Interpréter des violences sexuelles dans les récits de fiction : discours de réception, problèmes théoriques et esthétiques
Auteur / Autrice : | Anne Grand d’Esnon |
Direction : | Henri Garric |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Littérature comparée |
Date : | Soutenance le 19/09/2024 |
Etablissement(s) : | Bourgogne Franche-Comté |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Lettres, Communication, Langues, Arts |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Centre Pluridisciplinaire Textes et Cultures (CPTC) (Dijon) |
établissement de préparation : Université de Bourgogne (1970-....) | |
Jury : | Président / Présidente : Emmanuel Bouju |
Examinateurs / Examinatrices : Henri Garric, Marie-Jeanne Zenetti, Sylvie Patron, Florian Vörös, Laurent Jullier, Manon Garcia | |
Rapporteur / Rapporteuse : Marie-Jeanne Zenetti, Sylvie Patron |
Résumé
Cette thèse propose une contribution à la théorisation de l’interprétation narrative à travers une démarche empiriquement fondée sur l’étude de réceptions effectives. Elle affronte un problème théorique ancien — celui de la variation des interprétations — mais en partant d’une manifestation bien spécifique de cette variation : des événements de fiction qui tantôt sont interprétés comme des violences sexuelles par les lecteurs·rices ou spectateurs·rices, tantôt ne le sont pas. S’il est relativement banal de dire qu’un récit ne raconte pas exactement la même chose pour tout le monde, ce constat est plus inconfortable lorsque l’absence de consensus touche potentiellement un viol dans le monde fictionnel.L’identification de cette forme particulière de variation dans la réception a permis de réunir un corpus d’œuvres où elle se manifestait : dans un ensemble de romans (Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, Tess d’Urberville de Thomas Hardy, Autant en emporte le vent de Margaret Mitchell, Lolita de Vladimir Nabokov et Disgrâce de J. M. Coetzee), d’adaptations cinématographiques dès lors que la variation s’y maintenait (Autant en emporte le vent de Victor Fleming, Lolita de Stanley Kubrick, Tess de Roman Polanski, Dangerous Liaisons de Stephen Frears, Tess of the d’Urbervilles de David Blair) et enfin de films de fiction (Blow up d’Antonioni, Blade Runner de Ridley Scott, Nola Darling n’en fait qu’à sa tête de Spike Lee et Garçon d’honneur d’Ang Lee).En rassemblant des discours de réception autour de ces œuvres, qu’ils émanent d’interprètes professionnel·les comme dans le cas de la critique universitaire, de lecteurs·rices et spectateurs·rices ordinaires et anonymes échangeant dans des espaces numériques (Wikipédia, YouTube, Goodreads, Letterboxd) ou encore d’auteurs·rices intervenant dans le débat public sur les violences sexuelles, on a pu alors analyser plus finement les procédures qui sous-tendent l’interprétation ou non de violences sexuelles et ce qu’elles mettent en jeu.La thèse montre que ces désaccords interprétatifs sur des événements de fiction engagent des divergences idéologiques, politiques et normatives profondes, notamment sur ce qui constitue ou non une violence sexuelle d’une façon générale. Dans le même temps, la thèse interroge les procédures interprétatives propres à l’interaction avec une œuvre de fiction : le fait de s’interroger sur ce que cette œuvre nous « demande » de lire, à quelles normes elle nous « demande » d’adhérer, ou le fait de se questionner sur la cohérence de l’événement interprété avec les thèmes du récit. Enfin, la thèse met en évidence dans certains cas le coût esthétique de l’interprétation de violences sexuelles pour l’expérience de réception : bien qu’un certain nombre d’œuvres présentent une réception où coexistent des interprétations antagonistes sur ce point qui s’intègrent pourtant chacune dans une forte cohérence interprétative d’ensemble, interpréter des violences sexuelles crée parfois un dysfonctionnement indépassable qui prive d’une cohérence narrative et esthétique identifiable.