Thèse en cours

Les apports de la philosophie de la technique à la compréhension du travail: éthique et organisation

FR  |  
EN
Auteur / Autrice : Hugues Thibault
Direction : Christine Noel-lemaitreSandrine Frémeaux
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Philosophie
Date : Inscription en doctorat le 05/10/2020
Etablissement(s) : Aix-Marseille
Ecole(s) doctorale(s) : École Doctorale Cognition, Langage et Éducation (Aix-en-Provence)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : LTD - Laboratoire de Théorie du Droit

Résumé

FR  |  
EN

Titre provisoire : Enquête philosophique sur l'organisation du travail : entre concept et objet technique. Contexte et motivations : L'élaboration de ce projet de thèse s'inscrit dans la continuité de mon mémoire de master 2, mené sous la direction du professeur Emmanuel Renault (Sophiapol), qui portait sur les perspectives que la philosophie de la technique peut ouvrir à la critique sociale du travail. La motivation initiale pour ce sujet de mémoire provenait de mon expérience professionnelle de directeur financier, que je conçois comme une fonction d'organisation du travail, et d'interrogations personnelles sur le rapport entre le vécu du travail et les principes qui déterminent son organisation. Depuis quelques décennies un ensemble grandissant de réflexions se penche sur le travail comme expérience et comme activité (au sein des ergo-disciplines et le la clinique du travail notamment), proposant une alternative aux paradigmes du travail comme transformation d'un donné naturel ou comme enjeu d'organisation sociale sous la forme de l'emploi. Le travail ne se laisse réduire ni à son organisation ni à des actes, notamment de transformation d'une nature passive : il est essentiellement un vécu subjectif, comme le montre la clinique du travail issue notamment de la psychodynamique de Christophe Dejours ou de la clinique de l'activité d'Yves Clot. Et pourtant ce travail analysé comme une activité reste organisé par le monde social, et se caractérise par sa matérialité, sa tangibilité en tant que processus sur le monde. En explorant comment le travail-activité est transformé par les dimensions de la subjectivité individuelle, des prescriptions changeantes du monde social et des contingences du monde matériel, on peut en venir à saisir le saisir comme une interface, comme une mise en interaction de ces dimensions (le monde social, le monde physique et la subjectivité individuelle) s'effectuant sous une modalité technique. Se pose alors la question de la critique sociale du travail. Si l'organisation du travail apparait comme une fonction (au sens mathématique) de mise en relation de la subjectivité individuelle, des règles du monde social et du monde physique, dont les instanciations sont des vécus relevant du travail-activité, quelle peut être la fécondité de la clinique du travail du point de vue des techniques d'organisation ? Et par ailleurs à quelles conditions et de quelles manières les pratiques de gestion peuvent-elles évoluer pour tenir compte des critiques qui leurs sont adressées ? Question de recherche : Sur ces bases, c'est-à-dire à partir de la portée diagnostique des sciences sociales s'intéressant au vécu du travail, et à partir de la philosophie de la technique, on peut se diriger vers une étude des techniques de gestion et de la manière dont leur dimension matérielle affecte le travail-activité. Par dimension matérielle des techniques de gestion j'entends leur aspect tangible : par exemple la tenue de réunions, l'évaluation de la performance individuelle ou encore la conception et l'utilisation de systèmes informatiques dont le fonctionnement concret est déterminé par des conceptions abstraites de processus de gestion. L'intérêt de cette étude me semble justifié par la propagation des normes de gestion hors du champ traditionnel de l'entreprise, où ces outils et normes ont été conçus, jusque dans les administrations, les hôpitaux et autres domaines non « marchands » qui opéraient auparavant selon des normes qui leur étaient propres (on peut se référer par exemple à La société malade de la gestion de De Gaulejac). Il semble qu'aucun travail organisé n'échappe à ces normes et à leurs impératifs, à leur forme de rationalité et aux pratiques techniques qu'elles sous-tendent. Dans cette thèse, je souhaite donc interroger le concept d'organisation du travail et les pratiques standardisées auxquelles il a donné lieu (entre autres les standards d'informatique de gestion), depuis le point de vue du travail subjectif. Cette interrogation porte d'abord sur la nature du concept : que décrit-il véritablement, et est-il adéquat ? La question engage aussi un devenir : comment pouvons-nous rendre compte de l'évolution de l'organisation du travail en tant que choses qui se matérialisent ? Enfin, je tenterai d'identifier dans quelle mesure la critique de ce concept peut servir de relais « clinique » à la critique sociale de l'organisation du travail, en me penchant sur l'écart entre l'idéal coopératif et la réalité du travail dans les coopératives. Je tenterai alors d'éclaircir les conditions de possibilité techniques des pratiques désirables que suggèrent la psychodynamique du travail et la sociologie de l'activité. Cette réflexion supposera de s'interroger en outre sur les typologies de décisions et sur les notions d'expertise et de légitimité. Hypothèses et programme de réflexion : - La première hypothèse que je travaillerai est la suivante : le concept de travail-activité, inauguré par la psychodynamique (ou celui d'activité humaine en situation de l'ergologie), peut apparaitre en termes philosophiques comme le résultat de l'organisation du travail prise comme fonction de mise en relation, ou en d'autres termes comme un lieu de rencontre et d'inter-affection entre les dimensions de la subjectivité individuelle, du monde social et du monde physique. - La seconde hypothèse consiste à affirmer que s'il y a une centralité du travail dans les luttes sociales (cf. La centralité du travail, Dejours & Deranty), il y a aussi une centralité de la technique dans le travail, notamment du fait des objets techniques qu'il met en jeu. L'état de la technique déterminant la manière dont l'organisation du travail peut se réaliser en situations de travail concrètes, il semble qu'une réflexion sur les techniques d'organisation du travail ouvre sur deux problématiques : comment la technique est-elle en jeu dans le travail, et comment ses transformations l'affectent-t-elles ? Ensuite, que peut-on espérer comme devenirs désirables pour la technique au travail ? - Troisième hypothèse : l'organisation capitaliste du travail, de par son rapport spécifique à la technique (prescrite en dernière instance par les détenteurs du capital), n'est pas le lieu d'où l'on peut explorer les progrès possibles d'un travail démocratique, malgré un discours en ce sens. En revanche le mouvement coopératif offre un cadre pour réfléchir à l'idéal de coopération et aux conditions de possibilité techniques de sa réalisation. Méthodologie : Je tâcherai de justifier mes hypothèses par un travail d'analyse et de synthèse sur la production académique des ergodisciplines portant sur le travail-activité et la coopération. Dans le cadre de mon travail, la philosophie de la technique sera structurante en particulier pour analyser le concept de flux de gestion. Il s'agira de la confronter aux recherches empiriques sur la subjectivité au travail et avec la littérature dominante en sciences de gestion, portant sur les processus organisationnels. L'ambition de ma thèse sera de décortiquer les processus standards de gestion à l'aide de concepts issus tant de la philosophie politique que de la philosophie de la technique, dans le but de proposer des processus alternatifs techniquement valides et en adéquation avec les propositions de la clinique du travail. Bibliographie de départ : Christophe Dejours Le facteur humain, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Que sais-je?, 1995, 2018. Christophe Dejours, Jean-Philippe Deranty « The centrality of work », Critical Horizons, vol. 11, no. 2, 2010. Christophe Dejours, Jean-Philippe Deranty, Emmanuel Renault, Nicholas H. Smith The return of work in critical theory, New York, Columbia University Press, 2018. Michel Lallement Le travail, une sociologie contemporaine, Paris, Gallimard, coll. Folio Essais, 2007. Jean-Pierre Séris La technique, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Quadrige, 2013. Gilbert Simondon Du mode d'existence des objets techniques, Paris, Flammarion, coll. Aubier Philosophie, 1958. Erik O. Wright Utopies réelles, trad. Vincent Farnea et João Alexandre Peschanski, Paris, La Découverte, 2017. Bibliographie prospective : Alexandra Bidet L'engagement dans le travail, Paris, PUF, 2011. Yves Clot Travail et pouvoir d'agir, Paris, Presses Universitaires de France, 2010. Thomas H. Davenport Process Innovation: Reengineering Work Through Information Technology, Boston, Harvard Business School Press, 1992. Vincent de Gaulejac La société malade de la gestion. Idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social, Paris, Seuil, 2005. Danièle Linhart La modernisation des entreprises, Paris, La découverte, 2010. Yves Schwartz Reconnaissances du travail. Pour une approche ergologique, ouvrage collectif sous la responsabilité d'Yves Schwartz, PUF, 1997. Yves Schwartz Les caprices du flux. Les mutations technologiques du point de vue de ceux qui les vivent. / MIRE - MISSION INTERMINISTERIELLE RECHERCHE-EXPERIMENTATION, Paris, 1990.