Politiques de l'existence : Famille, murs et politique dans la philosophie de Rousseau
Auteur / Autrice : | Anne Morvan |
Direction : | Gabrielle Radica |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Philosophie |
Date : | Inscription en doctorat le 20/09/2023 |
Etablissement(s) : | Université de Lille (2022-....) |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Sciences de l'homme et de la société (Lille ; 2006-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Savoirs, Textes, langages |
Résumé
Notre travail part du double constat suivant : D'une part, on sait que pour Rousseau la politique n'est pas qu'affaire de principes. Il ne suffit pas en effet de penser les conditions d'un État juste, mais il faut aussi penser les conditions d'une véritable communauté politique, seule à même de porter la volonté générale. Celle-ci suppose non la juxtaposition d'individus non une « agrégation » pour reprendre le terme rousseauiste mais une association, c'est-à-dire un ensemble dans lequel les individus sont liés les uns aux autres par de multiples rapports. Comment faire naître des liens entre les citoyens ? Comment créer les conditions d'un véritable attachement à la communauté politique, d'un sentiment d'obligation ? Rousseau affronte notamment ces questions au chapitre XII du livre II du Contrat Social, en montrant à quel point il est nécessaire de s'appuyer sur « les murs, les coutumes et surtout l'opinion », afin de faire tenir l'édifice de l'État, les murs en constituant « l'inébranlable clef » de voûte. Or, il est tout à fait remarquable qu'au cur même de l'analyse du politique, Rousseau utilise le vocabulaire conceptuel de l'existence, du déploiement des forces propres, de la vitalité du peuple et de la communauté politique. Certaines analyses fondamentales du politique sont donc pensées et construites par Rousseau par la médiation de concepts propres à une philosophie de l'existence (temporalité, attachement, passion, forces, bonheur d'exister, habitudes, affects). Elles proviennent de la nécessité pour Rousseau de penser des liens politiques substantiels entre les citoyens, condition déterminante d'un intérêt politique commun. D'autre part, on sait que la famille est pour Rousseau l'un des lieux privilégiés où se joue une temporalité longue, où donc dans certaines conditions se trament et se tissent des liens entre ses membres, des manières d'être et de penser, des habitudes et des affects. En ce sens, la famille constitue un lieu d'intimité certain, mais dont la portée ne se réduit jamais à n'être que domestique. Loin de faire de la famille une entité immuable qui pourrait être essentialisée, Rousseau a une conscience aigue qu'elle est une « éternelle mutante » (pour reprendre l'expression de Gabrielle Radica) dont il faut à la fois penser et élaborer les conditions de normativité. Or, cette normativité n'est pas seulement morale chez Rousseau mais elle est aussi fondamentalement politique car la famille en s'inscrivant dans un temps long constitue l'un des ressorts déterminants pour faire émerger des affects et des murs politiques, comme l'amour de la patrie. C'est donc la famille elle-même dans ces diverses composantes (enfance, maternité, paternité, liens familiaux) qui doit être pensée au prisme d'une philosophie de l'existence toujours déjà inscrite dans une perspective politique. Ainsi ferons-nous notamment l'hypothèse que la question de l'éducation chez Rousseau s'inscrit toujours dans des enjeux non seulement moraux, mais plus fondamentalement politiques. Si on a pu faire de Rousseau un philosophe de la conscience, de l'intimité et de l'authenticité, pour le dire autrement un philosophe de l'existence, il nous semble que c'est tronquer le sens même de l'entreprise rousseauiste que d'opérer une rupture entre l'existence et le politique. Partir d'une double perspective indissolublement existentielle et politique qui trouve son point de jonction dans la question de la liberté nous permettra d'apporter un éclairage nouveau tant sur la dimension politique de l'intimité domestique familiale (petite enfance, maternité, liens familiaux) que sur la dimension existentielle de la communauté politique dont Rousseau cherche non seulement à dégager les principes mais à penser les conditions de viabilité, de permanence, en un mot d'existence.