Thèse en cours

Violences et religion dans l'État indépendant de Croatie (1941-1945)

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Auteur / Autrice : Natalie Schwabl
Direction : Johann Chapoutot
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Histoire contemporaine
Date : Inscription en doctorat le 01/10/2022
Etablissement(s) : Sorbonne université
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Histoire moderne et contemporaine (Paris ; 1994-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Sorbonne - Identités, relations internationales et civilisations de l'Europe

Résumé

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En Croatie, c'est à travers le problème de l'indépendance du pays que le fascisme pouvait se frayer un chemin. Quand von Ribbentrop proposa à Vladko Maček, président du Parti paysan croate, l'indépendance de son pays et que ce dernier refusa, les Allemands firent appel aux Oustachis, un mouvement terroriste créé par Ante Pavelić en 1929, dans le but de renverser la monarchie et de combattre la prédominance serbe. Le 10 avril 1941, quelques heures après l'entrée de la Wehrmacht à Zagreb, Slavko Kvaternik proclama l'État indépendant de Croatie et le nouveau pouvoir du Poglavnik – tête du pays, Führer –, Ante Pavelić. Leur nouvelle nation était fondée sur le « croatisme » catholique : la fin de la victimisation, la construction d'une nouvelle société saine et pure, fondée sur la supériorité culturelle et la pureté raciale, une identification nationale avec le catholicisme et un retour aux valeurs traditionnelles. À l'exemple de l'Allemagne nazie mais dans un système d'exécution autonome, un mécanisme de violences, de déportations dans les camps de concentration et d'extermination, ainsi que de massacres collectifs fut établi. L'idée nationale et l'importance de la foi catholique étaient synonymes, ce qui fit ce lien insoluble entre le peuple croate et l'Église catholique en tant qu'institution. La création de la Nezavisna Država Hrvatska, l'État-nation dit « indépendant » du peuple croate, voulu par Dieu et protégé par la Vierge Marie, était pour l'Église la réalisation de l'un de ses objectifs principaux – ce qui prouve « l'obsession de la nation », comme le formule Paul Garde (GARDE, Paul, Les Balkans. Héritages et évolutions, Paris, Flammarion, 2010, coll. « Champs actuel », 217 p., p. 107). Les Églises, dans les Balkans, étaient naturellement impliquées dans les affaires politiques et étatiques. Le lien entre violence et religion est, plus spécifiquement encore en Croatie, particulier dans sa théorie et son exercice, accompagné d'une motivation idéologique constante. Comme le montre Jan Tomasz Gross dans Neighbors (2001) pour le cas du village polonais de Jedwabne, la violence de caractère endogène dont la brutalité et la fureur meurtrière choquaient même les nazis allemands présents sur place, en Pologne, comme en Croatie, engendra « un massacre collectif au double sens de l'expression : tant par le nombre des victimes que par celui des bourreaux » (GROSS, Jan T., Neighbors. The destruction of the Jewish Community in Jedwabne, Poland, Princeton, Princeton University Press, 2001, trad. fr. Les Voisins – 10 juillet 1941. Un massacre de Juifs en Pologne, Paris, Les Belles Lettres, 2019, 210 p., p. 86). Pour lire et écrire les affrontements dans les Balkans, il est indispensable de comprendre que la violence, un langage qui a une grammaire, pour reprendre l'idée d'Alphonse Dupront et de Denis Crouzet, y est tout à fait particulière. Notre travail de recherche vise à étudier les violences oustachies à travers le rôle de l'Église catholique et de son clergé lors de l'existence de l'État indépendant de Croatie entre 1941 et 1945. Les cas des archevêques Alojzije Stepinac (de Zagreb) et Ivan Šarić (de la Vrhbosna, c'est-à-dire de Sarajevo), ainsi que de l'évêque Jozo Garić (de Banja Luka), à côté de leurs valeurs juridiques et des questions morales qu'ils soulèvent, servent d'illustration et d'accès à une époque et une nation compliquées à saisir, tout en créant le lien avec l'étude du Saint-Siège pendant la Seconde Guerre mondiale. En raison de la forte identité théologico-politique de l'État indépendant de Croatie, nous proposons d'étudier les violences oustachies au prisme du religieux, dans leur inspiration et leur signification, comme dans leur exécution (présence et participation des membres des différents clergés, haut et bas, séculier et régulier). Il s'agira en effet tout d'abord d'évaluer l'attitude de la hiérarchie ecclésiastique vis-à-vis du régime oustachi : l'épiscopat et le bas clergé ont-ils adopté une position uniforme vis-à-vis du régime, ou y a-t-il eu des différences, et pourquoi ? En résumé, la question se pose de savoir si le clergé catholique dans son ensemble a sympathisé et collaboré ou non avec le régime oustachi. Il est important de bien comprendre le rapport entre Alojzije Stepinac, respectivement Ivan Šarić, l'Église catholique et les Oustachis entre 1941 et 1945. La réaction du clergé catholique ou de l'archevêque de Zagreb face aux premières persécutions des populations serbe et juive mérite également d'être examinée ici. La question des conversions dans les archevêchés en question, ainsi que les réactions du clergé paroissial seront abordées également. Plus particulièrement, pour le cas de la Croatie majoritairement catholique, la question suivante se pose à propos du clergé régulier, notamment du tout-puissant ordre des Franciscains : comment des Franciscains se retrouvent-ils génocidaires ? Quelle était, dans la thématique des relations entre Église et État, la réponse catholique au génocide ? Tout comme en Croatie avec Alojzije Stepinac, la peur du communisme était un fil conducteur de la politique de Pie XII. Rempli d'anxiété face à l'expansion du communisme en Europe centrale pendant la guerre et à ses succès en Europe occidentale après la guerre, le nouveau Pape, élu en 1939, a engagé le Vatican dans une diplomatie particulièrement attentive à la « menace rouge ». L'Église catholique romaine étant probablement l'organisation la plus influente en Croatie, elle a encore gagné en importance au cours des années de réveil national depuis la fin des années 1980. C'était la seule organisation de la Yougoslavie socialiste qui était considérée comme « croate » sans être influencée par le parti et les élites dirigeantes. Dans le droit fil des intuitions de Denis Crouzet et d'Alphonse Dupront, le lien entre violence et religion, les variations de la violence dirigée contre les Juifs, les Serbes et les Roms commises par le mouvement oustachi dans l'État indépendant de Croatie, seront étudiées comme une proposition anthropologique cohérente.