La fiction judiciaire amoureuse au Moyen Âge (XIIe-XVe s.)
Auteur / Autrice : | Cassandre Crespin |
Direction : | Jean-René Valette, Mireille Demaules |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Littératures du Moyen Âge |
Date : | Inscription en doctorat le 01/10/2022 |
Etablissement(s) : | Sorbonne université |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Mondes anciens et médiévaux (Paris ; 2000-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Études et édition de textes médiévaux (Paris ; 2008-....) |
Mots clés
Résumé
La naissance des universités, et tout particulièrement celle de Bologne fondée à la fin du XIe siècle, accompagne la redécouverte et l'enseignement des grandes compilations du droit romain entreprises sous Justinien (Code, Digeste, Institutes, Novelles), modèle qui essaime rapidement dans le Midi français avant de gagner le Nord. La logique juridique est avant tout investie par l'Église : en témoigne la réflexion sur la pénitence, conçue comme une sorte de système pénal qui évolue du milieu du XIe siècle à la fin du XIIe de la logique de la pénitence tarifée « selon un véritable code », le pénitentiel, à la prise en compte de circonstances atténuantes ou aggravantes dans la commission du péché (Payen, 1967). En outre, le « moment grégorien », « fait social total » que F. Mazel étire du milieu du XIe siècle jusqu'au début du XIIIe, s'accompagne de la promotion d'un droit canonique diffusé au travers de compilations visant à donner une forte cohérence à « cette éthique cléricale radicale » (Mazel, 2021), au premier rang desquelles celle de Gratien, le Décret, qui devient la principale source du droit canonique à partir du milieu du XIIe siècle. La réforme grégorienne se fonde sur une distinction nette entre les clercs et les laïcs selon l'éthique sexuelle qui leur est attribuée : abstinence pour les uns, mariage pour les autres. Parallèlement, l'Église entend régir les normes matrimoniales, puisque le mariage acquiert un caractère sacramentel lors du concile de Latran IV (1215), et juger les comportements fautifs. Le droit, canon en l'occurrence , est donc avant tout appréhendé comme un instrument de pouvoir qui prescrit, en amont, et qui juge, en aval. C'est à la même époque qu'est promue la courtoisie dans les milieux curiaux : idéal social, humain, diffusant un art de vivre spécifique, caractéristique de la nouvelle forme de socialité aristocratique de ce que l'on désigne comme le second âge féodal (milieu du XIIe-XIIIe s.), elle vise un « affinement des murs » (Payen, 1984) comme l'indique la rédaction des premiers traités de civilité en langue vernaculaire, qui codifient le comportement à adopter, en particulier en matière d'amour. Cette civilisation des murs s'illustre tout particulièrement dans la fin'amor, son versant amoureux, chanté par la lyrique des troubadours. Intrinsèquement adultère, la fin'amor apparaît comme un « nouvel art d'aimer » (Zink, 1997), un idéal social, fondé sur une équivalence entre la pratique d'une certaine forme d'amour et la définition d'une essence éthique et sociale de l'aristocratie. Or cette promotion d'un amour loin des préceptes chrétiens peut être lue comme une réaction aristocratique à la régulation sexuelle et matrimoniale promue par l'Église. En effet, le XIIe siècle voit se rompre le lien entre droit et morale (Payen, 1967), notamment dans la sphère amoureuse : Iseut, dans la version de Béroul (seconde moitié du XIIe s.), comme Héloïse, dans la première lettre à Abélard (v. 1133), refusent de se considérer comme coupables et soulignent la pureté de leur intention. C'est à la même époque, en particulier dans les travaux d'Abélard (Ethica sive Scito te ipsum, v. 1139), que s'élabore une morale de l'intention affirmant le primat de l'intériorité sur les actes. Or l'éthique est une notion plus subjective que le droit, mettant plutôt l'accent sur l'intention et l'intériorité (Boudou et Méniel, 2012). La morale amoureuse aurait ainsi glissé du droit à l'éthique, conçue comme morale supérieure en vertu de laquelle on peut aimer au-delà du droit. Nous entendons interroger cette promotion d'une éthique nouvelle qui semble contester l'hégémonie normative à laquelle prétend le droit et à reconnaître l'élaboration d'une normativité différente, voire concurrente. C'est donc à la composante éthique de cet amour que l'on dit courtois et aux différentes formes qu'emprunte son entreprise normative que ce projet entend s'intéresser, de son surgissement au XIIe siècle à la fin de la période médiévale. En organisant le corpus d'étude autour de la fonction et de l'ambition normatives des uvres, nous entendons définir les contours d'une poétique du droit.