L'arrachement social à l'épreuve de l'écriture de soi : une archéologie de la figure du transclasse dans la littérature personnelle (XIXe-XXIe siècle).
Auteur / Autrice : | Fanette Mathiot |
Direction : | Jean-Louis Jeannelle |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Littératures françaises |
Date : | Inscription en doctorat le 01/10/2022 |
Etablissement(s) : | Sorbonne université |
Ecole(s) doctorale(s) : | Littératures françaises et comparée |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Centre d'étude de la langue et des littératures françaises |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
Cette étude propose d'établir une histoire de la figure de l'écrivain « sorti du peuple » (Péguy) dans la littérature. Aussi l'élaboration d'un corpus de récits personnels de migrants sociaux est-elle constitutive de cette recherche. Elle poursuit deux objectifs : identifier les prémices des écrits de soi retraçant une trajectoire d'arrachement social et déterminer en diachronie les différents moments de ce geste autobiographique. Si l'on admet qu'il existe une forme topique du récit personnel d'arrachement social avec une trame narrative caractéristique et des biographèmes récurrents, il serait possible d'en situer l'origine à la période romantique au moment de l'essor de textes d'écrivains-ouvriers valorisés au XIXe siècle par des gens de Lettres comme George Sand. On trouve alors des Mémoires d'ouvriers-compagnons comme ceux d'Agricol Perdiguier ou de saint-simoniens comme ceux du menuisier Gabriel Gauny. Plus tard, la IIIe République produit de nombreux boursiers dont certains, comme Charles Péguy, témoignent d'une ascension sociale par l'acculturation scolaire. Dans l'entre-deux guerres, avec le développement de courants littéraires comme le populisme de Léon Lemonnier ou l'école prolétarienne d'Henry Poulaille, des récits personnels d'écrivains ouvriers ou paysans sont publiés et reconnus dans l'espace littéraire. Il faudra également mesurer l'influence de modèles de parcours de descension comme ceux d'André Gide ou de Simone de Beauvoir qui ont permis, par le récit de leur propre arrachement, de penser le refus du déterminisme social et l'émancipation par la représentation de soi. Cette ligne historique de récits autobiographiques, qui retracent le déplacement d'un individu issu du peuple, se déploie jusqu'à la période très contemporaine. Celle-ci est marquée, depuis les années 1970, par le rayonnement des théories sociologiques bourdieusiennes dont la notion de transfuge de classe, redéfinie par le terme transclasse dans les travaux de Chantal Jaquet, s'impose dans les récits d'Annie Ernaux, de Didier Éribon ou encore d'Édouard Louis. Entre l'exemple du parvenu qui réprouve son milieu et celui du boursier qui le chérit, on assiste, dans l'observation diachronique des récits, à une complexification de la figure du migrant social qu'il faudra analyser à partir des représentations du milieu d'origine spécifiques de chaque auteur. La question de la mobilité sociale, ses enjeux, ses promesses, ainsi que celle de la nature de l'ascension (sociale, intellectuelle, spirituelle), qu'elle soit réelle, mythifiée ou démythifiée, sont soumises aux variables de la perception de chaque écrivain. À travers ces oscillations individuelles, il sera possible de saisir, par exemple, les failles et les espérances flouées de la méritocratie, édifiée par l'école de la IIIe République, encore promue aujourd'hui mais aussi critiquée par certains sociologues. La posture réflexive, caractéristique des récits de transclasses, permet de saisir les tensions intérieures de l'écrivain mais lui offre aussi les ressources pour penser la possibilité d'un nouvel ordre social et d'une transformation collective. D'où la portée testimoniale de ces récits dont il faudra analyser les enjeux. Le parcours individuel articulé au destin collectif d'un groupe social pose la question de la responsabilité de celui qui dit je à partir des autres. L'écrit de soi ouvre un chemin vers ceux qui ont d'abord été distanciés. C'est dans l'interstice entre l'accueil individuel des bénéfices de l'acculturation et le sentiment solidaire de devoir parler au nom des siens, que va se nouer l'enjeu politique du geste autobiographique de chaque écrivain. L'esprit de cette thèse consiste à s'intéresser au travail de l'écrivain et à situer les récits personnels d'arrachement social dans le champ littéraire. Dans ce cadre, l'écrit de soi n'est plus seulement la trace énonciative et biographique d'un vécu authentique ; il est le lieu où se défait, se cherche et se reconstruit une identité d'écrivain.