Thèse en cours

La Parenté du souffle'': La réincarnation chez les Druzes du Liban comme arène discursive, expérience communautaire et force socio-politique.

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Auteur / Autrice : Malek Rasamny
Direction : Isabelle Rivoal
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Anthropologie
Date : Inscription en doctorat le 27/11/2023
Etablissement(s) : Paris 10
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Espaces, Temps, Cultures (Nanterre, Hauts-de-Seine ; 2000-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative (Nanterre ; 1967-...)

Résumé

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Cette thèse vise à comprendre comment la réincarnation, en tant qu'ensemble hétérogène de croyances et d'expériences, constitue une modalité par laquelle les druzes négocient et remodèlent ce que signifie être druze dans le contexte du Liban d'aujourd'hui et de sa diaspora mondiale. Ramification du chiisme ismaélien, le druzisme compte aujourd'hui un million d'adeptes environ, repartis entre le Liban, la Syrie, Israël, la Jordanie et la diaspora mondiale. Les druzes forment une communauté́ religieuse fermée, la conversion à la foi et le mariage de ses membres en dehors de la communauté́ étant interdits. Au sein même de la communauté́, une ligne de démarcation stricte est maintenue entre la vaste majorité́ des non-initiés et un petit groupe d'initiés qui sont les seuls autorisés à accéder aux textes sacrés druzes et sont, selon la tradition, la seule autorité́ en matière de religion. Bien qu'étant considérée par les druzes comme un phénomène universel, la réincarnation ne se produirait selon eux qu'entre membres de la même communauté́. Ceux qui en font l'expérience sont appelés les nâtiqîn (sing. nâtiq), et il existe une croyance populaire selon laquelle une mort violente ou soudaine augmente la probabilité́ que le souvenir d'une vie passée se prolonge dans la suivante. Ce projet de recherche étudiera le phénomène de la réincarnation selon trois axes distincts. Le premier consistera à analyser la relation entre les conceptions doctrinales issues des textes religieux et différents imaginaires druzes de la réincarnation tels qu'ils sont formulés publiquement par des membres de la communauté́ prétendant à une certaine autorité́ en la matière (leaders politiques, philosophes autodidactes et responsables religieux). En effet, en l'absence d'un dogme unifié, de pratiques rituelles partagées et d'une autorité́ religieuse centralisée, les conceptions druzes de la réincarnation forment un espace discursif contesté entre initiés et non-initiés, espace dans lequel les druzes n'ont cessé de se définir et de se redéfinir au cours du XXème et jusqu'à aujourd'hui. En proposant de saisir cet espace discursif et les tensions qui le constituent, j'entends interroger la constante réinvention de la tradition pour, plus largement, contribuer à la réflexion sur l'inscription des religions et spiritualités dans la modernité́. Le deuxième axe analysera les divers processus par lesquels le nâtiq identifie et se relie à sa vie antérieure en les envisageant comme une sorte de rituel informel qui présente certains tropes actualisés par ses participants. Dans cette perspective, il s'agira d'examiner les différentes étapes à travers lesquelles une revendication de réincarnation est façonnée et vécue, en partant des paroles du nâtiq (généralement un enfant), puis en examinant comment la revendication d'une identité́ antérieure particulière est collectivement élaborée, un contact avec le milieu social de l'identité́ antérieure du nâtiq établi, et ces liens sociaux maintenus ou non dans le temps. M'éloignant des lectures fonctionnalistes de la réincarnation qui considèrent cette croyance comme une réponse à certains besoins culturels ou psychologiques, j'entends plutôt d'étudier les expériences de réincarnation comme des processus par lesquels les non-initiés peuvent façonner leur propre lien avec le sacré, en le réinscrivant dans des contextes profanes quotidiens, hors du contrôle de l'establishment religieux. Le dernier axe examinera la façon dont ces processus sont influencés par la mémoire violente et traumatique de la guerre civile libanaise (1975-1991), en m'intéressant à la génération des nâtiqîn qui croient être la réincarnation de combattants ou de civils tués pendant la guerre. J'accorderai une attention particulière aux expériences mémorielles et aux identités sociopolitiques rendues possibles par cette croyance en la réincarnation : comment renforcent-elles, interagissent-elles, mais aussi contredisent-elles parfois, les discours druzes dominants concernant la communauté́ ou la guerre (par exemple leurs conceptions du martyre, de l'honneur communautaire, etc.)?