Thèse en cours

La commémoration et l'oubli : Les récits et les rituels de l'indépendance en Ukraine, en Biélorussie et en Russie (1991-2021)

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Auteur / Autrice : Tatiana Pashkovskaia
Direction : Aleksandr Sergeevič Lavrov
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Études slaves
Date : Inscription en doctorat le 01/09/2022
Etablissement(s) : Sorbonne université
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Civilisations, cultures, littératures et sociétés (Paris ; 1992-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Cultures et sociétés d'Europe orientale, balkanique et médiane (Paris ; 2014-....)

Résumé

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La pertinence du sujet Les conflits actuels dans l'espace postsoviétique prouvent que l'indépendance de la Russie, de la Biélorussie et de l'Ukraine, acquise après la chute de l'Union soviétique est perçue par ces trois nations slaves d‘une manière radicalement différente. L'accord de Belovej, marquant la sortie de ces trois républiques de l'Union soviétique, a été signé à la même table le 8 décembre 1991. Mais, à partir de cette date, chaque État commémore l'indépendance à sa manière… La commémoration de l'indépendance postsoviétique est un sujet récent. Il n'a pas encore été étudié d'une manière complète et systématique. Le champ de recherche, à savoir, les études ukrainiennes et les études biélorusses, est peu développé en Europe de l'Ouest. Les grands centres de recherche sur l'Ukraine n'existent que dans les pays anglophones. Les études biélorusses sont quasiment absentes en tant que telles. La Russie appréhende l'histoire de ses voisins slaves comme étant l'histoire de ses provinces. À propos du sujet qui nous intéresse, les études ukrainiennes et les études biélorusses sont exceptionnelles en Russie, malgré l'existence formelle d'unités de recherches spécialisées. En France, la tradition d'une historiographie russocentrique perdure depuis longtemps. Ces dernières années, elle coexiste avec les remarquables tentatives d'écrire l'histoire de l'Empire dans l'optique de ses périphéries (Daniel Beauvois). La méthodologie de la recherche, à savoir, l'étude de la mémoire, est pertinente dans l'espace postsoviétique. Alors qu'en Europe, le travail sur la mémoire est très populaire, cette approche a mis du temps pour gagner du terrain en Russie, en Ukraine et en Biélorussie. La « politique de la mémoire », menée par les gouvernements de ces pays, mais aussi par des acteurs non-étatiques, a récemment provoqué une réflexion critique importante (G. Kassianov en Ukraine, N. Koposov en Russie), qui crée un élan positif en faveur de notre recherche. Les objectifs scientifiques de la recherche. Cette étude vise à : 1) Déconstruire les récits russes, ukrainiens et biélorusses afin d'expliquer comment l'indépendance postsoviétique de ces trois nations slaves est ancrée dans leurs traditions historiographiques, dans leurs discours scolaires et dans leurs discours intellectuels ; 2) Décoder les rituels politiques, festifs et commémoratifs pour comprendre comment ceux-ci traduisent l'indépendance postsoviétique et les nouveaux récits nationaux de la Russie, de l'Ukraine et de la Biélorussie ; 3) Examiner les expositions historiques dans lesquelles l'histoire post-soviétique, y compris l'indépendance font l'objet d'une représentation expographique, afin d'établir le type de discours qu'elles servent, ainsi que décrypter leurs scénographies comme messages destinés à un large public. Les sources. Les sources écrites sont présentées par les manuels scolaires qui transmettent les récits nationaux aux jeunes générations postsoviétiques, ainsi que par la « littérature documentaire », y compris des mémoires, des essais et des lettres ouvertes défendant l'indépendance comme une valeur essentielle de la nation ou promouvant des scénarios mémoriels, menant vers l' « oubli ». Les sources iconographiques permettent de constituer un ensemble d'images et d'installations, qui sont mises en scène pour l'organisation de rituels publics ou d'expositions. Une analyse sémiotique peut être menée pour chercher à expliquer le récit national. Les sources audiovisuelles intègrent toutes formes de production vidéo et musicale que l'on peut aussi considérer comme étant un langage. Avec les derniers évènements, l'accessibilité aux expositions des musées ukrainiens sera plus compliquée. Les œuvres des certains musées sont déplacées. En même temps, les expositions des musées russes et biélorusses qui s'intéressent à l'histoire (années 1980 - 1990) sont transformées en fonction de la situation politique et des intérêts du régime dominant. C'est dans ces conditions que les sources orales – les entrevues avec des responsables de collections muséales et avec les commissaires d'expositions temporaires – sont d'une importance absolue. D'autres sources orales proviennent de témoignages de professeurs d'histoire sur la pratique de l'enseignement. Nous nous intéressons aussi aux discours de jeunes étudiants en histoire. Les uns comme les autres transmettent les récits nationaux à un large public. C'est une transmission orale, sans « traces écrites ». La méthodologie. Ce travail s'inscrit dans le cadre de l'étude de la mémoire. C'est une approche dont les bases ont été posées par Pierre Nora. La déconstruction des « lieux de mémoire » nécessite une mise à distance de la tradition nationale. Pour la France, ce projet signifie de ne plus s'identifier à cet héritage fondateur. « La nation de Renan est morte et ne reviendra pas » déclare P. Nora. Dans l'Europe de l'Est, les choses sont très différentes. Le passé est « nationalisé ». Ces peuples appartenaient à des Empires. C'est la raison pour laquelle, ils ont pris du retard dans la création de leur tradition historiographique. L'indépendance, comme fait historique achevé, fait partie des nouveaux récits de la Russie, de l'Ukraine et de la Biélorussie. Nous proposons de saisir l'indépendance nationale comme un phénomène de la mémoire historique, en analysant les objets ou les « faits culturels » les plus représentatifs par lesquels elle se manifeste. Il s'agit donc de décrypter des récits, des rituels et des expositions afin de comprendre les visions que ces nations possèdent de leur indépendance. Il existe un autre point de départ à nôtre recherche. Il s'agit de la thèse principale de l'anthropologie fonctionnaliste. Selon cette approche, il n'y a pas de vestiges dans la société, parce que chaque « fait culturel » d'origine archaïque y remplit une fonction (D. Hervieu-Léger). Autrement dit, la profusion de récits, l'organisation d'expositions, la mise en place de rituels solennels consacrés au passé plus au moins éloigné sont le signe d'une mémoire affaiblie. Quant au processus de la création d'un récit national, il est proche de la construction « du religieux hors religion » ou d'une « tradition désacralisée » (D. Hervieu-Léger). Dans ce contexte, l'accession à l'indépendance et le choix d'une date pour le Jour de l'Indépendance font partie du « mythe de la création » nationale. Nous abordons les rituels. Dans les rituels, le passé est réincorporé dans le présent, le présent est vu comme une répétition du passé. Mais tous les rituels sont les produits de forces sociales et sont révélateurs des conceptions contemporaines de la mémoire historique. Certains rituels, à savoir rites, fêtes, cérémonies « prennent » et d'autres qui « ne prennent pas » à cause du manque d'adhésion de la société (M. Segalen). Les expositions historiques sont aussi des espaces discursifs. Les pièces exposées y sont présentées et commentées. La scénographie d'une exposition est une invitation à adhérer au récit proposé. Les objets exposés sont des supports métonymiques de ce récit muet. Les expositions doivent donc être traitées comme des éléments d'historiographie, en tenant compte de leur propre contexte historique. Traiter de la mémoire implique aussi de traiter de l'oubli. Le changement du cadre social (le contexte) peut être considéré comme cause de l'oubli (M. Halbwachs). L'exemple de la politique de mémoire de la Russie vis-à-vis de son indépendance postsoviétique rappelle que, parfois, l'oubli peut absorber ce qui auparavant représentait une partie importante du récit national. À cet égard, nous nous intéressons aux diverses formes et modes d'oubli (A. Assmann).