Au nom des Autres Enquête multi-située du militantisme pour un « tourisme durable »

In the Name of Others A multi-site study of activism for ‘sustainable tourism’

• Auteur / Autrice : Amandine Southon
• Direction : Saskia Cousin, Anne Doquet
• Type : Projet de thèse
• Discipline(s) : Anthropologie
• Date : Inscription en doctorat le ; Soutenance le 25/11/2024
• Etablissement(s) : Paris 10
• Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Économie, organisations, société
• Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Sociologie, philosophie et socio-anthropologies politiques
• Jury : Président / Présidente : Pascal Vallet
• Jury : Examinateurs / Examinatrices : Saskia Cousin, Anne Doquet, Nicolas Bautes, Christophe Guibert, Nadège Chabloz, Marie-Hélène Lechien
• Jury : Rapporteurs / Rapporteuses : Nicolas Bautes, Christophe Guibert

Mots clés

Mots clés libres

Tourisme durable

Inde

Militantisme

Rencontre

Développement

Tourisme solidaire

Sustainable tourism

India

Activism

Encounters

Development

Solidarity tourism

Résumé

Depuis le début des années 2000, des collectifs d’acteurs français se mobilisent pour définir et structurer un « tourisme durable », au travers de l’appropriation de terminologies variées (tourisme « responsable », « solidaire », « équitable » etc.), visant à réduire les « impacts » dont ce secteur serait responsable, en particulier dans les pays du Sud, par l’organisation de séjours « alternatifs » élaborés avec les populations locales. Ici, l’aide aux plus démunis et la rencontre constituent les piliers de ce dessein militant renversant ainsi les logiques habituelles du tourisme en priorisant les « besoins » des hôtes, devant les désirs des voyageurs. Dans les récits produits sur ce mouvement international, là encore, il est souvent fait état d’une histoire construite « par le bas » par des collectifs d’acteurs du Sud ayant trouvé des appuis auprès de militants dévoués au Nord. Si ces narrations ont accompagné mes premiers pas au sein d’un collectif d’acteurs se réclamant du « tourisme équitable et solidaire », elles sont rapidement devenues inopérantes pour décrypter les tensions vives observées entre les membres de ce réseau, mais aussi sur les lieux d’accueil des voyageurs, ouvrant la voie à un questionnement sur le rôle (effectif ou projeté) joué par cet Autre convoqué dans cette forme de « tourisme alternatif ». Après un retour historique sur les genèses du « tourisme durable », soulignant notamment le rôle donné aux populations hôtes (pensées comme des entités homogènes et figées) dans la légitimation de ce paradigme, je montre comment s’est structurée en France, une « communauté de préoccupations » dévouée au « développement » des « Autres lointains » par le tourisme « équitable et solidaire ». Ces derniers, largement absents des débats qui les concernent pourtant, semblent alors constituer un prétexte au renforcement d’un entre-soi toujours plus exigu et dominant, jugé collectivement nécessaire pour préserver un droit à l’intervention duquel dépend le salut de ses membres. Ensuite, à partir d’une enquête de terrain menée sur des séjours organisés en Inde, dans des villages du Madhya Pradesh et du Rajasthan, j’explique comment, en contexte, les acteurs locaux s’approprient, adaptent, détournent et négocient l’activité touristique pour répondre à leurs propres « aspirations » individuelles et collectives. Par un renversement de perspective, je montre tour à tour que les touristes alors préparés au nécessaire relativisme culturel et ainsi rendus malléables, servent ici d’alibi à des luttes politiques oscillant entre conservatisme et progressisme. Enfin, dans un ultime changement de point de vue, je souligne combien les acteurs locaux rencontrés viennent à leur tour nourrir une introspection individuelle des voyageurs, constitutive de rapports renouvelés aux autres et à soi. Cette recherche souligne alors que, loin de servir de simples intérêts individuels ou collectifs, l’Autre ou plutôt le tourisme est prétexte à penser l’articulation des rapports de pouvoir et constitue ainsi un révélateur précieux du contemporain dans ses dynamiques de changement social.

Since the early 2000s, groups of French stakeholders have been working to define and structure ‘sustainable tourism’, using a variety of terminologies (‘responsible’, ‘solidarity’, ‘fair’ tourism, etc.) to reduce the ‘impacts’ for which this sector is responsible, particularly in developing countries, by organizing ‘alternative’ holidays developed in conjunction with local populations. Here, helping the most disadvantaged and meeting people are the pillars of this militant approach, which overturns the usual logic of tourism by prioritizing the ‘needs’ of hosts over the desires of travelers. Once again, the stories told about this international movement often tell of a story built ‘from below’, initiated by groups of actors in the South who found support from dedicated activists in the North. While these narratives accompanied my first steps within a collective of actors claiming to be involved in ‘fair trade and solidarity tourism’, they quickly became inoperative for deciphering the sharp tensions observed between the members of this network, but also in the places where travelers were welcomed, opening the way to questioning the role (actual or projected) played by this Other in this form of ‘alternative tourism’. Following a historical review of the origins of ‘sustainable tourism’, highlighting in particular the role given to host populations (thought of as homogenous and fixed entities) in the legitimization of this paradigm, I show how a ‘community of concerns’ dedicated to the ‘development’ of ‘distant Others’ through ‘fair trade and solidarity tourism’ has been structured in France. The latter, who are largely absent from the debates that concern them, seem to be a pretext for reinforcing an ever smaller and more dominant ‘entre-soi’, deemed collectively necessary to preserve a right to intervention on which the salvation of its members depends. Then, on the basis of a field study conducted on organized holidays in India, in villages in Madhya Pradesh and Rajasthan, I explain how, in context, local actors appropriate, adapt, divert and negotiate tourist activity to meet their own individual and collective ‘aspirations’. In a reversal of perspective, I show in turn that tourists, prepared for the necessary cultural relativism and thus rendered malleable, serve here as an alibi for political struggles oscillating between conservatism and progressivism. Finally, in a final change of point of view, I emphasize the extent to which the local players we meet in turn contribute to the individual introspection of travelers, leading to a renewed relationship with others and with oneself. This research highlights the fact that, far from serving simple individual or collective interests, the Other, or rather tourism, is a pretext for thinking about the articulation of power relationships and is thus a valuable indicator of the contemporary world in its dynamics of social change.