Administrer la laïcité : la politique de lutte contre les ''atteintes à la laïcité'' dans l'Éducation nationale
Auteur / Autrice : | Vanille Laborde |
Direction : | Franck Frégosi, Lorenzo Barrault-Stella |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Science politique |
Date : | Soutenance le 15/09/2023 |
Etablissement(s) : | Aix-Marseille |
Ecole(s) doctorale(s) : | École Doctorale Sciences Juridiques et Politiques (Aix-en-Provence) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Mesopolhis (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône) - Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris |
Jury : | Président / Présidente : Patrick Hassenteufel |
Examinateurs / Examinatrices : Patrick Hassenteufel, Laure Bereni, Anne-Cécile Douillet, Claire de Galembert, Benjamin Moignard | |
Rapporteur / Rapporteuse : Laure Bereni, Anne-Cécile Douillet |
Mots clés
Résumé
À partir du cas de la laïcité scolaire en France (2015-2021), cette thèse interroge ce que le cadrage d’un problème public dans les agendas politiques et médiatiques fait aux pratiques routinières de mise en œuvre d’une politique publique. Elle propose une ethnographie de l’administration scolaire de la laïcité, à partir d’une immersion de plusieurs mois dans les services du rectorat d’Aix-Marseille, complétée de plus de 140 entretiens avec des cadres intermédiaires situés à trois échelles de l’Éducation nationale (en établissements, au rectorat, en administration centrale). L’enquête porte en particulier sur un dispositif de signalement des « atteintes à la laïcité » à l’École, installé à la suite de l’alternance politique de 2017. Administrer la laïcité, c’est transformer un symbole républicain en politiques publiques : c’est créer des dispositifs qui emblématisent l’action des représentants politiques, dégager des budgets, formaliser un travail bureautique sur le « problème laïque », professionnaliser des acteurs (les référents laïcité, chargés de mission laïcité, etc.). Administrer la laïcité, c’est ensuite, pour les acteurs politiques et bureaucratiques centraux, tenter de gouverner les pratiques de mise en œuvre : la thèse étudie la façon dont la dimension symbolique de l’action publique travaille les routines administratives. Elle montre que les cadres intermédiaires sont constitués en « petites mains » du politique. Ils participent activement à l’entretien de la façade institutionnelle, notamment par la production de chiffres d’« atteintes à la laïcité », destinés à afficher le volontarisme politique dans les espaces médiatiques. Les acteurs de la mise en œuvre sont aussi enrôlés dans la surveillance des pratiques religieuses – en particulier musulmanes – : l’injonction au signalement résulte d’une renégociation de la division du travail étatique de repérage d’individus « à risque ». Enfin, administrer la laïcité, dans le quotidien des cadres de l’Éducation nationale des échelles intermédiaires et locales, c’est aussi donner un sens et une forme concrète à une politique emblématique de l’action des représentants de l’École. En analysant la manière dont les appropriations du dispositif de signalement transforment les normes de gouvernement, cette recherche renseigne sur la consistance du rôle d’intermédiaires administratifs du politique. Elle montre que l’ambiguïté de la catégorie « atteinte à la laïcité » est saisie par les acteurs scolaires comme une ressource : le dispositif de laïcité est investi pour compenser des carences en reconnaissance symbolique et matérielle, pour interpeler la hiérarchie sur des problématiques du quotidien professionnel, pour étiqueter la déviance scolaire, pour concrétiser des aspirations de carrière ascendante ou encore pour défendre des causes propres au sein de l’administration. La thèse contribue finalement à une sociologie politique de l’action publique qui étudie relationnellement les enjeux de légitimation politique sur les scènes visibles et les pratiques discrètes de mise en œuvre dans les coulisses de l’administration. Elle donne à voir un tournant disciplinaire et sécuritaire de la laïcité scolaire, tout en produisant des résultats sur la relation entre mise en scène symbolique de l’action publique et transformation substantielle des routines administratives, sur la manière dont une politique emblématique peut reconfigurer les frontières professionnelles et sectorielles. Elle éclaire les formes de « jeux avec » des instruments d’action publique fortement investis par les élites politiques et bureaucratiques, tout en portant une attention centrale aux résistances administratives aux mots d’ordre du politique, que les cadres intermédiaires justifient en invoquant une loyauté à l’institution et au service public