopique (adsorption/désorption d'eau, perméabilité à la vapeur d'eau, conductivité thermique) après avoir été soumis à des conditionnements différents. Cette étude permettra de mieux appréhender les interactions physico-chimiques se produisant entre la terre et les déchets de démolition, ce qui permettra, à terme, de proposer une optimisation de la formulation et de la cure T.5 - (mois 24 à 34) La caractérisation du projet sera étendue à l'échelle de la petite paroi à travers la caractérisation du comportement hygrothermique. Enfin, les résultats obtenus en T.4 et e T.5 seront utilisés pour le développement des simulations numérique aux éléments finis, qui permettront d'estimer l'efficacité énergétique des solutions proposés. T.6 (mois 32 à 36) Rédaction de la thèse et préparation de la soutenance. 3.2-Ressources nécessaires L'ensemble des moyens expérimentaux nécessaires à la bonne réalisation de la thèse (cités au $3.1) sont déjà présents et opérationnels au sein du LTDS. Leur utilisation dans le cadre de la thèse ne posera pas de problème particulier. Un complément de financement sera demandé pour la mobilité internationale ainsi que pour couvrir certains frais de fonctionnement (déplacements en congrès, entretien des dispositifs expérimentaux, consommables ). Dans le cas où ces financements complémentaires ne seraient pas obtenus, ces dépenses pourront être assurées via les autres projets de recherche en cours sur le matériau terre au sein de l'équipe GCD du LDTS et/ou au sein de l'Université de Gênes en ce qui concerne le financement de la mobilité internationale. 3.3-Organisation mise en place pour l'encadrement Les deux séjours à l'Université de Gênes d'une durée totale de six mois permettront le développement de analyses numériques afin de simuler le comportement hygrothermique des briques de terre crue stabilisées avec les déchets recyclés de la construction. Ces simulations viseront à déterminer les gains énergétiques en utilisant les matériaux proposés par rapport aux matériaux traditionnels (e.g. bloc de béton, briques de terre cuites). Le but sera de montrer la capacité des matériaux développés dans le cadre de ce projet à garder des conditions de confort en termes de température et humidité relative bien supérieure par rapport aux autres matériaux. La doctorante/Le doctorant aura donc l'opportunité, à travers les séjours à l'Université de Gênes, de développer des compétences de modélisation du comportement hygrothermique des matériaux de construction, qui seront complémentaires aux compétences expérimentales qui seront acquises à l'ENTPE de Lyon. Cette complémentarité sera un atout fondamental pour le développement professionnel de la doctorante/du doctorat. 4-Caractère innovant Nous avons trouvé 12 publications de rang A (la plus ancienne datant de 2016) sur le sujet de la terre stabilisée au ciment/chaux dans laquelle on rajoute des déchets du bâtiment, 10 publications sont citées dans Paula Junior et al. 2022. Ici nous ne rajoutons pas de ciment ni de chaux ce qui fait ce système n'est pas facile à évaluer, car il combine des questions de formulation, de procédure de mise en uvre et de conditionnement afin d'obtenir les performances d'usage (mécaniques / thermiques) et la durabilité (abrasion, érosion, gel-dégel, feu) souhaitées tout en conservant un bilan environnemental attractif. Pour cela, une originalité de l'approche est de proposer une procédure d'optimisation multi-échelle, basée sur une compréhension fine des interactions physico-chimique se produisant au sein du matériau et de leur impact sur les performances mesurées. A ce titre, un enjeu portera sur l'étude des échanges de masse et de chaleur au niveau des interfaces entre l'eau (adsorbée et/ou vapeur), la terre (et notamment les phases argileuses) et les éléments issus de la démolition des bâtiments. Cette approche multi-physiques et multi-échelles qui participe grandement à l'originalité de ce projet de thèse est rendue possible par les moyens expérimentaux disponibles au sein des laboratoires partenaires. Outre les moyens de caractérisation classiques en géotechnique (bancs de tamisage et de sédimentation, valeur au bleu, limites d'Atterberg, essais dométriques et triaxiaux, etc), cette thèse pourra bénéficier de moyens d'essais thermiques (fils chaud, boite chaude gardée), hydriques (bancs de rétention et de sorption-désorption, DVS, SENSYS), hygrothermiques (enceintes climatiques, double enceinte DUO) et hydromécaniques (cellules triaxiale à succion et à hygrométrie contrôlées), ainsi que des dispositifs d'analyse de la microstructure (BET-Azote, microscope numérique). 5-Résultats attendus et valorisation Le résultat majeur attendu de cette thèse sera la mise en évidence de la possibilité d'utiliser des éléments issus de la déconstruction des bâtiments afin d'optimiser les performances des éléments constructifs en terre. Outre des participations à des congrès internationaux et la publication d'articles de rang A, les résultats de la thèse serront valorisés auprès des professionnels de la construction via la participation active de l'ENTPE au projet National Terre. 6-Références bibliographiques European Commission 2019, The European Green Deal. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?qid=1588580774040&uri=CELEX:52019DC0640. IPCC 2022, Working Group III contribution to the Sixth Assessment Report of the IPCC https://report.ipcc.ch/ar6wg3/pdf/IPCC_AR6_WGIII_FinalDraft_FullReport.pdf J. Potting, M. Hekkert, E. Worrell and A. Hanemaaijer, Circular economy: Measuring innovation in the product chain, PBL Netherlands Environmental Assessment Agency, The Hague, 2017 AC. Paula Junior et al. Analysis of the effect of incorporating constr. and demolition waste on the environ. and mechanical performance of earth-based mixtures, Const.&Build. Mat. 330,2022.