TROUBLES COGNITIFS POSTOPÉRATOIRES: DE LA PRÉDICTION A PRÉVENTION
Auteur / Autrice : | Souad Fellous |
Direction : | Marie-Pierre Bonnet, Franck Verdonk |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Epidémiologie clinique |
Date : | Inscription en doctorat le 17/11/2021 |
Etablissement(s) : | Sorbonne université |
Ecole(s) doctorale(s) : | Pierre Louis de Santé publique à Paris |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Groupement de recherche Clinique Réanimation-Anesthésie-Médecine Peropératoire |
Mots clés
Résumé
Actuellement, les interventions chirurgicales chez des personnes âgées de 60 ans ou plus représentent 25 à 30 % des 313 millions de procédures chirurgicales majeures réalisées chaque année. Avec une croissance anticipée supérieure à 100% de la population mondiale âgée de 60 ans ou plus au cours des 30 prochaines années, cette proportion devrait quadrupler, en particulier pour les chirurgies orthopédiques et cardiaques. Les troubles neurocognitifs postopératoires, regroupant les altérations de la mémoire verbale, de la mémoire visuelle, de la compréhension du langage, de l'abstraction visio-spatiale, de l'attention ou de la concentration, constituent l'une des complications postopératoires les plus fréquentes de ces chirurgies majeures. Dans un objectif de normalisation, la nomenclature de ces troubles a récemment été modifiée: les événements postopératoires immédiats et transitoires, survenant dans les 48 premières heures post-opératoires, et regroupés sous le terme de delirium, se distinguent maintenant des troubles neurocognitifs post-opératoires (POND) dont la symptomatologie peut perdurer jusqu'au 12è mois post-opératoire. Le delirium survient chez 5 à 50 % des patients âgés de plus de 60 ans, et les POND sont observés chez 25 à 55 % de chirurgies majeures avec des variations importantes des prévalences selon l'outil diagnostique utilisé, et le type de chirurgie réalisée. Ce travail de thèse portera uniquement sur les POND, forme la plus grave des troubles cognitifs post-opératoires. Malgré leur sévérité, la prévalence et les facteurs de risque des POND restent encore peu étudiés. Leurs déterminants préopératoires sont complexes à caractériser, notamment en raison de leur nature non-linéaire et multifactorielle. Bien que plusieurs scores permettant de prédire le délirium ont été mis au point, aucun score n'a été développé ni publié permettant de prédire les POND. Le développement d'un outil de prédiction ayant une très bonne capacité de généralisation serait d'une grande utilité ; en particulier l'identification préopératoire des patients à risque des POND permettrait le développement de programmes de prévention personnalisés destinés à réduire l'incidence de ces troubles après la chirurgie. Par ailleurs, la prévention pharmacologique de la survenue des POND est encore mal connue. L'une des hypothèses de physiopathologie pouvant expliquer ces troubles est l'hypothèse neuro-inflammatoire impliquant les cellules microgliales, principales cellules immunitaires du système nerveux central. Parmi les différents agents pharmacologiques ayant un impact microglial direct et indirect, la kétamine, antagoniste non compétitif des récepteurs NMDA du glutamate avec des propriétés anti-inflammatoires, semble une molécule prometteuse dans la prévention des POND. Cette molécule possède également l'avantage, en plus d'être sûre et peu coûteuse, d'être largement utilisée par les anesthésistes-réanimateurs pour ses propriétés anesthésiques et analgésiques. Les indications d'utilisation de la kétamine s'ouvrent depuis peu sur certaines maladies psychiatriques impliquant la neuro-inflammation, telles que la dépression. Les résultats d'une méta-analyse récente qui évaluent l'effet de l'administration peropératoire de la kétamine sur la survenue des déliriums postopératoires et des POND suggèrent que les patients recevant un bolus unique de kétamine à l'induction de l'anesthésie présenteraient un risque plus faible de POND. Cette méta-analyse n'inclut que 6 essais contrôlés randomisés dont 3 essais d'un effectif total de 163 patients qui s'intéressent au POND. Ces essais présentaient plusieurs limites méthodologiques : un risque élevé de biais, un effectif faible, et taux faible d'événements dans le groupe contrôle. Finalement, la qualité des preuves pour conclure a été jugée très faible, et l'utilisation peropératoire de la kétamine dans cette indication reste encore débattue. Depuis la publication de cette méta-analyse, des données issues d'un essai multicentrique, l'essai français POCK sont disponibles. L'objectif principal de cette essai contrôlé randomisé, prospectif, était de tester l'efficacité de la kétamine sur la prévention des POND. Cette étude a inclus 301 patients au total. L'intégration de ces nouvelles données permettra potentiellement d'obtenir des résultats de plus forte puissance sur l'efficacité de la kétamine sur la prévention des POND. Enfin, au-delà des conséquences directes pour les patients et leurs familles, les POND représenteraient un coût économique important du fait d'hospitalisations plus fréquentes dans des établissements de soins spécialisés, d'une retraite prise plus précocement et, d'un recours plus fréquent aux aides socio-économiques. En 2015, l'organisation mondiale de la santé (OMS) estimait le coût mondial de prise en charge des pathologies démentielles à 818 milliards US$ chaque année, la démence étant définie par la détérioration d'une fonction cognitive au moins au-delà du vieillissement physiologique. Si plusieurs études récentes permettent d'estimer les coûts associés au delirium entre 16 303 à 64 421 dollars par patient et par an, il n'existe qu'une seule étude s'étant intéressée aux coûts associés aux POND. Cette étude de cohorte rétrospective publiée par Boone et al. en 2020 dans JAMA Network Open, reposait sur l'analyse des données de 2 380 473 patients américains dépendant de Medicare opérés entre 2013 et 2016, et ayant présenté POND dans l'année suivant la chirurgie-index. Les surcoûts étaient alors évalués à 17 275 $ par patient dans l'année qui suivait la chirurgie, en comparaison aux patients sans POND20. Bien que cette étude soit intéressante et innovante, elle présente de nombreuses faiblesses limitant sa généralisation : du fait de son caractère rétrospectif l'incidence des POND est très probablement sous-estimée et par ailleurs des biais de classement à l'origine d'une sous-estimation des coûts comparés sont également très probables ; de même, l'évaluation unique des coûts Medicare (système de santé américain) sous-estime potentiellement la charge économique des POND en excluant les autres sources de paiement ; enfin la période de l'étude couvre les années 2013 à 2016 et est donc relativement ancienne au regard des évolutions dans la prise en charge et la prévention des POND ; Une estimation actualisée et appropriée des coûts associés aux POND est ainsi indispensable afin de permettre aux responsables institutionnels et politiques européens de prendre les décisions utiles et nécessaires d'investissement dans les programmes de réduction des POND et d'en suivre l'amélioration au cours du temps. Ainsi, mon projet de thèse portera sur la prédiction et la prévention des troubles cognitifs postopératoires (POND). 1) Objectif 1 : développement d'un score prédictif des POND en utilisant les données de l'essai clinique français prospectif, multicentrique, randomisé POCK. Le score prédictif sera validé sur une cohorte issue de l'EDS (l'Entrepôt de Données de Santé) de l'APHP. Cette approche fera l'objet du 1er article. 2) Objectif 2 : étude de l'effet préventif de la kétamine sur la survenue des POND à partir d'une méta-analyse de la littérature. En particulier les données issues de l'étude POCK seront intégrées dans cette méta-analyse. Cette approche fera l'objet de 2ème article. Dans la suite de ce travail, une évaluation des coûts actuels des besoins en santé associés à l'incidence des POND chez les patients âgés sujets à une chirurgie élective dans l'année suivant la chirurgie pourrait être réalisée grâce à une approche médico-économique. Cette étude serait réalisée en collaboration avec l'URC de l'HEGP (Unité de Recherche Clinique de l'Hôpital Européen Georges-Pompidou) sous la supervision de Pr Sandrine Katsahian, cette dernière étant investie dans la conception et le déploiement de l'étude POCK au cours de la campagne PHRC 2015.