Création et évaluation d'outils digitaux thérapeutiques basés sur les thérapies comportementales et cognitives de deuxième et troisième vague visant la réduction de symptomatologies dépressives et anxieuses.
Auteur / Autrice : | Raphaël Garcia-romeu |
Direction : | Isabelle Milhabet, Galina Kostadinova Iakimova |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Psychologie |
Date : | Inscription en doctorat le 01/06/2018 |
Etablissement(s) : | Université Côte d'Azur |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Sociétés, humanités, arts et lettres (Nice ; 2016-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Laboratoire d'Anthropologie et de Psychologie Cognitives et Sociales-EA 7278 (Nice ; 2012-2016) |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
Projet de thèse initial : Le présent projet de thèse s'inscrit dans une collaboration avec l'entreprise Ignilife, créatrice d'une plateforme informatisée de prévention santé, dans le cadre d'une CIFRE (dossier soumis). La thèse a pour objectif principal la création et l'évaluation en termes d'efficacité et d'expérience utilisateur d'une solution mobile pour la dépression qui repose sur les TCC et plus spécifiquement sur l'ACT qui est une approche thérapeutique appartenant à la troisième vague des TCC. Elle a une visée théorique et appliquée et se présentera sous la forme d'une thèse sur articles. I. État de l'art L'état de l'art a pour objectif de présenter la place des nouvelles technologies et plus spécifiquement des applications mobiles dans le soin de la dépression. À cette fin, la dépression sera exposée ainsi que les TCC comme thérapies privilégiées pour une utilisation informatisée. Enfin, nous insisterons sur l'intérêt d'utiliser les thérapies d'acceptation et d'engagement dans la mise en place d'une application mobile à visée préventive et de soin. 1. La dépression Dans la classification internationale des maladies de l'OMS (CIM-10, World Health Organization, 1992), la dépression fait partie des troubles de l'humeur et est déclinée en trois degrés de sévérité (léger, moyen, sévère) en fonction du nombre de symptômes ou de leur gravité et peut être épisodique ou récurrente. L'épisode dépressif est caractérisé par une baisse de l'humeur, une réduction de l'énergie et une diminution de l'activité. À ceci s'ajoutent des difficultés à éprouver du plaisir, une tendance à la perte de l'intérêt, des problèmes de concentration, une importante fatigabilité. La dépression est la première cause d'incapacité dans le monde et toucherait 300 millions de personnes . L'augmentation de sa prévalence dans le monde a été estimée à 18% entre 2005 et 20151. Bien qu'il existe actuellement des traitements efficaces contre la dépression (Khan et al., 2012), peu de personnes touchées par la dépression accèdent à un traitement1. La dépression représente également un problème économique. En effet, associée à l'anxiété, le coût mondial annuel de la dépression a été estimé à près de 1000 milliards de dollars (Chisholm et al., 2016). De multiples thérapies sont utilisées de longue date avec plus ou moins de succès (Cuijpers et al. 2011). Parmi ces diverses thérapies, il y a notamment les thérapies comportementales et cognitives, l'activation comportementale, la thérapie d'auto-contrôle, la thérapie basée sur la résolution de problèmes, la thérapie interpersonnelle, la psychothérapie psychodynamique à court terme, les thérapies basées sur la méditation en pleine conscience ou encore la thérapie d'acceptation et d'engagement. 2. Les TCC et les nouvelles technologies L'efficacité des Thérapies Comportementales et Cognitives (TCC) dans le traitement de la dépression est aujourd'hui avérée (Hofmann et al., 2012 ; Vittengl et al., 2007 ; Driessen & Hollon, 2010 ; Jorm et al., 2008 ; Tolin, 2010). Ces dernières années, des approches thérapeutiques reposant sur les TCC et les nouvelles technologies ont vu le jour. Elles revêtent différentes formes notamment celle de plateforme d'échange avec des thérapeutes via des messageries instantanées (e.g., Talkspace ), de chatbot (e.g., Woebot ), de thérapeutes virtuels (e.g., SimSensei ) de thérapies sans l'intervention de thérapeutes (e.g., c-TCC, cf., Iakimova et al., 2016), de procédures informatisées de modifications des biais cognitifs (Cristea et al., 2015 ; Menne-Lothmann, 2014), de jeux sérieux (e.g., SPARX, Merry et al., 2012). Elles offrent l'avantage d'être peu coûteuses dans leur mise en place et d'être plus accessibles que des thérapies en face à face. Le nombre d'applications mobiles pour la santé mentale ne cesse de croître. Parmi les 117 applications pour la dépression sélectionnées initialement pour leur méta-analyse, Huguet et al. (2016) n'en ont retenu que 12 qui reposent sur les TCC ou l'activation comportementale. Une méta-analyse (Firth et al., 2017) a étudié 16 essais randomisés contrôlés portant sur l'évaluation d'applications mobiles qui ciblaient les symptômes de la dépression. Elle rapporte un effet modéré sur les symptômes de la dépression dans le cas de dépressions auto-rapportées d'intensité moyenne à modérée. Les auteurs concluent que ces applications sont des outils d'auto-gestion idéals pour des dépressions peu sévères et pourraient également être utilisées dans un objectif de prévention. Bakker et al. (2016) ont formulé des recommandations pour la construction d'applications pour la dépression, notamment celle d'utiliser les TCC. Mohr et al. (2017a) ont proposé des méthodes de construction et d'évaluation des applications. Stoyanov et al. (2015) ont créé une échelle de notation des applications mobiles pour la santé (MARS, Mobile Application Rating Scale) qui permet de les évaluer sur l'engagement, la fonctionnalité, l'esthétique, l'information fournie, la qualité subjective et l'impact perçu. La Haute Autorité de Santé a mis au point un guide des bonnes pratiques sur les applications mobiles pour la santé dans lequel elle donne 101 critères classés portant sur les informations utilisateurs, le contenu de santé, le contenant technique, la sécurité/fiabilité et l'utilisation/usage. 3. Troisième vague des TCC : intérêt de l'ACT pour l'utilisation dans une application mobile La thérapie d'acceptation et d'engagement (ACT) fait partie de la troisième vague des TCC. C'est une approche transdiagnostic qui se centre sur la flexibilité psychologique et la réduction de l'évitement expérientiel à travers l'engagement dans des valeurs importantes pour le patient et l'acceptation d'évènements psychologiques problématiques (Ducasse & Fond, 2015). Plusieurs méta-analyses ont montré l'intérêt thérapeutique de l'ACT (A-Tjak et al., 2014 ; Hacker et al., 2016 ; Hayes et al., 2006). L'une d'elles (Brown et al., 2016) conclut que la thérapie ACT délivrée par internet est efficace dans le traitement de la dépression et qu'il s'agit d'une approche thérapeutique acceptable pour les patients et le public en général. Il est pertinent de l'utiliser à des fins préventives car elle se centre sur l'activation de processus psychologiques en amont du symptôme. Notamment l'évitement expérientiel qui expliquerait 16 à 28% de la variance dans les problèmes de santé (Hayes et al., 2006). L'intérêt pour ces d'approches croît au point que l'OMS recommande « la promotion de l'auto prise en charge, par exemple grâce aux technologies électroniques et mobiles. » . Par ailleurs, le NICE (National Institute for Health and Care Excellence) conseille aux personnes ayant des symptômes persistants ou une dépression moyenne à modérée de considérer les interventions de type self-help basées sur les principes de TCC ou les TCC informatisées (c-TCC) . Ils recommandent également les approches basées sur la pleine conscience et les TCC pour les personnes à risque de rechute. À l'heure actuelle, la grande majorité des applications mobiles pour la santé mentale ne fournissent pas de preuves scientifiques quant à leur efficacité (Donker et al., 2013). De nombreux autres problèmes demeures : elles sont trop abondantes, ne citent pas suffisamment leurs sources, l'objectif est souvent restreint à un but thérapeutique (Shen et al., 2013), et la plupart ne contiennent pas d'éléments de gamification (Rao, 2013) pourtant considérés comme motivants et engageants (Sardi et al., 2017). Ces limites nous ont conduits à formuler la problématique de cette thèse. II. Problématique Le projet de thèse est celui de la prévention et de l'intervention. Il consiste à apporter des réponses théoriques et empiriques à un terrain d'application lié à la dépression en créant et en évaluant une solution mobile reposant sur les dernières innovations technologiques ; solution mobile qui pourrait d'une part prévenir efficacement l'apparition et la rechute dépressive et d'autre part participer à la réduction d'une symptomatologie dépressive légère à moyenne. Pour répondre à cette question, il convient de s'interroger sur l'utilisation qui est faîte des nouvelles technologies et du smartphone en particulier, mais également sur l'attitude vis-à-vis d'applications mobiles pour la santé mentale. En d'autres termes, il conviendra de s'interroger sur l'acceptabilité et l'utilisabilité des solutions mobiles pour la dépression (Schröder et al., 2015). Corollairement, une autre question se pose : celle de l'efficacité des applications mobiles existantes, mais également, de leurs forces et faiblesses et des recommandations qui sont faîtes par les experts du domaine. Les réponses à ces questions permettront de proposer une première version de la solution mobile. Se poseront alors les questions de l'efficacité d'un point de vue thérapeutique et préventif, mais également de l'expérience utilisateur. III. Objectifs Le candidat a réalisé 4 mois de stage dans l'entreprise Ignilife. Ils ont permis de s'accorder sur les objectifs de la thèse. Durant cette période, une revue de la littérature a été entamée. L'objectif est de poursuivre cette collaboration suivant trois principaux projets : - Poursuivre et enrichir la revue de la littérature sur les applications mobiles pour la dépression ; - Réaliser une étude visant l'évaluation des attitudes, des besoins et des attentes des utilisateurs et des professionnels de santé ; - Développer les composantes thérapeutiques avec l'expert en santé mentale de l'entreprise et les évaluer d'un point de vue de l'efficacité thérapeutique et de l'expérience utilisateur. Au total, quatre modules thérapeutiques seront développés au cours de la thèse. IV. Méthode Étape 1. Revue de la littérature La revue de la littérature a déjà été entamée et sera poursuivie jusqu'au troisième trimestre de la première année de thèse (cf., calendrier prévisionnel). Elle portera sur les applications mobiles ciblant la symptomatologie dépressive et ayant été évaluées par des essais randomisés contrôlés. Elle aboutira à l'écriture d'un article scientifique. Étape 2. Évaluation des utilisations, des attitudes et des besoins des utilisateurs et des professionnels La première étude, qui sera réalisée au cours des trois premiers trimestres de la thèse (cf., calendrier prévisionnel), vise l'évaluation des utilisations, des attitudes et des besoins des utilisateurs et des professionnels. Cette étude exploratoire a pour ambition d'apporter des informations nécessaires à la création d'une solution mobile la plus en adéquation possible avec les besoins des utilisateurs potentiels et des professionnels de santé. Elle sera menée en deux parties, une première qui sera réalisée auprès de 40 utilisateurs potentiels et de 40 professionnels de santé et dont l'objectif est la récolte de données quantitatives. La seconde partie réalisée auprès de 15 utilisateurs potentiels et 15 professionnels de santé sera destinée à la récolte de données qualitatives à partir de questions ouvertes. Il est envisagé d'utiliser l'APOI (Attitude toward Psychological Online Interventions, Schroder et al., 2015) pour mesurer les attitudes, mais également de créer un questionnaire ciblant les attentes et les besoins des utilisateurs potentiels et des professionnels de santé reposant sur les travaux d'acceptabilité (Schröder et al., 2015). Cette étape donnera également lieu à l'écriture d'un article scientifique. Pour ce qui est du recrutement des participants, un premier contact a déjà été établi avec des associations de patients et de thérapeutes afin d'établir une collaboration dans le cadre de cette étude. Un temps a été alloué au recrutement dans le calendrier prévisionnel afin de compléter les sources de recrutement et de prendre contact avec les participants. Étape 3. Développement et évaluation de la solution mobile avec l'entreprise Ignilife Étape 3.1. Développement de la solution mobile L'objectif est de proposer une solution mobile évolutive, modulable et susceptible de s'adapter à chaque individu ainsi qu'aux évolutions technologiques futures ; solution qui sera composée de divers modules thérapeutiques et reposera sur une méthodologie en accord avec les principes des TCC et de l'ACT, mais également sur les différentes recommandations qui ont été faites concernant la création d'applications mobiles pour la santé mentale (Bakker et al., 2016). Dans l'optique de diminuer le taux d'abandons important dans les interventions d'e-santé (jusqu'à 50% d'abandons, Christensen et al., 2009) et d'améliorer l'attrait de la solution mobile, il est prévu que la solution mobile repose sur les principes de la gamification (Fleming et al., 2016 ; Sardi et al., 2017), de l'e-learning (Clark et Mayer, 2016) et du design de système persuasif (Kelders et al., 2012). L'application proposera notamment différents outils qui permettront une gestion de la symptomatologie dépressive dynamique (calendrier d'activité, séances de relaxation, etc.) comme recommandé par Mohr et al. (2017a). Un des objectifs centraux est de proposer une expérience centrée utilisateur, individualisée, et reposant sur un environnement personnalisable comme recommandé par Bakker et al. (2016). Il est prévu que la première année soit consacrée à la conception d'un produit minimum viable (cf., calendrier prévisionnel) qui fera office de structure de l'application. La fin de la première année et le début de la deuxième seront consacrés à la réalisation des modules thérapeutiques qui seront intégrés au produit minimum viable. Étape 3.2 Évaluation de l'efficacité clinique L'efficacité clinique sera évaluée au cours de deux essais randomisés contrôlés au cours du premier trimestre de la deuxième et de la troisième année (cf., calendrier prévisionnel). Le premier évaluera l'impact des deux premiers modules sur différentes mesures (détails ci-après) liées à la dépression et le second testera de même les deux autres modules. Pour chaque étude, il y aura deux types de groupe contrôle, le premier utilisant une autre application mobile basée sur les TCC et l'autre étant un groupe type « liste d'attente ». Il est envisagé d'intégrer 40 participants, âgés de 15 à 59 et ayant un score d'au moins 5 au PHQ-9, par groupe. L'efficacité clinique de l'application sera évaluée à partir de 3 sources de données : - une évaluation pré-post utilisation de l'application évaluant la symptomatologie dépressive à partir du PHQ-9 (Kroenke et al., 2009), la connaissance sur la santé mentale (cf., recommandations Bakker et al., 2016), le bien-être mental (WEMWBS, The Warwick-Edinburgh mental well-being scale, Tennant et al., 2007a) le degré de conscience des émotions (ESA, Emotional Self-Awareness scale, Kauer et al., 2012), le sentiment d'auto-efficacité (coping self-efficacy scale, Chesney et al., 2006) et le manque de flexibilité psychologique (AAQ-II, Acceptance and Action questionnaire version 2, Bond et al., 2011) ; - des mesures écologiques réalisées au cours de l'utilisation de l'application (mesure quotidienne de l'humeur sur une échelle de Likert, différentes mesures en fonction des modules utilisés) ; - des données d'utilisation de l'application (nombre de connexions, temps d'utilisation, nombre de modules réalisés, etc.). La capacité à prévenir l'apparition ou la rechute sera évaluée par un suivi à long terme à 3, 6 et 12 mois pour la première étude et à 3 et 6 mois pour la deuxième étude. Chacun des essais randomisés donnera lieu à l'écriture d'un article scientifique. Étape 3.3. Évaluation de l'expérience utilisateur Dans le but d'évaluer la qualité et l'utilisabilité de la solution mobile, l'expérience utilisateur sera évaluée. Notamment à partir de l'échelle MARS citée plus haut (Stoyanov et al., 2015). À cela s'ajouteront des mesures de l'adhésion réalisées à partir de la récolte passive de données dans l'application (nombre de connexions, temps d'utilisation, nombre de modules réalisés). Un questionnaire visant l'évaluation de l'expérience utilisateur sera créé pour compléter les informations récoltées (Schröder et al., 2015). Ces mesures seront incluses dans les essais randomisés contrôlés mesurant l'efficacité clinique. Le recrutement des participants se fera via les associations de thérapeutes et de patients avec qui le contact aura été établi au cours de la première étude. V. Apports attendus Sachant que le nombre de smartphones en circulation et de personnes souffrant de dépression ne cesse de croître, la création d'applications mobiles pour la santé mentale représente un nouveau moyen d'action contre la pathologie et gagne en popularité de jour en jour. Parmi leurs principaux avantages, on peut évoquer leur faible coût de mise en place et leur facilité d'accès. C'est dans ce sens que s'inscrivent les apports attendus de la thèse. Le travail qui sera réalisé a pour ambition d'apporter des réponses quant à la manière dont il faut créer ces applications à travers une analyse approfondie de celles existantes ainsi que des attitudes et des besoins de la population à l'égard de celles-ci. Ces nouvelles connaissances, additionnées à celles déjà existantes, devraient permettre de proposer une application qui résout plusieurs des faiblesses citées plus haut des applications existantes. C'est là l'apport principal attendu de cette thèse, la création d'une application mobile en langue française basée sur les dernières innovations technologiques, un background théorique solide et une efficacité validée par des essais randomisés contrôlés. Ce serait à notre connaissance une première en France.