Thèse en cours

Le contrôle juridictionnel de l'état d'exception en droit public français

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Auteur / Autrice : Théo Brillanti
Direction : Ariane Vidal-naquet
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : En droit spécialité Droit public
Date : Inscription en doctorat le 01/09/2020
Etablissement(s) : Aix-Marseille
Ecole(s) doctorale(s) : École Doctorale Sciences juridiques et politiques (Aix-en-Provence)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : DICE - Droits International, Comparé et Européen
Equipe de recherche : GERJC - Groupe d'Etudes et de Recherches sur la Justice Constitutionnelle

Résumé

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Présentation du sujet 1. La survenance de la pandémie de Covid-19 au début de l'année 2020 a suscité l'apparition de régimes d'exception dans un grand nombre d'ordres juridiques. Comme face à d'autres périls et menaces, ceux-ci ont servi de fondement à des mesures exorbitantes du droit commun, visant à juguler efficacement la crise. Certes plus permissif à l'égard des pouvoirs publics, le contrôle de ces mesures a largement été éprouvé par les autorités juridictionnelles. Toutefois, la phase du déclenchement de l'état d'exception - pourtant à l'origine de ces mesures dérogatoires et attentatoires aux libertés - demeure empreinte d'une grande discrétionnarité, rendant difficile à circonscrire la perspective de son contrôle. 2. L'état d'exception consiste en la mise en œuvre d'un régime dérogatoire au droit commun justifiée par l'existence d'une menace grave, mettant en péril des principes et intérêts particuliers devant être préservés. L'idée de déclenchement recouvre les décisions et actes pris par les autorités compétentes marquant le début de l'application du régime d'exception. Elle se rattache aussi bien au choix d'y recourir qu'aux actes juridiques qui en désignent l'entrée en vigueur. Quant à la notion de contrôle, elle sera ici entendue comme relevant de l'appréciation qui pourrait être portée par une autorité autre que celle qui est à l'origine de l'état d'exception et qui pourrait avoir pour effet d'en empêcher ou d'en arrêter l'application. 3. L'adoption de régimes d'exception est devenue un des moyens privilégiés pour faire face aux crises et aux situations exceptionnelles dans un grand nombre d'ordres juridiques. Précédemment sécuritaire pour lutter contre la menace terroriste, l'état d'exception est récemment devenu sanitaire, avant peut-être de devenir climatique, social, économique ou encore migratoire à l'avenir. 4. Compte tenu de l'allègement des contraintes normatives pesant sur le fonctionnement des pouvoirs publics qu'induit un tel régime juridique, la certitude de ne pas pouvoir résoudre la crise par des moyens relevant du droit commun doit être avérée. C'est la gravité de la situation emportant la proclamation de l'état d'exception qui permet des restrictions aux droits et libertés visant au rétablissement d'une situation normale. Elle doit à ce titre être suffisamment établie et ne pas relever de la simple opportunité politique. 5. C'est en ce sens que se pose la question d'un contrôle du déclenchement du régime d'exception. Le choix d'y avoir recours relève en principe d'un acte éminemment discrétionnaire et fondamentalement politique qui, selon C. SCHMITT, révèle l'exercice d'un pouvoir souverain. G. AGAMBEN va même jusqu'à considérer qu'une telle décision se trouve « à l'intersection entre le juridique et le politique ». 6. Nonobstant l'aspect de décision politique que revêt le déclenchement des états d'exception, il apparait néanmoins que ces derniers trouvent leur source dans le droit positif et dans les normes juridiques. Celles-ci prévoient leurs conditions d'entrée en vigueur, les actes susceptibles d'être adoptés en période exceptionnelle, les dérogations aux conditions normales d'exercice du pouvoir ou encore les dérogations aux libertés pouvant être mises en oeuvre. C'est notamment le cas en France où les deux régimes d'état d'urgence, sanitaire et sécuritaire, sont prévus par le législateur, mais également en Espagne où c'est l'article 116 de la Constitution qui sert de fondement aux états d'urgence, d'alerte et de siège. 7. Ce paradoxe étant ainsi évoqué, le déclenchement de l'état d'exception soulève certaines interrogations quant à la perspective de son contrôle. Tout d'abord, ce contrôle est-il possible ? Le cas échéant, au regard de quels principes peut-il être réalisé ? Ensuite, l'autorité juridictionnelle, qu'elle soit constitutionnelle ou de droit commun, est-elle compétente pour le mettre en oeuvre ? 8. Ces questions impliquent une réflexion concernant la nature du contrôle susceptible d'être opéré quant au recours à l'état d'exception. L'idée d'un contrôle non-juridictionnel exercé par des autorités administratives doit être envisagée, et semble notamment pouvoir être assimilée à l'hypothèse des avis rendus par le Conseil d'État quant à la proclamation de l'état d'urgence. La question de l'inclusion à cette catégorie des avis consultatifs rendus par le conseil scientifique sur la prorogation de l'état d'urgence sanitaire doit toutefois être posée. 9. La perspective d'un contrôle de nature politique, exercé par les représentants du peuple, ne doit pas non plus être exclue, et peut consister en la soumission à l'appréciation du Parlement de la décision l'exécutif de recourir à l'état d'exception. C'est le cas de la proclamation des pouvoirs exceptionnels du gouvernement au Royaume-Uni qui « suppose une autorisation du Parlement pour pouvoir entrer en vigueur ». En outre, l'hypothèse de la consultation des hautes autorités politiques de l'État et du Conseil constitutionnel prévues lors de l'application de l'article 16 de la Constitution permet d'envisager qu'un tel contrôle puisse revêtir une forme particulière et une étendue plus restreinte, compte tenu de la nature de son objet. 10. Si la nécessité d'un contrôle juridictionnel des mesures de l'état d'exception s'est imposée afin de préserver les droits et libertés d'atteintes disproportionnés, la légitimité et la place du juge lors de son déclenchement suscitent certains problèmes. À ce titre, la doctrine comme l'opposition politique ont, depuis la proclamation de l'état d'urgence en novembre 2015, reproché à la majorité présidentielle d'avoir volontairement fait échapper les lois le proclamant ou le prorogeant au contrôle de constitutionnalité a priori. Pour autant, était-ce le rôle de la justice, constitutionnelle comme ordinaire, de se prononcer sur la nécessité de recourir à un régime d'exception ? 11. L'hypothèse d'un contrôle juridictionnel du déclenchement de l'état d'exception se heurte en effet à certaines difficultés concernant les conditions et la durée d'un tel recours. Si le but est de permettre à une autorité juridictionnelle de mettre fin à l'application du régime d'exception, doit-il être possible tout au long de son application ? Un délai particulier doit-il être fixé ou ne doit-il être possible qu'en amont de la proclamation ? Aussi, la question des autorités ou justiciables en mesure de saisir la justice pour engager le contrôle du déclenchement de l'état d'exception doit être posée. 12. Que le contrôle du déclenchement de l'état d'exception soit politique, juridictionnel ou non-juridictionnel, les questions relative aux conditions de son ouverture, à son étendue et aux autorités susceptibles de le mettre en oeuvre seront conditionnées par les spécificités de cette notion. La soumission au droit des régimes d'exception suscite donc de nombreuses interrogations, compte tenu de leur récurrence et du caractère politique de la décision d'y recourir. C'est ainsi la perspective de confronter des notions aux confluents de la politique, du droit et de la nécessité qui justifie les enjeux conceptuels d'une étude qui y serait consacrée (II). Intérêt du sujet 13. L'enjeu principal de la thèse projetée consiste en l'approfondissement de l'étude des rapports entre droit et politique. Apprécier cette distinction par le biais du contrôle d'une situation exceptionnelle dans le fonctionnement d'un ordre juridique permettra d'appréhender sous un angle novateur certaines théories jurisprudentielles telles que les actes de gouvernement, les circonstances exceptionnelles ou les questions politiques. 14. L'objectif sera notamment d'analyser la retenue de l'autorité juridictionnelle face à l'exercice de compétences particulières des autorités pour situer le curseur distinguant la décision juridique de la décision politique. Il s'agira notamment d'envisager l'autorité la plus à même de recevoir et traiter des contestations relatives à l'édiction d'un acte aussi politique que le déclenchement de l'état d'exception. 15. Il s'agira ensuite d'approfondir la signification de la notion d'état d'exception de même que ses conséquences juridiques, à une époque où le recours à celui-ci est de plus en plus banalisé dans la réponse aux situations de crises. Un enjeu pratique doit également être envisagé puisque le contrôle du déclenchement est susceptible d'avoir des conséquences sur le cadre juridique de l'état d'exception et sur les mesures pouvant être adoptés sous son empire. Indications méthodologiques 16. La thèse projetée consistera en une étude juridique de la mise en oeuvre des états d'exception. Bien que cette notion revête des aspects philosophiques, politiques ou encore sociologiques, l'étude sera menée selon une approche strictement juridique des concepts qui y seront mobilisés. 17. Il s'agira d'étudier à la fois le droit dispositionnel et jurisprudentiel relatif aux régimes d'exception pour appréhender les conditions et modalités du contrôle de leur déclenchement. Il s'agit donc d'analyser ce que prévoient les normes juridiques posant l'existence des régimes d'exception tout en envisageant leur interprétation par les autorités juridictionnelles et les autorités politiques se prononçant sur leur mise en oeuvre. 18. Le recours à une approche comparatiste s'impose en vue de la réalisation d'une telle étude compte tenu du recours à l'état d'exception constaté dans de nombreux États, notamment pour faire face à la crise épidémique du Covid-19. Puisque l'étude proposée consiste en l'analyse d'un phénomène ayant été mis en place pour répondre aux crises terroristes et sanitaires récentes dans une majorité d'ordres juridiques, l'emploi d'éclairages de droit comparé sera nécessaire à la compréhension et à l'analyse des enjeux que nous avons précédemment relevé.