Thèse en cours

Le réalisme magique européen de l'entre-deux-guerres

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Auteur / Autrice : Lukas Brock
Direction : Véronique Gely
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Littérature comparée
Date : Inscription en doctorat le 31/08/2022
Etablissement(s) : Sorbonne université
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Littératures françaises et comparée (Paris ; 1992-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre de recherche en littérature comparée (Paris ; 1981-....)

Mots clés

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Résumé

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De nos jours, le terme de « réalisme magique » est souvent associé à l'Amérique latine. C'est à travers les œuvres de Gabriel García Marquez, Mario Vargas Llosa, Miguel Ángel Asturias, Jorge Luis Borges ou Alejo Carpentier qu'il s'est diffusé partout dans le monde. On oublie souvent que dans l'histoire de l'art italienne, cette même désignation est avant tout employée pour qualifier des tableaux et sculptures d'artistes de l'entre-deux-guerres. Pour savoir que le « realismo mágico » hispanophone et le « realismo magico » italien dérivent, du moins du point de vue terminologique, d'une mouvance « post-expressionniste » définie par Franz Roh comme « magischer Realismus », il faut être historien de l'art. Pour savoir que Franz Roh a trouvé cet oxymore chez Novalis, il faut être spécialiste ou du romantisme allemand ou du réalisme magique. Le réalisme magique européen de l'entre-deux-guerres semble être resté fidèle à lui-même. La grande réserve avec laquelle la recherche s'y est confrontée jusqu'à présent, ressemble à cette peur naturelle que ressent l'humain face aux événements inexplicables et prétendument « magiques » dont la réalité nous échappe. En tant que phénomène énigmatique, crypté, intemporel, mystique, le réalisme magique reste d'une certaine façon insaisissable et apparaît comme un fantôme dans le climat étouffant de l'entre-deux-guerres, du nazisme et du fascisme. Encore aujourd'hui, il est difficile d'en parler de la même façon qu'on parlerait par exemple du surréalisme ou de la Nouvelle objectivité qui lui sont contemporains. Cependant, une réorientation magico-réaliste bien distincte de ces derniers courants artistiques semblent avoir eu lieu dans la période de l'entre-deux-guerres. En effet, les confins du réalisme magique sont parfois à peine visibles et plus d'une fois il faut examiner les œuvres à la loupe : pourquoi Franz Roh cite-t-il l'Autoportrait avec modèle (1923) d'Otto Dix comme une œuvre exemplaire du réalisme magique sans prendre en considération les Joueurs de Skat (1920) ? Qu'est-ce que les figures de Giorgio de Chirico ou de Carlo Carrà ont de si particulier par rapport à celles de Salvador Dalí ou d'Yves Tanguy ? Dans la littérature, les mêmes doutes persistent : en quoi les deux écrivains principaux du réalisme magique, Massimo Bontempelli et Ernst Jünger, se distingueraient-ils de certains écrivains contemporains tels que Gabriele D'Annunzio, André Breton, Louis Aragon, Alfred Döblin ou Hans Fallada et qu'est-ce qui les rapprocherait en revanche de Thomas Mann ? Un critère distinctif important pourrait être établi à partir de la volonté (ouvertement assumée par les réalistes magiques) de faire renaître les mythes. Il s'agit là d'un projet extrêmement audacieux, surtout quand on considère que les idéologues nazis ont nourri des ambitions à première vue semblables. Des écrits comme Le Mythe du XXe siècle (Der Mythus des 20. Jahrhunderts) d'Alfred Rosenberg, dans lesquels un antisémitisme agressif est vendu comme un progrès spirituel, risquent de discréditer les « chercheurs de mythes » de l'entre-deux-guerres. La plupart des mythologues sont aujourd'hui bien conscient de ce problème. Dans un article sur l'engagement de Georges Bataille dans le Collège de Sociologie, Juliette Feyel souligne, en guise d'introduction, l'influence du nazisme sur la mythographie (mise en avant par Carlo Ginzburg) et se concentre ensuite sur la distinction entre une conception fasciste et une conception anti-fasciste des mythes. À côté de la prise de distance politico-sociologique, qui s'exprime par exemple à travers l'intérêt pour les divinités chtoniennes (en tant qu'antagonistes des idéaux olympiens propre au Führer-Kult), une autre réaction à la violence nihiliste consiste dans la fuite presque naturelle de certains artistes isolés dans l'espace mythique. Le roman Sur les Falaises de marbre d'Ernst Jünger témoigne par son style particulier de la présence d'un censeur impitoyable auquel une écriture symbolique (qui se rapproche de l'écriture mythique) est censée résister. Dans les deux cas, le vrai mythe cherche à s'affirmer face au faux mythe et tout se passe comme si la recherche de l'essence véritable du μύθος était une forme de résistance plus ou moins ouverte des esprits libres de l'entre-deux-guerres. Sans doute faut-il ensuite aussi distinguer entre la réinvention et la réinterprétation des mythes. Les pièces de théâtre de Jean Giraudoux ou la nouvelle Odyssée de Jean Giono démontrent grâce à une adaptation intelligente « qu'un mythe n'est jamais anachronique et [qu']il actualise une vérité qui vaut pour tous les temps […] » (Guillaume Bridet) : dans La guerre de Troie n'aura pas lieu, le ton cynique de Cassandra ou d'Hélène servent sans soute aussi à rendre le mythe à nouveau accessible au public moderne. Les réalistes magiques semblent au contraire vouloir faire accéder leurs contemporains au mythe. Leurs œuvres didactiques visent à transmettre une vision mythique qui sache faire transparaître les figures mythiques au-delà de la « désertification ». Si les mythes (ré)apparaissent là où quelqu'un les voit, où un visionnaire actif devient leur co-créateur, les nouvelles représentations de mythes doivent être à la fois visibles et suggestives, fondatrices et détachées, objectives et poétiques, réalistes et magiques. On pourrait se demander si les anciens Grecs et Romains n'ont pas à certains égards anticipé cette capacité des figures mythiques à se rendre visibles en tant que figures mythiques. L'hypotypose, par exemple, est une figure de style qui provoque une mise en présence du héros dont les mouvements sont décrits de façon si vivante que le lecteur l'identifierait presque à une réalité émancipée de la médiation du récit. On doit cependant remarquer que le maintien des « vivants piliers » de l'antiquité sur le fond désacralisé de l'âge moderne n'a rien de facile. Il requiert non seulement une fine sensibilité pour une atmosphère perdue, mais aussi une implication innovatrice dans le monde présent. Le réalisme magique a peut-être ceci d'original qu'il tient aussi compte de l'aliénation, de l'incompréhension moderne des écrits d'Homère ou de Sophocle, - de cette étrangeté des mythes au XXe siècle. Selon Massimo Bontempelli, le novecento a besoin de « mythes rafraîchissants » qui représentent leur temps, mais aussi l'intemporel toujours caché derrière lui. Ces mythes doivent créer la « nouvelle atmosphère dont nous avons besoin pour respirer ». Parmi les sources d'inspirations des réalistes magiques, on trouve aussi bien les classiques antiques que des auteurs comme Kafka ou E. A. Poe qui décrivent dans leurs nouvelles le malaise de l'homme moderne. Il convient d'examiner si les œuvres des réalistes magiques européens de l'entre-deux-guerres peuvent ainsi être considérées comme des « mythes fondateurs » du XXe siècle. Cette recherche constituera certainement aussi une contribution importante au débat concernant la définition globale du réalisme magique. En cherchant à prouver le caractère mythique des œuvres du réalisme magique on revient à la fois aux racines de cette réorientation esthétique et à la question de la définition même du mythe. Corpus (provisoire) Œuvres françaises : Marcel Aymé, La Jument verte (1933), La Vouivre (1943) Jean Giono, Regain (1930), Que ma joie demeure (1935) Julien Gracq, Au château d'Argol (1938) Œuvres italiennes : Massimo Bontempelli, La vita intensa - Romanzo dei romanzi (1920) Dino Buzzati, Il deserto dei Tartari (1940) Œuvres allemandes : Ernst Jünger, Das abenteuerliche Herz. Figuren und Capriccios (1938), Auf den Marmorklippen (1939) Thomas Mann, Der Zauberberg (1924), Mario und der Zauberer - Ein tragisches Reiseerlebnis (1930) Liste des peintres à étudier Peintres français : Henri Rousseau (La Bohémienne endormie, 1897) Balthasar Klossowski (Balthus) (La Montagne, 1936-37) Peintres italiens : Alberto Savinio (Le Temple foudroyé, 1931) Giorgio De Chirico (I pesci sacri, 1919) Giorgio Morandi (Natura morta con manichino, 1918) Carlo Carrà (L'Amante dell'ingegnere, 1921) Felice Casorati (Raja, 1924-25) Cagnaccio di San Pietro (L'Alzana, 1926) Antonio Donghi (Donna al caffè, 1931) Ubaldo Oppi (Ritratto della moglie sullo sfondo di Venezia, 1921) Achille Funi (Mia sorella, 1921) Mario Broglio (La piscina, 1935) Peintres allemands : Otto Dix (Flandern, 1934-36) Christian Schad (Lotte, 1927) Rudolf Schlichter (Ernst Jünger, 1937) Walter Spies (Laterna Magica, 1926) Alexander Kanoldt (Olevano, 1927) Carl Grossberg (Maschinensaal, 1925) Walter Schulz-Matan (Der Fayencesammler, 1927) Heinrich Maria Davringhausen (Junge mit Seifenblasen, 1922-23)