La Commemoration de la Terreur Blanche dans les oeuvres autour de l'Île verte
Auteur / Autrice : | Chuchun Hsu |
Direction : | Catherine Grout, Marie Laureillard |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Histoire et civilisations : histoire des mondes modernes, histoire du monde contemporain ; de l'art ; de la musique |
Date : | Inscription en doctorat le 01/10/2023 |
Etablissement(s) : | Université de Lille (2022-....) |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Sciences de l'homme et de la société (Lille ; 2006-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : LAboratoire Conception, Territoire, Histoire, matérialité |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
Présentation La création artistique liée au thème du traumatisme historique rencontre souvent des difficultés dans la représentation de l'histoire et dans sa promotion auprès du public. Bien que la transmission des traumatismes historiques au public soient inévitables, ces expériences sont souvent difficiles à aborder en tant que « connaissances difficiles » . Elles se manifestent souvent sous forme de résistance ou de rejet, ce qui en fait un sujet de discussion récurrent mais également éloigné de la société contemporaine. En même temps, la mémoire collective ou l'histoire nationale sont souvent ancrées dans des lieux symboliques et cristallisent un sentiment d'identité nationale. Dans ce contexte, l'Île Verte (綠島), en tant que périphérie de Taïwan, est devenue le point de convergence de cette problématique. Cette île a été utilisée comme lieu d'exil pour les vagabonds dès l'époque de la domination japonaise, et a ensuite été utilisée pour la détention de prisonniers politiques pendant la terreur blanche (白色恐怖) , ce qui en a fait un sujet tabou à Taïwan. Il est étroitement lié à la question de l'identité nationale taïwanaise, et les activités commémoratives institutionnalisées l'ont transformée en un outil de discours idéologique spécifique, ou en «un lieu de mémoire » comme l'a décrit Pierre Nora . Le Parc des Droits de l'Homme de l'Île Verte (綠島人權園區), qui a été construite sur le site de l'ancienne prison, est devenue un symbole du lourd souvenir collectif de l'île, où des monuments ont été érigés pour suspendre cette histoire traumatisante dans les airs. Les noms et les expériences des victimes de la terreur blanche sont clairement visibles dans la zone des droits de l'homme, mais la plupart des taïwanais les considèrent encore comme étrangers. Depuis 2019, avec l'ouverture des archives politiques, le Parc des Droits de l'Homme de l'Île Verte a organisé un Festival d'Art des Droits de l'Homme de l'Île Verte (綠島人權藝術季) chaque année, ce qui a progressivement changé la compréhension de l'histoire de la terreur blanche, voire de l'Île Verte, par les citoyens et a ouvert les consciences. Les créateurs et les artistes de l'exposition cherchent à ouvrir de nouveaux horizons pour discuter des traumatismes en brisant les récits passés liés à une seule perspective. Les participants à l'événement artistique ne cherchent pas à effacer les cicatrices, mais tentent plutôt de se rapprocher de l'Île Verte à travers le son, l'image, et même leur propre corps. Ils revisitent l'espace carcéral, étudient les archives sur la terreur blanche, et examinent les photos des paysages de l'île prises par les prisonniers politiques pendant leur détention. Ils se sont également installés sur l'île pendant plusieurs mois, ont exploré le paysage de l'île et ont interagi avec les habitants de celle-ci. Ils ont ainsi commencé à déconstruire les étiquettes attribuées à l'Île Verte, qui avais entravée les compréhension de l'histoire de la terreur blanche et à la réinterpréter. Afin d'explorer comment la création artistique peut faire face à la mémoire traumatique, voire modifier la relation entre les citoyens et ces histoires, voire même les paysages, cette étude approfondira les questions suivantes: quelle sorte de témoignage artistique peut résister à l'ignorance et à l'instrumentalisation, tout en résistant à l'oubli et à la standardisation ? Concernant la particularité du site, comment les artistes peuvent-ils interroger le paysage de mémoire à travers leurs créations artistiques, tout en évitant que cette île ne soit déconnectée de sa population? Lorsque l'exposition se déplace du musée vers les sites de l'histoire traumatique, comment parviennent-ils à trouver une autre façon de partager la mémoire collective dans le lieu complexe de l'Île Verte, enchevêtrement de nature et de souvenirs historiques ? Comment leur création artistique continue-t-elle à transformer ou déformer le signifiance du paysage de mémoire d'Île Verte ? Cadre historique : la publicité du deuil et son dilemme Depuis les années 1990, le travail de réhabilitation de la terreur blanche s'est progressivement constitué dans la société civile sous la forme d'entretiens, de mémoires, d'histoires orales, de recherches et de reportages. Ce n'est qu'aux alentours des années 2000 que ce travail est devenu institutionnalisé, avec la création officielle des parcs des droits de l'homme d'Île Vert et Jingmei (景美), qui ont lancé des travaux de collecte, d'exposition et de recherche. Cependant, les projets de mémoire encouragés par les politiques ont continué à suivre un cadre narratif conforme à l'idéologie des chercheurs en histoire, ce qui a limité le récit historique pendant une longue période. En même temps, l'émergence de l'identité taïwanaise depuis la fin des années 1980 a transformé les traumatismes historiques tels que le massacre du 28 février et la terreur blanche, qui étaient autrefois des expériences de souffrance partagées par un petit nombre de prisonniers politiques et leurs familles, en symboles de la communauté imaginaire des « nouveaux Taïwanais ». La sociologue Yeh Hung-ling (葉虹靈) a souligné dans ses recherches que d'une part, les parcs des droits de l'homme créés par le gouvernement ont préservé la mémoire traumatique de la terreur blanche, transformant les sites de détention ou d'exécution en lieux de mémoire et influençant le développement de la mémoire historique à Taïwan ; d'autre part, les projets de construction de mémoire publique initiés par l'État sont devenus des récits qui reproduisent des points de vue uniques et suppriment les aspects complexes. Selon elle, la transformation des personnages historiques et des événements en projets de mémoire n'est pas inévitable, et le domaine institutionnel de la mémoire a souvent une influence sur la construction de la mémoire collective. Par conséquent, il est toujours nécessaire d'étudier quel type de récit historique est produit à travers les sites commémoratifs et les expositions, et comment cela peut susciter la solidarité du public. Cependant, en ce qui concerne la commémoration des traumatismes collectifs, que, comme le souligne Yeh Hung-ling, serait-elle finalement entravée par les institutions et incapable de trouver des voies d'échappement ? L'historienne de l'art Chen Hsian-chun (陳香君) , dans son ouvrage sur la narration traumatique de l'art contemporain à Taiwan, intitulé Au-delà de la commémoration (紀念之外 ), propose un point de vue sur la théorie du traumatisme de Freud en suggérant que les activités commémoratives liées à l'événement du 28 février à Taiwan depuis les années 1990, cette réponse traumatique ne concerne pas seulement l'individu mais affecte également la tradition culturelle et l'identité collective qui sont depuis longtemps piégées dans un cycle de mémoire et d'oubli. Cependant, contrairement à l'analyse institutionnelle de Yeh Hung-ling, elle analyse, à travers le prisme des différences de genre, les uvres d'artistes femmes présentées dans l'exposition de 1997 « Sadness Transformed : 2-28 Commemorative Art Exhibition (悲情昇華:二二八紀念美展) » au Taipei Fine Arts Museum (台北市立美術館), échappant ainsi au récit traumatique centré sur l'État et l'élite masculine tout en permettant à l'art de construire le « poste de transition traumatique » proposé par Bracha Ettinger dans les années 1990. Depuis la proposition de recherche de Chen Hsian-chun, les discussion sur ce sujet s'arrêtent pendant longtemps, jusqu'à environ 2018 où il y n'a pas eu de nouveaux développements. En 2018, le gouvernement taïwanais a promulgué la « loi sur la promotion de la justice transitionnelle (《促進轉型正義條例》) » et la « loi sur les archives politiques (政治檔案條例) », a créé la Commission de promotion de la justice transitionnelle et a rendu publics les dossiers politiques. Les chercheurs et les artistes ont ainsi pu lire directement les archives politiques de la terreur blanche et ont développé ensemble des créations. Le Festival d'Art des Droits de l'Homme de l'Île Verte, qui a commencé en 2019 et qui a lieu chaque année, est devenu le point de convergence de ces créations. Les expositions centrées sur le festival d'art, en plus de sortir de la boîte blanche du musée, ont progressivement dévoilé des orientations différentes de celles des activités commémoratives des années 1990 et du début des années 2000. Les uvres ont même consciemment mis l'accent sur l'expérience de ceux qui se trouvent sur l'Île Verte, et ont commencé à se concentrer sur les paysages locaux de l'Île Verte, échappant ainsi au récit unique des activités de réhabilitation de la terreur blanche qui a persisté pendant si longtemps. Hypothèse : l'émergence des nouvelles formes de réparer dans les uvres d'art Dans le cadre de notre première recherche pour les projet intitulés « Rappeler le sens physique de l'histoire : le tournant de réparation de l'histoire traumatisme dans l'art contemporain » et « Membre fantôme / Implantation d'un membre : récit du traumatisme, modélisation et déformation du sujet dans l'art contemporain » , nous avons exploré plusieurs manières de réfléchir l'histoire de la terreur blanche dans les uvres d'art contemporain. Concernant les uvres que nous avons analysées, les artistes ont interrogé les récits de l'Histoire officielle avec le présentation une image brisée et créé une espace alternative pour « dépayser» le lieu de mémoire qui le rend étrange par ses productions ou ses pratiques d'art. Il convient de noter que ces dernières années, le Festival d'Art des Droits de l'Homme de l'Île Verte a exploré les limites possibles de cette île, passant de la « visite » au « bord », et utilisant des termes tels que « miroir » et « fissure » comme points d'entrée pour les expositions au cours des deux dernières années, soulignant de manière plus précise comment l'expérience corporelle des créateurs peut intervenir dans le paysage de l'Île Verte. Les artistes ne cherchent plus à combler les lacunes de l'histoire ou à réparer les sujets blessés pour les ramener à la « santé », mais ils portent leur regard sur les interstices de l'histoire et reflètent le contemporain à travers l'histoire. Ces deux approches rejettent clairement l'imagination de la société taïwanaise en ce qui concerne l'histoire du traumatisme. Elles nient que l'histoire puisse être comblée et restaurée, et rejettent les mémoriaux officiels et leurs grands récits, reconnaissant plutôt que les créateurs, grâce aux projections en miroir des conditions contemporaines, peuvent percevoir les perspectives possibles de l'histoire, ou entendre les voix passées ignorées à travers des fissures. Que ce soit pour la première ou la seconde approche, nous pouvons clairement voir la position et le point de vue des artistes. Dans cette perspective, le paysage de l'Île Verte n'est plus une preuve mais un témoin de l'histoire avec l'engagement de l'art. En outre, les artistes non seulement révèlent le passé refoulé mais également l'interrogent par ses productions artistiques. Ils reconnectent les liens entre l'histoire, la mémoire et les expériences sensorielles dans le paysage, ce qui les libère des symboles et les récits qui éloignent de l'île. En plus, ils offrent la possibilité de retrouver le sens physique de l'histoire. Fissures, miroirs - lors de l'exposition du Festival d'Art des Droits de l'Homme de l'Île Verte, ils ne sont pas seulement des métaphores, mais également des moyens pour les participants de l'exposition d'entrer en conversation avec le paysage et l'histoire. En ce sens, nous examinerons les uvres dans les festival d'art sur l'histoire de la terreur blanche à Île Verte par les deux dimensions susmentionnés et nous tenterons de développer un cadre théorique pour comprendre la rôle de la production artistique sur le sujet du traumatisme historique dans une société. Méthodologie :Île Verte, un paysage après-coup Cette étude se concentrera sur les récits de la terreur blanche qui entourent l'Île Verte depuis 2019. En plus de discuter des cadres discursifs de la curation, nous analyserons comment chaque uvre interagit avec cette terre et cette communauté de l'Île Verte, et représentera les couches historiques complexes enfouies dans l'île d'une manière plus complexe. Pour explorer la relation entre la création d'art et le paysage qui porte l'histoire traumatisme, nous nous référerons à l'approche proposée par Soko Phay et Patrick Nardin dans Le paysage après coup pour aborder le paysage du point de vue de l'après-coup (Nachträglichkeit), le terme premièrement formé par Sigmund Freud et adaptée par Jacques Lacan , qui considérant les traces des événements traumatiques comme une présence en constante évolution, et en les observant répétées qui y sont laissées ainsi que le processus d'effacement de ces traces par l'intervention des artistes. Afin de préciser concrètement les méthodes que les artistes utilisent pour échapper l'impasse de la commémoration, il est nécessaire de se concentrer sur les déformations et les traces de déformation dans le paysage. Nous pouvons également nous appuyer sur le concept de « l'archéologue du fantôme » , évoqué par Soko Phay dans cet ouvrage, pour discuter de la façon dont les artistes, tels des archéologues, font face aux paysages silencieux et tentent d'excaver les traces historiques effacées ou cachées. Ces traces, telles des fantômes, hantent les paysages post-traumatiques. Dans cette optique, nous tenterons d'examiner comment les participants au Festival d'Art des Droits de l'Homme de l'Île Verte, chacun à leur manière, revisitent le lieu et ajoutent des traces sur l'île et sur eux-mêmes, tout en explorant ou réinterprétant l'histoire d'Île Verte. Par ailleurs, nous allons relier les idées de Jaque Derrida et de Catherine Malabou à la proposition de Soko Phay de l'archéologue du fantôme, afin de discuter de la manière dont la création artistique peut déterrer la présence de fantômes tout en ouvrant sur l'avenir au lieu de se limiter à l'examen des événements passés dans la tradition de la psychanalyse. Nous pouvons nous souvenir que, pour Derrida, l'héritage historique n'est pas considéré comme un objet « doué », transparent, naturel et sémantiquement clair, mais plutôt comme des « fantômes » qui envahissent notre monde et qui défient l'autre système et la structure de connaissance, tourmentant et réfléchissant constamment nos contemporains, interrogeant leur réflexion sur l'histoire, sans réduire les discussions sur l'histoire en un contenu institutionnalisé et en maintenant une ouverture. En utilisant le paysage de l'Île Verte comme interface, la création artistique expose les fantômes historiques omniprésents et miroir à l'intérieur et à l'extérieur du système, rendant l'idée de justice transitionnelle impossible à simplifier, mais toujours ouverte vers l'avenir. Nous poursuivons la réflexion de Derrida avec Malabou, qui a réécrit la théorie du traumatisme en psychanalyse pour montrer comment le trauma entraîne une plasticité destructrice qui, tout en détruisant le sujet, permet également de créer de nouvelles formes. À travers les expériences sensorielles exprimées par les artistes dans leur création, les fissures de l'histoire ne sont pas seulement des lacunes que la conscience collective de la société taïwanaise cherche à combler, mais elles représentent également les traumatismes subis par l'Île Verte et Taïwan en tant que sujets blessés en constante transformation. L'Île Verte est continuellement façonnée par l'intervention des artistes, et le récit de la terreur blanche ne peut donc pas guérir complètement, ne menant pas à une narration unique et rigide. En utilisant la méthode de « après-coup » et en explorant les deux approches du « miroir » et de la « fissure », cette recherche espère examiner le Festival d'Art des Droits de l'Homme de l'Île Verte afin de découvrir comment la création artistique contemporaine ouvre de nouvelles voies dans la situation actuelle de Taïwan, permettant de maintenir l'ouverture du débat sur les traumatismes politiques tout en le rendant public. Bibliographie indicative BRITZMAN, D., 2000. If the story cannot end: Deferred action, ambivalence, and difficult knowledge, In: SIMON, R. I. et al. (eds.), 2000. Between Hope and Despair: Pedagogy and the Remembrance of Historical Trauma, pp. 27-58, Lanham, MD: Rowman & Littlefield Publishers, INC. 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