Thèse en cours

Le financement des entreprises par les cryptoactifs

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Auteur / Autrice : Julien Agbe
Direction : Anastasia Sotiropoulou
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Droit Privé
Date : Inscription en doctorat le 15/09/2018
Etablissement(s) : Orléans
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sciences de la Société : Territoires, Économie et Droit (Centre-Val de Loire ; 2018-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre de recherche juridique Pothier (Orléans ; 1998-....)

Résumé

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Le financement des entreprises est un défi important pour de nombreuses entreprises, en particulier pour les nouvelles entreprises et les entreprises en croissance. Dans un contexte d'incertitudes mondiales où le taux d'inflation est resté constamment inférieure à l'objectif de stabilité des prix , nombre d'entre elles éprouvent de réelles difficultés d'accès au financement obstruant hélas leur capacité de croissance et de développement. Dans la perspective économique actuelle devenue très compétitive comme en témoigne la littérature abondante sur le sujet, le financement des entreprises reste une tâche complexe et difficile face à une demande de plus en plus grandissante du besoin en financement. En effet, l'entreprise, en tant qu'entité économique combinant les facteurs de production (capital, travail, matières premières) dans le but de produire des biens et services destinés à être vendus sur un marché donné, a besoin de ressources et de capitaux pour soutenir sa croissance. Il lui faut dès lors financer ses investissements et son activité. Qu'il faille financer l'activité paraît évident et cela, parce qu'il existe le plus souvent un décalage entre le moment où l'entreprise dépense et celui où elle encaisse. En effet, pour exercer son activité, l'entreprise doit souvent engager des dépenses avant de percevoir des recettes : réalisation des investissements matériels (terrains, installations, constructions) ; achats des matières et fournitures, rémunération de la main d'œuvre etc. Ce n'est qu'ultérieurement, à l'issue de la production et de la commercialisation, que des recettes seront encaissées après la réalisation des ventes. Il y a donc un décalage dans le temps entre les emplois et les ressources concernant aussi bien les investissements que l'exploitation. Ce décalage crée des besoins de financement que l'entreprise devra couvrir en se procurant du financement, pas toujours facile à obtenir, au vu de la rigidité actuelle du financement bancaire classique. Aujourd'hui avec l'avènement de la technologie de la blockchain et des crypto-monnaies, un concept relativement nouveau de financement numérique a émergé , il s'agit du financement ICO « Initial Coin offering » . Cette méthode de financement ICO permet en effet aux entreprises de lever des fonds en émettant des jetons cryptoactifs, plutôt qu'en utilisant des méthodes traditionnelles telles que l'émission d'actions ou d'obligations. Les jetons cryptoactifs sont des actifs numériques basés sur la technologie de la blockchain, qui sont émis et échangés sur des réseaux décentralisés. Les entreprises peuvent émettre des jetons cryptoactifs pour représenter des parts de propriété, des droits de vote, des dividendes ou même des produits et services L'impact du numérique dans le secteur financier, porté par cette technologie (blockchain), a donné naissance à ce tout nouveau mécanisme de mobilisation de fonds sans dilution du capital ni des droits de créance sur l'émetteur. Ce financement cryptoactif (ICO) offre ainsi plusieurs avantages aux entreprises, parmi lesquels une plus grande accessibilité aux investisseurs, une transparence accrue et une exécution rapide des transactions. Les investisseurs peuvent également bénéficier de la liquidité des jetons de crypto-actifs, qui peuvent être facilement achetés et vendus sur les plateformes de marché de crypto-actifs. Le potentiel de ces plateformes de marché sur les crypto-actifs, au vu des évolutions récentes observées en matière de levées de fonds ICO, devrait se développer. Ces plateformes établissent ainsi une nouvelle relation juridique entre les différents acteurs impliqués, des évolutions législatives sont donc nécessaires, afin d'encadrer ces innovations et d'accroître une meilleure sécurité pour les acteurs. La France, qui compte se positionner comme le premier marché pour attirer les ICO en Europe, a déjà commencé à adapter sa loi financière pour l'acclimater à la technologie blockchain. Différents textes normatifs et réglementaires permettent aujourd'hui d'encadrer les cryptoactifs en profondeur, mais pas complètement, compte tenu des innovations qui ne cessent d'émerger dans cette industrie. Il s'agit notamment de l'ordonnance 2016-520 du 28 avril 2016 concernant les bons en espèces prévoyant la possibilité d'enregistrer le problème, la mission et le transfert de minibons dans un dispositif d'enregistrement électronique partagé («Deep»), loi no. 2019-486 du 22 mai 2019 dite loi Pacte qui institue le statut de prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) et règlement 2023/1114 du 31 mai 2023 relatif aux marchés des crypto-actifs dit MiCA (Markets in Crypto- Actifs). Compte tenu du développement accéléré observé sur le marché des crypto-actifs et dans le cadre de la stratégie numérique plus générale de la Commission, la présidente Ursula von der Leyen a souligné la nécessité de trouver « une approche commune avec les États membres sur les crypto-actifs pour garantir que nous puissions tirer le meilleur parti des opportunités ». ils offrent et traitent les nouveaux risques qu'ils peuvent poser. Tout en reconnaissant les risques que pourraient présenter les crypto-actifs, la Commission et le Conseil ont également déclaré conjointement en décembre 2019 qu'ils étaient « déterminés à mettre en place un cadre qui permettra d'exploiter le potentiel que les crypto-actifs sont susceptibles d'offrir ». L'utilisation des cryptoactifs dans le cadre du financement privé des entreprises est donc possible grâce au mécanisme de tokenisation (émission de tokens), mais soulève néanmoins de nombreuses questions réglementaires, juridiques, techniques et économiques qu'il faut éluder. Le présent règlement MiCA qui couvre les crypto-actifs ne relevant pas de la législation existante de l'Union sur les services financiers, ainsi que les jetons de monnaie électronique, poursuit quatre objectifs généraux liés entre eux. Le premier objectif est la sécurité juridique. Pour que les marchés des crypto-actifs se développent au sein de l'UE, il est nécessaire de disposer d'un cadre juridique solide définissant clairement le traitement réglementaire applicable à tous les crypto-actifs qui ne sont pas couverts par la législation existante sur les services financiers. Le deuxième objectif est de soutenir l'innovation. Afin de promouvoir le développement des crypto-actifs et l'utilisation plus large de la DLT, il est nécessaire de mettre en place un cadre sûr et proportionné permettant de soutenir l'innovation et une concurrence loyale. Le troisième objectif est d'instaurer des niveaux appropriés de protection des investisseurs et d'accroitre l'intégrité du marché, étant donné que les crypto-actifs non couverts par la législation existante sur les services financiers présentent un grand nombre de risques identiques à ceux d'instruments financiers plus familiers. Le quatrième objectif est de garantir la stabilité financière. Les crypto-actifs sont en constante évolution. Si certains ont une portée et une utilisation assez limitées, d'autres, comme la nouvelle catégorie des «stablecoins», sont susceptibles d'être massivement utilisés et de devenir systémiques. La présente proposition prévoit des garanties afin de répondre aux risques potentiels pour la stabilité financière et pour la conduite d'une politique monétaire ordonnée qui pourraient résulter des «stablecoins» Issu d'une série de mesures relatives à la finance numérique en Europe, le règlement européen sur les marchés de crypto-actifs (« Markets in Crypto-Assets », dit « MiCA ») vise à encadrer les crypto-actifs qui ne relèvent pas des réglementations existantes en matière d'instruments financiers, en créant un cadre réglementaire européen adapté et équilibré. Il est dès lors nécessaire pour nous de procéder par une analyse systémique de la réglementation en vigueur afin de comprendre les opérations de marchés (primaire , comme secondaire) lié aux ICO , dans le cadre du financement crypto-actifs des entreprises empruntant certaines caractéristiques inhérentes à l'IPO (Introduction en bourse) . On le sait, dans le cadre d'une IPO, le marché primaire traditionnel, également connu sous le nom de marché des émissions, joue un rôle fondamental dans le processus de mobilisation des capitaux pour les entreprises. Il constitue le point de départ où les sociétés émettent de nouveaux titres, tels que des actions ou des obligations, pour lever des fonds. Cette étape initiale dans le cycle financier est essentielle, car elle permet aux entreprises de financer leurs projets d'expansion, d'innovation et de développement. Le mécanisme des ICO suit ainsi la même logique du marché primaire. En effet , l'une des principales fonctions du marché primaire est de faciliter la collecte de capitaux frais. Lorsqu'une entreprise décide d'émettre de nouveaux titres, elle offre aux investisseurs la possibilité d'acquérir une partie de la propriété de l'entreprise (dans le cas des actions) ou de prêter de l'argent à l'entreprise (dans le cas des obligations). Ces titres (actions ou obligations) , aussi appelés valeurs mobilières sont totalement dématérialisées en France depuis 1981 . Cela signifie qu'on ne les trouve plus en circulation en format « papier » . Les valeurs mobilières - et plus largement les titres financiers - sont inscrites dans un compte ouvert au nom de leur propriétaire , tenu par l'émetteur ou par un intermédiaire habilité , et leur transmission s'opère par un simple jeu d'écriture comptable - un virement - du donneur d'ordre vers le bénéficiaire en passant par le teneur de compte ou l'intermédiaire habilité . Malgré cette dématérialisation, une distinction a survécu : les valeurs mobilières revêtent la forme de « titres au porteur » ou de « titres nominatifs » . Historiquement, on distinguait les titres nominatifs et les titres aux porteurs en ce que les premiers étaient inscrits sur un registre tenu par l'émetteur ou un intermédiaire tandis que les titres aux porteurs étaient anonymes. Pour circuler, les premiers devaient faire l'objet d'une inscription sur les registres, tandis que les seconds ne devaient faire l'objet que d'une simple tradition manuelle (ils circulèrent de la main à la main comme des billets de banque). Malgré la dématérialisation, cette distinction a donc survécu mais a dû évoluer, puisque tous les titres sont, quelle que soit leur forme, nominative ou au porteur, nécessairement inscrits sur un registre et font l'objet de mentions identiques. Ces fonds nouvellement levés à ( IPO) à travers le marché primaire sont ensuite utilisés pour financer diverses dépenses d'investissements de l'entreprise, telles que l'acquisition d'immobilisation, la construction d'infrastructures, la recherche et développement, l'expansion géographique ou le remboursement de dettes existantes. Le marché primaire est particulièrement crucial pour les entreprises en phase de croissance ou celles cherchant à entrer sur les marchés financiers pour la première fois. Ce marché offre une plateforme leur permettant de lever des fonds de manière transparente et réglementée et ou les prix des instruments émis de ne sont pas négocié. Leur prix reste stable , c'est cela le principe du marché primaire. Cette injection initiale de capitaux fournit à ces entreprises les ressources nécessaires pour concrétiser leurs plans stratégiques, stimulant ainsi l'activité économique. De plus, le marché primaire est un moteur de l'innovation et de la compétitivité. En encourageant les entreprises à rechercher des financements externes, il favorise le développement de nouvelles technologies, de produits et de services. Les investisseurs, quant à eux, ont la possibilité de participer à ces entreprises novatrices dès le début, potentiellement réalisant des gains significatifs à mesure que ces sociétés se développent et prospèrent. Le marché primaire contribue ainsi à l'évaluation juste des entreprises en établissant le prix initial de leurs titres. Les mécanismes d'enchères ou d'émission permettent de déterminer la valeur des titres en fonction de la demande du marché et des perspectives de croissance de l'entreprise émettrice. Ces prix équitables et stables fournissent des signaux importants aux investisseurs, facilitant une allocation efficace des ressources financières. En somme, le marché primaire est le pilier sur lequel repose la mobilisation initiale des capitaux pour les entreprises. Il offre une plateforme essentielle pour la croissance économique en permettant aux entreprises d'accéder aux fonds nécessaires pour concrétiser leurs ambitions et contribuer ainsi au dynamisme et à la compétitivité du secteur économique. Une fois ces titres préalablement souscrits à un prix , sont admis par la suite à la cotation sur le marché secondaire , les investisseurs peuvent entre eux échanger ces titres sur ce marché secondaire. Ces titres sont soumis à la loi de l'offre et de la demande. On dit que ces titres sont négociés. Historiquement, cette offre et cette demande se rencontrent sur des marchés, entendus comme des lieux de discussion et de négociation entre investisseurs. Lorsqu'ils portaient sur des valeurs mobilières, les marchés étaient initialement appelés « bourses de valeurs », mais l'on préfère aujourd'hui le terme des « marchés financiers ». Ceux-ci ont un rôle très important dans l'économie, car ils permettent l'allocation de l'épargne aux entreprises les plus performantes. En effet, les marchés financiers permettent aux sociétés qui y ont accès de se financer en offrant leurs titres (de capital ou de créance) au public ; ils facilitent également le drainage de l'épargne des ménages et des investisseurs en dehors du système bancaire ; enfin, ils assurent les échanges de titres (ont dit qu'ils contribuent à leur liquidité) car ils sont en mesure de mettre en relation un grand nombre d'investisseurs et un grand nombre de titres à la vente. Le financement des entreprises par cryptoactifs (ICO) que nous étudierons dans la première partie de nos travaux reste pour le moins une belle et plutôt réussie innovation des IPO (primaire marché, marché secondaire) précitées digitalisées, avec toutefois quelques nuances. Elle se traduit par l'émission de crypto-actifs sur un marché primaire « plateforme de tokenisation ou d'émission », puis leur admission aux négociations sur un marché secondaire pour une cotation régulière (cotation). Ces cryptoactifs émis proviennent du mécanisme connu sous le nom de tokenisation des actifs. Il s'agit pour l'entreprise d'émettre des tokens numériques, encore appelés utility tokens, représentant un service et/ou un produit actuel ou futur de l'entreprise, qu'elle souhaite vendre à des investisseurs en vue de mobiliser des capitaux nécessaires au financement de ses opérations (OPEX = Operating Expenditure) ou de ces investissements à long terme (CAPEX = Capital Expenditure). Par ailleurs, l'inscription des investisseurs (abonnés) sur ces plateformes numériques de financement automatise le principe de liberté contractuelle, en leur permettant de sélectionner librement (contrat d'adhésion) les entreprises qu'ils souhaitent accompagner en priorité, au travers de la souscription sur le marché primaire du jetons utilitaires émis. L'examen du droit financier et du droit positif en vigueur nous amènera à analyser dans une première partie le mécanisme blockchain et son applicabilité à la finance à travers l'émission de crypto-actifs ICO. Dans une deuxième partie, nous analyserons le régime d'échange des crypto-actifs et leur admission sur le marché secondaire. Il s'agira à terme d'expliquer ces nouveaux mécanismes de mobilisation de capitaux, de comprendre les règles de négociation des crypto-actifs émis et de montrer leur utilité pratique pour que les entreprises puissent se les approprier, dans un contexte où l'accès au financement bancaire reste difficile pour de nombreuses petites entreprises et les entreprises de taille moyenne.