Thèse en cours

Approche neuro-computationnelle des idées délirantes dans la schizophrénie

FR  |  
EN
Auteur / Autrice : Etienne Pigeon
Direction : Fabien Vinckier
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Sciences cognitives
Date : Inscription en doctorat le 01/11/2022
Etablissement(s) : Sorbonne université
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Cerveau, cognition, comportement (Paris ; 1992-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Institut du cerveau et de la moelle épinière
Equipe de recherche : Motivation Brain and Behavior

Mots clés

FR  |  
EN

Résumé

FR  |  
EN

La schizophrénie est une pathologie chronique touchant 1% de la population dévastatrice en termes de souffrance subie par les patients et leurs proches et de coût pour la société. Le délire en est un symptôme caractéristique, défini comme une croyance ne changeant pas face à des preuves la contredisant. Le délire de persécution (croyance d'être la cible de nuisances), le plus fréquent, se base sur une interprétation erronée de signaux sociaux. Les modèles neurocognitifs actuels du délire restent théoriques, peinent à proposer des hypothèses mécanistiques testables sur son émergence et sa fixité et prennent peu en compte la composante sociale pourtant souvent présente. La limite à l'étude du délire imposée par l'inhomogénéité des patients atteints de schizophrénie peut être contournée par l'utilisation de modèles pharmacologiques chez le volontaire sain, comme la kétamine. Ce médicament couramment utilisé en anesthésie induit de façon transitoire et sûre des symptômes de schizophrénie débutante. Notre équipe utilise la kétamine pour caractériser sur le plan neurocognitif les mécanismes de la formation des idées délirantes. Nous avons montré qu'elle induit une perte de confiance du sujet dans ses représentations du monde associée de manière contre-intuitive à un engagement prématuré dans des croyances incertaines, par le biais d'erreurs inférentielles conduisant à des sauts à la conclusion et biais de confirmation. Nous proposons un nouveau modèle d'après ces résultats selon lequel l'incertitude observée sous kétamine (et potentiellement dans la schizophrénie) induit en compensation un engagement précoce dans une croyance incertaine, suivi d'un biais de confirmation renforçant cette croyance, qui devient alors potentiellement inflexible et délirante. L'objectif du projet est de tester ce nouveau modèle, en étudiant sur le plan neurocognitif les mécanismes conduisant à l'émergence d'idées délirantes, en combinant psychologie expérimentale, modélisation computationnelle et EEG haute résolution. Nous utiliserons deux approches complémentaires : l'étude de patients atteints de schizophrénie et de sujets sains recevant de la kétamine. Nous organiserons le projet en deux axes. Le premier axe étudiera l'engagement précoce dans des décisions incertaines dans la schizophrénie. Il consistera à répliquer des données obtenues chez des sujets sains sous kétamine sur 65 patients atteints de schizophrénie (sans kétamine), avec groupe contrôle sain. En utilisant une tâche de catégorisation de stimuli visuels ambigus, nous prédisons que les patients présenteront également une altération de la confiance dans leurs décisions et des inférences biaisées, avec sauts à la conclusion et biais de confirmation. Le stade d'évolution de la maladie impactera ces phénomènes, avec une confiance d'autant plus haute et des erreurs inférentielles d'autant plus fortes que la schizophrénie sera ancienne et le délire fixé. Les corrélats EEG du processus inférentiel seront altérés, reflétant les biais identifiés pas les analyses du comportement. Le deuxième axe étudiera les mécanismes neurocognitifs en cause dans les idées de persécution. Une nouvelle tâche cognitive permettant d'étudier l'impact sur les inférences de signaux sociaux ambigus a été développée et validée en population générale. Elle a été réalisée par 35 sujets sains recevant de la kétamine ou un placebo selon un schéma en cross-over randomisé, avec un enregistrement EEG en cours de tâche. La même tâche sera aussi réalisée par 65 patients atteints de schizophrénie (sans kétamine) et groupe contrôle. Nous prédisons que les sujets sains sous kétamine et les patients seront plus incertains devant des signaux sociaux ambigus. Cette incertitude induira un engagement prématuré dans une croyance incertaine par des sauts à la conclusion et biais de confirmation. La direction de ces biais dépendra d'une tendance propre à chaque sujet, reflétant son degré de méfiance a priori envers autrui. Pour les patients, cette direction sera liée avec le contenu de leur délire : les signaux sociaux ambigus seront interprétés comme hostiles s'ils ont des idées de persécution. Utiliser les mêmes tâches chez des volontaires sous kétamine et des patients souffrant de schizophrénie est indispensable pour connaître les forces et limites de ce modèle pharmacologique. Ces résultats étayeront notre nouveau modèle qui décrit le délire comme la conséquence d'une perte de confiance globale induisant par compensation un engagement prématuré et inflexible dans des croyances potentiellement erronées. Son extension aux stimuli sociaux ambigus permettra de se rapprocher du délire de persécution. A terme, la meilleure compréhension des mécanismes neurocognitifs du délire pourrait guider une prise en charge davantage personnalisée.