L'art pur au siècle de l'Histoire : l'art pour l'art face aux nouvelles tendances historiographiques du XIXe siècle
Auteur / Autrice : | Kevin Tougas |
Direction : | Carole Talon-hugon, Daniel Dumouchel |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Philosophie |
Date : | Inscription en doctorat le 01/10/2021 |
Etablissement(s) : | Sorbonne université en cotutelle avec Université de Montréal |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Concepts et langages (Paris ; 2000-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Métaphysique : histoires, transformations, actualité (Paris ; 2002-....) |
Mots clés
Résumé
Ce projet de doctorat s'intéresse à la relation de l'art à l'histoire, dans le cadre de son processus moderne d'autonomisation. Il vise à retracer l'évolution de la pensée historique chez les artistes du XIXe siècle, et à observer comment les divers aspects qui la caractérisent ont pu concourir à la mise en place d'une esthétique de l'art pur. Dans les travaux qui se sont penchés de près ou de loin sur les rapports de l'art à l'histoire pendant cette période, il est généralement d'usage d'adresser la question en posant d'abord la conception romantique de l'histoire celle des Mages romantiques de Paul Bénichou et de résumer ensuite le regard de leurs successeurs (Comme Gautier, Flaubert ou Baudelaire) à un simple point de vue dépréciatif et pessimiste à l'égard de l'idéologie « humanitariste » de leurs devanciers. Or, lorsqu'on y regarde de plus près, il nous semble que bien au-delà d'une simple critique satirique des utopies romantiques, plusieurs des auteurs qui sont associés aux doctrines de l'art pur ou de l'art pour l'art ont déployé de véritables réflexions sur l'histoire, qui mériteraient d'être reconsidérées en elles-mêmes, à rebours de cette logique habituelle de l'historiographie des idées. L'une des hypothèses de départ de ce travail est que l'esthétique et l'éthique de l'art pur qui se développent dans la seconde moitié du XIXe siècle sont indissociables d'une pensée de l'histoire. L'analyse et la reconstitution des réflexions historiques de certains auteurs que l'on associe à ce courant esthétique auront pour objectif d'apprécier à nouveaux frais les valeurs et les convictions qui leurs sont généralement assignées. Pour ce faire, l'étude et l'approfondissement des positions de Gustave Flaubert seront particulièrement privilégiés. Auteur dont l'intérêt pour l'histoire se manifeste autant dans la Correspondance que dans la genèse des uvres, celui-ci peut assurément nous aider à apporter un nouvel éclairage sur les modèles d'historicité sous-jacents à la littérature moderne. Notre recherche s'articulera essentiellement autour de deux perspectives distinctes, mais complémentaires. D'une part, nous aborderons la question de l'histoire en la rattachant au prisme axiologique auquel elle se lie. Ainsi, nous chercherons, par exemple, à repenser les valeurs de neutralité et d'impassibilité à partir des vues du romancier au sujet du processus historique. De la même manière, la critique de l'idée de progrès pourra être revue non plus sur la base d'un pessimisme misanthropique et antihumaniste, mais à l'aune d'une conception beaucoup plus élaborée du mouvement de l'histoire. Dans cette même optique, nous pourrons enfin poser la question fondamentale du rôle (voire de la responsabilité) de l'artiste à l'égard de la société et de son évolution. Nous savons que la doctrine de l'art pour l'art a été très largement caractérisée par son détachement et son désengagement à l'égard des mouvements du monde. De notre point de vue, il y a, dans cette aspiration à la posture désintéressée de l'artiste, plusieurs éléments qui peuvent nous permettre de mieux saisir ce que signifie la quête univoque et exclusive du Beau, pour un tenant de l'art pur. Il se trouve sans doute également, dans ce positionnement, une volonté de prendre un recul critique à l'égard de certaines tendances historiographiques. Le refus d'inscrire ses uvres dans la trame d'une histoire progressiste (ou progressive) n'est pas une dénégation de l'Histoire. C'est un repositionnement et une refonte qui témoigne d'une perspective nouvelle sur la modernité et son devenir. L'abandon de la téléologie de l'histoire romantique repose en définitive sur un déplacement des valeurs, dont notre recherche aura pour objectif de retranscrire le mouvement. Ce dernier point pourra nous servir à introduire le second aspect que nous souhaitons développer. Celui-ci consiste à interroger le rapport du modèle d'historicité adopté par Flaubert avec l'historicité de ses propres théories esthétiques. Cela nous permettra de voir qu'au-delà d'une simple rupture avec l'idéalisme romantique, il y a tout un pan de la réflexion flaubertienne qui s'attache à situer son écriture au regard de l'histoire de la littérature. À titre d'écrivain, le romancier s'est infatigablement concentré à définir les principes de sa poétique. Et cette dernière n'est certainement pas dénuée de sens historique. Au contraire, l'histoire occupe une place centrale dans la conception même de ses uvres (nous pouvons ici penser notamment à Salammbô et à L'Éducation sentimentale). Très exactement, l'historicité de son écriture traduit un rapport bien particulier à l'histoire. Le roman moderne qu'il cherche à concevoir aspire à des horizons que l'étude de la nouvelle science historique doit impérativement informer. Ainsi, en réponse aux grands écrits historiques en vogue à son époque (comme ceux de Michelet, Walter Scot ou Lamartine), la plume de Flaubert vise à une perfection de style qui s'élève au-dessus de la simple description des hauts faits et des grands événements. S'il est possible d'envisager un progrès de l'écriture ou de l'art, chez Flaubert, c'est sans doute par cette voie, et par aucune autre qu'il peut se réaliser. Comme il l'écrit aux frères Goncourt, dans un célèbre passage de la Correspondance, « Cet amour-là [de l'histoire] est, du reste, une chose toute nouvelle dans l'humanité. Le sens historique date d'hier. Et c'est peut-être ce que le XIXe siècle a de meilleur ». Adossé à cette idée, le romancier pense le mouvement de l'histoire de manière concomitante à la multiplicité des interprétations de l'histoire. Pour lui, le processus historique ne poursuit pas une direction claire et potentiellement saisissable, mais procède d'une dynamique sans cohérence propre et sans but. D'où l'importance de ne pas laisser l'art s'enfermer dans une dynamique d'époque, mais de chercher plutôt à subsumer cette dernière sous la puissance esthétique du style. Le progrès de l'écriture et du genre romanesque à l'âge moderne découle, selon Flaubert, de cette capacité de l'écrivain à élever son esprit dans de telles dispositions à l'égard de l'histoire.