L'utilisation des outils de la politique de concurrence et du marché intérieur à des fins de politique énergétique dans l'Union européenne
Auteur / Autrice : | Adrien De hauteclocque |
Direction : | Claire Vial, Christophe Maubernard |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Droit Public |
Date : | Inscription en doctorat le 01/10/2023 |
Etablissement(s) : | Université de Montpellier (2022-....) |
Ecole(s) doctorale(s) : | Ecole doctorale Droit et science politique |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : IDEDH - Institut de Droit Européen des Droits de l'Homme |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
Le changement climatique est l'un des défis les plus importants de notre époque. La transition des sociétés européennes vers la neutralité carbone a plus que jamais placé la politique énergétique au cur des préoccupations, tout en modifiant sa finalité même, voire sa nature. La politique énergétique doit désormais être considérée non seulement comme une politique climatique stricto sensu mais également comme le cur de cette dernière. Les deux politiques doivent donc désormais être pleinement intégrées, atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 dépendant en grande partie de notre capacité à repenser en profondeur nos systèmes énergétiques. Lors de mon PhD in Law en 2009, puis en parallèle à plus de 10 ans d'expérience professionnelle au Tribunal de l'Union européenne, j'ai construit un portefeuille de publications académiques variées, centrées sur le droit de la politique énergétique et le chemin des sociétés européennes vers la neutralité carbone. J'ai présenté mes recherches dans un grand nombre de conférences internationales et de séminaires. En terme de méthodologie, j'ai toujours combiné l'analyse doctrinale avec les acquis de la théorie de la régulation et du « law & economics », dans une perspective empirique. Depuis le début de mon parcours académique, j'ai également travaillé avec des chercheurs en sciences sociales d'autres disciplines et certaines de mes publications ont été co-écrites avec des économistes. Le défi du changement climatique est transnational par essence, ce qui implique de mener des recherches de portée internationale, au sein d'un réseau d'universitaires couvrant tout le continent et au-delà. Mon implication de longue date à l'Institut universitaire européen de Florence m'aide à cet égard. À ce jour, mes activités de recherche se sont structurées autours de trois axes de réflexion principaux : les outils de l'intégration des marchés de l'énergie en Europe, la régulation des infrastructures énergétiques nationales et transfrontalières, la digitalisation du secteur énergétique. En particulier, l'utilisation de la politique de concurrence (notamment le contrôle des pratiques anti-concurrentielles et le contrôle des aides d'État) à des fins de construction d'un marché libéralisé et intégré au niveau de l'Union a constitué le thème récurrent de mes recherches depuis une quinzaine d'années. Réflexion sur les outils de l'intégration En l'absence d'un vrai régulateur européen des marchés de l'énergie, comme d'une base juridique dédiée dans les traités jusqu'en 2009 (nouvel Article 194 TFUE), l'intégration des marchés européens de l'énergie s'est principalement poursuivie par la voie des directives d'harmonisation (logique « marché intérieur ») et de l'utilisation de la politique de concurrence. Mon ouvrage Market Building through Antitrust, tiré de mon PhD in Law, a ainsi étudié le rôle de la politique de concurrence, en particulier sa composante antitrust (lutte contre les abus de position dominante et les pratiques concertées), dans la construction de marchés de l'énergie concurrentiel en Europe. En examinant le problème spécifique des contrats de fourniture et d'accès au réseau à long terme dans le secteur de l'électricité, l'ouvrage questionne la pertinence de la politique antitrust en tant qu'outil de construction du marché. Il montre que le système juridique et institutionnel qui précédait la réforme concurrentielle, ainsi que les logiques politiques dans les différents États membres, ont largement façonné les dynamiques à l'uvre dans la pratique européenne de la réglementation de l'énergie. En particulier, le droit de la concurrence a de plus en plus été utilisé comme un outil réglementaire quasi ex ante, ce qui pose des problèmes d'efficacité économique, de sécurité juridique et de légitimité politique. Ces travaux ont donné lieu à de nombreux articles et chapitres d'ouvrages, mentionnés dans la liste de publication. Si la politique antitrust, au niveau des États membres comme de l'Union, a été particulièrement active depuis l'enquête sectorielle de la Commission européenne en 2005, le contrôle des aides d'État a constamment gagné en importance lors de la décennie 2010, en tant qu'outil d'intégration « négative », dès lors que la politique énergétique devenait un enjeu majeur de la politique climatique. Mes recherches s'y sont alors plus particulièrement attachées, en étudiant plus particulièrement la question de la régulation des prix, des services d'intérêts économiques généraux et des mécanismes de capacités. J'ai notamment co-édités deux volumes sur le sujet qui sont devenus des références. J'ai également mené des recherches concernant les outils de l'intégration « différenciée ». En effet, depuis le début du processus de libéralisation, la prise en compte de la diversité des systèmes nationaux et des préférences conflictuelles en ce qui concerne le rythme et la portée du développement de la politique énergétique de l'Union ont été des problèmes récurrents. La paralysie institutionnelle qui tend à en résulter, la faible réactivité aux événements et les changements ainsi que les marchandages politiques systématiques, tels qu'ils sont apparus par exemple depuis le début de la crise ukrainienne, plaident pour la mise en uvre d'un cadre alternatif qui permette aux États membres de promouvoir des politiques communes ad hoc, tout en échappant à certaines contraintes formelles et procédurales du droit de l'Union. L'accord « Schengen » en est un exemple réussi. Suivant cet exemple, j'ai soutenu avec mes coauteurs dans l'article Differentiated Integration Revisited: EU Energy Policy as Experimental Ground for a Schengen Successor? [39(2) Legal Issues of Economic Integration (2012), 249-272] que certains domaines de la politique énergétique de l'Union se prêterait particulièrement bien à une telle approche. La possibilité d'avancer au moyen d'accords intergouvernementaux entre plusieurs États membres dans certains domaines a été illustré dans deux domaines : le nucléaire et la politique de sécurité d'approvisionnement gazière. Réflexions sur la régulation des infrastructures énergétiques nationales et transfrontalières Le secteur de l'énergie (électricité et gaz) a la particularité d'être une industrie de réseau. Ce réseau (de transport) a toutes les caractéristiques d'un monopole naturel, ce qui justifie l'intervention de la puissance publique tant pour encadrer l'accès des tiers, qui en ont nécessairement besoin pour entrer sur le marché, que pour en assurer la pérennité, voire le développement (investissement). L'existence de ce réseau, ainsi que le besoin de le développer et de le réguler au niveau transfrontalier pour permettre la création du marché intérieur, est la source de bon nombre des difficultés que nous connaissons depuis le début du processus de libéralisation, ainsi que de nombreuses innovations réglementaires (création des autorités de régulation indépendantes et application innovante de la politique de concurrence notamment). Garantir l'accès à un réseau énergétique véritablement « européen » pour chaque consommateur et fournisseur de l'Union est donc un objectif central. Mes recherches à cet égard ont tout d'abord porté sur les spécificités de l'application de la politique de concurrence, en particulier en matière d'abus de position dominante, aux comportements unilatéraux des gestionnaires de réseaux. Les gestionnaires de réseaux, historiquement verticalement intégré avec les activités de production et de revente aux consommateurs finaux, ont en effet longtemps été des obstacles à l'entrée sur le marché de nouveaux acteurs, en adoptant des comportements discriminatoires. Dans le chapitre The Essential Facilities Doctrine in European Competition Policy: The Case of the Energy Markets, nous montrons que les autorités de régulation et de concurrence européennes, comparé à leurs homologues aux États-Unis par exemple (c'est partiellement une étude de droit comparé), ont eu tendance à privilégier une interprétation extensive des obligations pesant sur les gestionnaires de réseaux en ce qui concerne l'accès des tiers (allant jusqu'à l'obligation d'investir), faisant des infrastructures énergétiques de vraies « facilités essentielles », afin de faire advenir la concurrence plus rapidement. Mes recherches ont ensuite porté, d'une part, sur la comparaison, du point de vue juridique, de l'évolution du régime d'accès des tiers au réseau dans les secteurs de l'électricité et du gaz. Les recherches ont conclu à de fortes similitudes pour deux secteurs par ailleurs très différents, ainsi qu'une influence du régime électrique sur le régime gazier. La réglementation sectorielle, complété par l'utilisation du droit de la concurrence, privilégie dans les deux secteurs l'allocation de capacité de transport à court terme, avec des plates-formes liquides de négoce. Toutefois, dans l'électricité, le développement des initiatives de « couplage » des marchés voisins crée de nouveaux enjeux réglementaires, bien que la convergence des prix soit en vue. Dans le gaz, les progrès ont été plus lents et des marchés secondaires de la capacité fonctionnant efficacement n'ont pas encore émergé. D'autre part, j'ai mené dans le cadre de la Florence School of Regulation une étude au sujet du système de réglementation britannique concernant l'électricité importée par interconnecteur sous-marin, de France et des Pays-Bas notamment. Cette étude a démontré que cette réglementation n'était pas alignée avec le droit de l'Union, en discriminant sans justification économique ou juridique les importations. Ce régime a d'ailleurs été amendé depuis. Enfin, j'ai mené un long projet de recherche concernant les projets d'infrastructures transfrontalières non régulées, c'est-à-dire des projets d'investissement portés par des opérateurs privés à des fins commerciales et bénéficiant d'exemptions de dispositions du droit sectoriel, notamment l'accès des tiers au réseau, pour compenser le risque de tels projets. Ces recherches ont montré, d'une part, que les décisions adoptées par les autorités de l'Union souffraient de biais contestables en favorisant les projets portés par les gestionnaires de réseaux eux-mêmes, au détriment des projets portés par des producteurs d'électricité certes fréquemment en position dominante. Cette stratégie est erronée car elle ne tient pas compte à la fois des nouvelles incitations des producteurs à développer ce type d'infrastructure et des conflits d'intérêts entre les activités régulées et non régulées des gestionnaires de réseaux. Ces recherches se sont ensuite attachées à définir une nouvelle répartition des pouvoirs réglementaires fondée sur une démarcation plus claire entre les pouvoirs de surveillance de marché des régulateurs et les compétences antitrust des autorités de concurrence. Réflexion concernant la relation entre les transitions énergétiques et numériques de nos sociétés C'est l'axe de recherche le plus récent que j'ai développé. Il a donné lieu, à ce stade, à deux publications. Les transitions énergétique et numérique interagissent à travers un certain nombre de complémentarités et, en réalité, d'interférences, encore largement méconnues. Par exemple, alors que la numérisation du secteur électrique lui-même pourrait être le facteur clé permettant le déploiement massif des énergies renouvelables, la numérisation de nos sociétés dans leur ensemble est particulièrement énergivore, en contradiction avec nos objectifs d'efficacité énergétique. Mes premières recherches ont visé à expliciter les interactions entre ces deux transitions « jumelles ». Dans un second temps, j'ai développé un projet de recherche concernant les pratiques anti-concurrentielles liées aux données dans le secteur de l'énergie et qui donnera lieu à une publication en 2023.