Thèse en cours

ESTHETIQUE DE L'ELOGE DANS LES RECITS EPIQUES DE GRIOTS PEULS (SENEGAL-MAURITANIE) : EPOPEES DE SILAMAKA ET DE BOUBOU ARDO GALO.

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Auteur / Autrice : Mohamadou Saïdou Toure
Direction : Romuald FonkouaAbdourahmane Diallo
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Littératures francophones
Date : Inscription en doctorat le 31/08/2023
Etablissement(s) : Sorbonne université
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Littératures françaises et comparée (Paris ; 1992-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre d'étude de la langue et des littératures françaises (1998-....)

Mots clés

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Résumé

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Le projet de recherche porte sur la « littérature orale » : sur des récits épiques peuls qui mettent en scène Silaamaka et Boubou ArdoGalo, personnages historiques « maliens » du XIXème siècle dont la verve laudative des griots a transmis la mémoire des faits guerriers dans plusieurs régions du Monde peul. I).Silaamaka : Dans l'imaginaire des Peuls ouest-africains, Silaamaka symbolise l'archétype du courage guerrier, qu'il incarne de manière absolue. Aussi, les griots qui chantent sa geste le hissent-ils au panthéon des héros du « pulaagu » : identité et valeurs culturelles des Peuls. Il est contemporain du souverain bambara Da Monzon DIARRA (qui a régné sur le royaume de Ségou de 1808 à 1827), auquel les Peuls versaient un tribut. Héros tragique assoiffé de Liberté, ignorant, comme Antigone, le sens du compromis, Silaamaka décide de libérer les Peuls de la sujétion bambara, au péril de sa vie. Les récits épiques de Silaamaka que nous proposons d'étudier portent sur cet épisode politique de « libération nationale ». Selon les versions malienne et sénégalaise, Silaamaka meurt au combat sans avoir, paradoxalement, jamais perdu de combat. Seul un albinos, hissé subrepticement sur l'arbre sous lequel il se reposait, saura le surprendre et lui décocher la flèche fatale. En revanche, selon les versions mauritaniennes, contées par le griot Samba Demba Diadié BA, il triomphe du combat qui l'oppose au roi bambara. Dans toutes les versions, y compris dans celles où le héros meurt, les griots usent de subterfuges picturaux pour transfigurer sa fin tragique en apothéose. Quant aux cavaliers ennemis, ils sont pourchassés par Pulloori Galo Haawa, l'alter ego et le compagnon de lutte de Silaamaka : soit, Ils disparaissent dans les eaux du Fleuve Niger, où la « Logique du récit » (Claude BREMOND) veut, de manière absurde, qu'ils aient voulu tous y chercher refuge, quitte à y être engloutis ; soit, ils disparaissent dans un nuage de poussière que soulèvent les sabots de leurs coursiers défaits. Dans ce cas de figure, Poullori Galo Haawa s'élève au ciel et disparaît mystérieusement. Le halo de mystère dont les griots entourent la mort des héros procède d'une esthétique du sublime : même mort, le héros est toujours victorieux (idem pour la mort de notre second héros épique. Ardo Galo, ci-après). Les épilogues des r écits constituent une des multiples déclinaisons de l'esthétique du sublime, dont l'étude sera étendue à d'autres aspects de nos récits épiques. La réécriture de l'épopée de Silaamaka par Yéro Doro Diallo, chercheur et romancier sénégalais dont tous les écrits sont publiés en langue pulaar, (peul sénégalo-mauritanien) se fait l'écho de cette veine laudative. Nous comparerons cette version écrite de l'épopée de Silaamaka avec les récits oraux des griots : « La lettre et la voix » (Paul Zumthor). Cette comparaison permettra de voir, sous un nouveau jour, nos « daari » (récits épiques) dont certains traits sont pastichés, tandis que d'autres sont réinventés par la verve scripturale de l'écrivain Yéro Doro Diallo. Récit de célébration de valeurs communautaires, le « daarol » (singulier de « daari »), est, pour sûr, solidaire d'un ordre social. Il prétend dire et célébrer le « pulaagu » (identité et valeurs culturelles peules); d'où l'embarras du griot peul musulman partagé entre sa foi islamique et son attachement instinctif au « pulaagu », incarné par Boubou Ardo Galo, dont l'enthousiasme pour l'islam est particulièrement tiède. L'étude de l'épopée de Boubou Ardo Galo permettra de montrer le conflit entre l'islam et l'identité traditionnelle des Peuls (le « pulaagu ») incarnée par Boubou ArdoGalo, aux prises avec un clerc musulman peul, fondateur d'un Etat théocratique islamique : Sékou Amadou. II). Boubou ArdoGalo. Le XVIIIème et le XIXème siècles peuls sont placés sous la bannière d'un islam conquérant. En Afrique de l'ouest et en Afrique centrale, des lettrés musulmans peuls entreprennent des conquêtes et construisent des Etats théocratiques islamiques : l' « imamat » du Fouta Djalon, en Guinée, est fondé en 1725. En 1776, au Fouta Toro (Sénégal-Mauritanie), une République théocratique islamique renverse la monarchie de la dynastie royale des « Deeniyannke » : elle y tient les rênes du pouvoir pendant un siècle, jusqu'à ce que, en 1881, la France y mette fin. Ousmane Dan Fodio (1754-1817) fonde, en 1808, le « califat de Sokoto », au Nigéria et au Cameroun. En 1818, au Mali, Sékou Amadou fonde la « Diina » (« religion », en arabe), un Etat théocratique également régi par l'islam etc. C'est dans ce contexte historique de redéfinition d'un nouvel ordre sociétal peul apposé du sceau de l'islam que s'inscrit l'épopée de Boubou Ardo Galo. Elle relate le conflit qui oppose Sékou amadou, le fondateur de l'Etat théocratique du Macina, à Boubou Ardo Galo, un chef peul hostile à l'islam. Les deux personnages ont une vision radicale de la hiérarchie des lois. Sékou Amadou affirme la prépondérance de la Loi islamique sur toute autre prescription. Boubou Ardo Galo la juge à l'aune du « pulaagu », matrice cardinale de son éthique. La flagellation publique d'une femme à laquelle on reproche des mœurs dissolues achève de lui faire abdiquer définitivement l'islam, auquel il n'avait adhéré que pieds et poings liés par un serment qui reposait sur un malentendu. Entrant en conflit armé avec les soldats de la foi du clerc, Boubou Ardo Galo est décapité ; mais, contre toute attente, l'apostat est absous et est déclaré « bienheureux ». Les griots qui racontent le récit épique de Boubou Ardo Galo prêtent au clerc des paroles étonnamment conciliantes, après la mort du rebelle : « vous avez eu tort de le tuer », lance-t-il à ses disciples. Cette tête que vous avez coupée est bienheureuse. » « La ruse de l'histoire », chez les griots, c'est d'avoir inventé un épilogue qui réconcilie des antipodes dans un espace et une temporalité mythiques : le paradis. L'espace paradisiaque, qui accueillie à la fois le clerc et le rebelle récalcitrant à l'islam, représente l'étape ultime de la dialectique de leur confrontation. Les griots peuls musulmans, doublement attachés à leur foi islamique et à leur identité originelle peule, aménagent un dispositif narratif salutaire qui préserve le héros du « pulaagu » de la damnation éternelle promise aux mécréants : quoique non musulman, Boubou Ardo Galo est, pour les griots, un alter ego. En tant que tel, il ne peut être voué aux flammes de l'enfer. Plus que d'une simple élucidation du discours implicite des récits épiques, il s'agira d'interroger « les structures anthropologiques de l'imaginaire » (Gibert Durand) des griots : ce qu'ils imaginent , en réconciliant, dans l'au-delà, le clerc et le païen, c'est un espace mitoyen entre l'Islam et la Civilisation peule, où puisse s'énoncer, en toute régularité, le dissemblable. Les griots qui racontent les « daari » (« récits épiques », pluriel de « daarol ») relatifs aux héros épiques peuls s'appellent les « wammbaabe », littéralement « ceux qui sont portés à califourchon » [par les Peuls] : ils ont une « solidarité organique » (Durkheim) avec leurs « Rimbe », leurs « nobles», leurs « seigneurs », dont ils ont vocation à chanter les louanges. L''on comprend, alors, pourquoi le « daarol » sauve toujours la face du héros peul. Une étude sera consacrée aux sources auctoriales des récits épiques et aux enjeux sociaux des dithyrambes proférés par les griots. Sans doute, en élucidant la relation sociale qui lie le « Pullo » (Peul) au « Bammbaado » (« griot porté à califourchon »), accède-ton à « l'horizon d'attente » (JAUSS) de la parole de ce dernier, qui est nécessairement, selon ses auditeurs, panégyrique : l'imaginaire du griot se coule, pour ainsi dire, dans une matrice préétablie de l'éloge, omniprésent dans le récit qu'écoutent ses auditeurs. L'étude des formes de l'éloge dans nos « daari» ne saurait donc être circonscrite à la stylistique stricto sensu. Elle sera faite aussi à l'aune de la réception : les formes vocatives de l'éloge (« noddi »), les discours allusifs, les clichés sociaux, les énoncés gnomiques et étiologiques etc. procèdent d'un imaginaire, commun au griot et à ses auditeurs, que seule une approche « anthropo-stylistique » permettrait de saisir.