Entre contestation et imitation : le paradigme angélique chez les Franciscains XIIIe-XVe
Auteur / Autrice : | Flavie Simiz |
Direction : | Marielle Lamy |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Histoire du Moyen Âge |
Date : | Inscription en doctorat le 01/10/2023 |
Etablissement(s) : | Sorbonne université |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Mondes anciens et médiévaux (Paris ; 2000-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Centre Roland Mousnier (Paris ; 1999-....) |
Résumé
Au Moyen Âge, l'ange - littéralement, le ''messager'' en hébreu - se définit comme le principal intermédiaire entre l'homme et Dieu. Ange intercesseur ou ange gardien, le messager céleste s'immisce progressivement dans le quotidien de l'ensemble des populations de l'Occident latin mais particulièrement dans l'ordre dit ''séraphique'', c'est-à-dire l'ordre franciscain. Dans ce dernier, né au début du XIIIe siècle à Assise à la suite de François, fils de marchand élu par son interaction exceptionnelle avec un Séraphin, l'importance de l'ange ne fait que croître en même temps que grandissent un certain affect spirituel et une véritable pratique émotionnelle du religieux. Il s'agit d'observer comment l'ange, réceptacle des arts et de l'extase comblée devant Dieu, contribue à former une anthropologie religieuse du sentiment qui se fonde sur la puissance salvatrice des émotions, soit l'amour béat qu'entraîne la contemplation humaine des mondes spirituels. L'ange en vient à incarner l'idéal sensible de l'ordre franciscain : un idéal de retour à une « émotivité naturelle », pour reprendre les termes de Jean de La Rochelle ( 1245), c'est-à-dire encore vierge du péché originel et semblable à la condition humaine d'avant la chute. Ressentir une émotion religieuse d'une telle pureté permet donc un retour à l'homme d'avant la chute, un homme presque « angélique ». D'élément d'unité, l'assimilation à l'ange devient cependant pomme de discorde au sein de l'ordre franciscain. Notre étude s'intéresse ainsi à la rivalité latente puis patente − on pense à la parenthèse du schisme franciscain de 1312 à 1318 dans le sud de la France et en Italie − entre Conventuels et Spirituels, et à la place grandissante de l'ange dans cette lutte interne. L'ordre franciscain se voit ainsi divisé, au XIIIe siècle, par une lutte effrénée entre les Franciscains Conventuels, lesquels ont délaissé l'idéal de pauvreté nomade des premiers Franciscains pour s'installer dans des couvents, et les Franciscains Spirituels, adeptes d'une pauvreté évangélique sans compromis et d'un millénarisme latent. De figure de proue de l'unité franciscaine, autour de l'image resplendissante du Séraphin apparu à saint François, l'ange se trouve récupéré par les discours dissidents du mouvement des Spirituels. Son évocation confine alors de plus en plus à l'hérésie d'inspiration eschatologique et joachimite. L'ange franciscain devient source de suspicion. On lui prête des intentions diverses et concurrentielles selon la tendance religieuse, intellectuelle ou politique de chacun. Il est tour à tour défenseur d'un savoir biblique et livresque ; symbole de l'amour pur et total des créatures pour Dieu ; avocat des prophètes et prophétesses qui émaillent le Moyen Âge tardif et qui confinent parfois à l'hérésie ; idéal d'une pauvreté absolue et intransigeante ; rempart contre la violence des condamnations de la hiérarchie ecclésiastique A ce titre, l'ange devient à la fois le repoussoir et l'idéal de l'ordre séraphique. Il s'agit de démontrer comment la fabrique d'une émotion religieuse, incarnée par l'ange, sert bien souvent un objectif d'abord social ou politique. Nous partons des débuts de l'ordre franciscain, qui se conçoit dès ses origines comme un « ordre séraphique », puis observons la dilatation ou le questionnement de ce statut particulier au fur-et-à-mesure que l'ordre s'étend et qu'apparaissent de nouvelles branches féminines ou masculines, jusqu'aux limites de la reformatio franciscaine avec les mouvements de l'Observance puis l'apparition des Capucins en 1525-1528. Nous nous concentrons d'abord sur les territoires italiens et français, en raison de la présence géographique de relais particulièrement forts d'un franciscanisme « angélique ». Dans un second temps, nous prenons également en compte les territoires anglais, propices aux disputes théologiques universitaires et les territoires germaniques gagnés aux courants d'Observance nés au cours du XVe siècle.