Thèse en cours

Le théâtre de Nelson Rodrigues en France: mises en scènes,réception, critiques et traductions (1985-2025)

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Auteur / Autrice : Gabriela Ferreira
Direction : Michel RiaudelGabriela LíRIO
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Études portugaises, brésiliennes et de l'Afrique lusophone
Date : Inscription en doctorat le 01/10/2022
Etablissement(s) : Sorbonne université
Ecole(s) doctorale(s) : Civilisations, cultures, littératures et sociétés
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre de recherches interdisciplinaires sur les mondes ibériques contemporains

Résumé

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L'objectif général de ce travail est de réaliser une étude exhaustive des manifestations de l'œuvre de Nelson Rodrigues réalisées en France dans la période comprise entre 1985 et 2025. Il s'agit ainsi de mettre en lumière une dimension méconnue de l'œuvre de l'un des auteurs brésiliens les plus renommés du XXe siècle. Journaliste de profession, Nelson Rodrigues est l'auteur de dix-sept pièces de théâtre, écrites entre 1941 et 1978. Avec celles-ci, il aura connu autant de moments de grand succès que de rejet absolu du public. L'auteur se révèle au public brésilien avec Vestido de Noiva (Robe de mariée), œuvre de structure innovante présentée pour la première fois en 1943. Elle est aujourd'hui encore une œuvre marquante de l'histoire du théâtre brésilien. Extrêmement paradoxal, le dramaturge est également connu pour son côté provocateur. On le retrouve surtout dans les pièces qu'il réalise après 1945 ; de ces œuvres, Nelson Rodrigues aurait lui-même dit qu'il s'agissait d'un « théâtre désagréable ». Essentiellement tragique, l'œuvre de Nelson Rodrigues est à la fois moderne et classique. Ses thèmes demeurent d'ailleurs d'une indéniable actualité : le racisme, le sexe, l'inceste… S'il est connu pour sa mise à nu très crue de sentiments complexes, il représente pour d'aucuns un héritier de la tragédie antique, en raison du très strict ordonnancement de ses pièces et des allusions mythiques perceptibles dans la construction de ses personnages. Cet écrivain complexe est dans son pays le dramaturge le plus représenté sur scène et à l'écran. C'est aussi le dramaturge brésilien le plus représenté et traduit en France, avec quinze mises en scène et dix pièces traduites (dont sept publiées), même si son nom est encore mal connu. Et en France comme au Brésil, Rodrigues a divisé les opinions. Les controverses n'ont pas uniquement tenu à son traitement de sujets tabous, mais également à ses prises de position pendant la dictature militaire de 1964-1985. Il est resté inconnu du public français jusqu'en 1985. Il n'existait à cette époque aucune traduction de ses textes. La situation n'a changé que lorsqu'Angela Leite Lopes a soutenu une thèse de philosophie sur Rodrigues à l'Université́ Paris I en 1985. Dans le cadre de ses recherches, elle a traduit deux pièces et les a annexées à sa thèse : Doroteia et Dame des noyés. C'est aussi à Angela Leite Lopes que l'on doit la première diffusion de l'œuvre de Rodrigues : elle a confié les deux pièces traduites à l'éditrice Paule Thévenin, une amie personnelle d'Antonin Artaud. Ayant promis de faire connaître les textes dans le milieu théâtral parisien, elle envoya sans tarder les deux pièces à divers contacts, dont Alain Ollivier. Alain Ollivier était alors déjà connu du milieu théâtral parisien pour avoir travaillé avec des auteurs de renom. Ayant débuté comme comédien, il avait été dirigé par de grands noms de la scène française : Peter Brook, Philippe Adrienet Bernard Sobel. À partir de 1979, il s'est consacré à la mise en scène, adaptant le répertoire classique et contemporain : Molière, Marivaux, Dostoïevski, Claudel, Genet… Sa première adaptation de Nelson Rodrigues a été le monologue Valse n°6, en 1995. Après un relatif succès, sa mise en scène de la pièce Ange Noir, à la MC93 en 1996, a reçu un accueil plus tourmenté. La réputation d'Alain Ollivier, connu pour son engagement politique, anticolonialiste notamment, n'a pas empêché, malgré des contextes très différents, des polémiques rappelant les réactions brésiliennes. Ange noir raconte l'histoire d'Ismaël, une sorte d'Apollon noir qui rejette sa couleur, et de sa femme Virginia, un nom symbolisant sa blancheur. Traitant de « l'affrontement et l'attraction entre les races […] », il s'agit d'« une pièce majeure de l'imaginaire moderne », par sa maîtrise de la composition et ses innovations sur le plan thématique. Les protagonistes s'aiment passionnément, mais les innombrables obstacles qui se dressent entre eux illustrent les tensions brésiliennes, marquées par le legs de trois siècles de crimes coloniaux et les rémanences de l'esclavage selon Ollivier lui-même. Il voyait dans le texte de Rodrigues des échos de Frantz Fanon : « […] l'homme noir qui se déteste en tant que tel […] » et « […] souffre de ne pas être blanc […] ». La pièce divisa les opinions dès sa première présentation. Une partie salua le travail d'Alain Ollivier comme l'œuvre de Nelson Rodrigues, d'autres restèrent perplexes, voire terrifiés, devant l'audace des artistes. C'est le cas de l'acteur d'origine guadeloupéenne Jacques Martial, qui jugea la pièce discriminatoire et raciste. Une cabale demanda l'interruption immédiate des représentations. Sans céder aux pressions mais pour mieux contextualiser la pièce, la MC93 organisa des tables rondes avec des psychiatres, des psychologues, des sociologues, des anthropologues et d'autres spécialistes, venus discuter des thèmes de la pièce avec le public. Cette controverse n'a pas arrêté Alain Ollivier qui monta ensuite Toute nudité sera châtiée, pièce sélectionnée pour le Festival d'Avignon. D'autres artistes français lui emboîtèrent le pas en produisant d'autres textes de Nelson Rodrigues. De 1991 à 2022, on a pu voir de nouvelles mises en scène : Valse n°6 a été repris par Henri Ronse et Majorie Nakache ; Les Sept Petits Chats a été représenté par Gilbert Rouvière ; et Le Baiser sur l'asphalte par Thomas Quillardet. Ce dernier a traduit également Pardonne-moi de me trahir pour un montage de Louise Robert et l'audacieuse Michelle Césaire a programmé une mise en scène d'Ange Noir en 2008. Ces spectacles ont fait l'objet de plus de 250 articles de critiques français. Malgré cela, Nelson Rodrigues reste aujourd'hui un auteur relativement méconnu en France. Si le moment Ollivier a été décisif, il nous faut analyser désormais toutes les mises en scène et les traductions du théâtre de Rodrigues réalisées en France dans la période 1985-2020. Cette extension est nécessaire pour suivre dans un temps relativement long l'histoire d'une réception, et ces évolutions en fonction des acquis, du passé et du passif, des avancées et des changements de contexte français. Cette histoire de la réception passe aussi nécessairement par l'analyse des traductions et l'étude conceptuelle des spectacles dans leurs dimensions scénique et dramaturgique. Cette recherche aidera à mieux apprécier les ressorts du théâtre de Nelson Rodrigues, mais aussi à comprendre les facteurs spécifiquement français de cette histoire : à en analyser les mécanismes et à définir l'horizon d'attente du public français. Étude dramaturgique, elle se veut aussi contribution à la compréhension d'une société, de ses ressorts symboliques et imaginaires.