Le miroir fêlé : puissances de la confusion au cinéma. Images, figures, discours
Auteur / Autrice : | Vincent Gaudin |
Direction : | Jean-Michel Durafour, Mathias Lavin |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | ARTS : études cinématographiques et audiovisuelles |
Date : | Inscription en doctorat le 20/11/2023 |
Etablissement(s) : | Aix-Marseille |
Ecole(s) doctorale(s) : | Ecole Doctorale Langues, Lettres et Arts |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : LESA - Laboratoire d'Etudes et Sciences des Arts |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
L'idée de confusion est inséparable de celle de sensation (aisthesis), notion mise en lumière au XVIIIème siècle par Baumgarten, l'initiateur de l'esthétique moderne. Brisant le dualisme cartésien entre pensée et étendue, il affirme que « la confusion est condition sine qua non de la découverte de la vérité », et que « connaissance distincte et connaissance confuse ne s'excluent pas ». Aux perceptions claires et distinctes des idées - selon la formule cartésienne - s'ajoutent les perceptions confuses des sensations, source aussi digne de produire de la connaissance. Le constat contemporain d'une certaine tendance à la confusion entre réalité et virtuel, dont la notion de « réalité virtuelle » résume le projet, me semble patent. Les images sont au bout des doigts, et l'environnement médiatique constitue une sorte de « bain esthétique » dans lequel les corps semblent plongés. Notre expérience sensible est saturée par un flux incessant d'images et de sons, qui constitue notre environnement quotidien, surmédiatisé - flux dont les conditions matérielles souvent invisibles forment un enjeu en soi, notamment du point de vue écologique. Le visible s'est étendu de manière exponentielle, et il semble qu'il ne reste aujourd'hui pas un centimètre carré de réalité qui puisse rester dans l'ombre. Cette situation nouvelle des images n'est pas sans susciter une certaine confusion chez l'observateur, tant dans sa relation aux images - dont il devient aussi producteur - que dans l'attention qu'il peut prêter à ce flux. Elle cause l'inquiétude des cinéastes, et renforce une critique sociologique et philosophique à l'encontre de ce que certains auteurs nomment une « esthétisation du monde ». Ainsi, cette situation reconduit un conflit entre l'esthétique et la réalité. Les images contribueraient à l'artificialisation du monde, infesté de simulacres, contaminé par le spectacle. Pourtant, il nous semble possible de penser cette situation esthétique d'une manière différente, à partir de la pensée de Jacques Rancière : « Si esthétique est le nom d'une confusion, cette confusion est en fait ce qui nous permet d'identifier les objets, les modes d'expérience et les formes de pensée de l'art que nous prétendons isoler pour la dénoncer. Défaire le nud pour mieux discerner en leur singularité les pratiques de l'art ou les affects esthétiques, c'est peut-être alors se condamner à manquer cette singularité. » Penser à partir du brouillage que le cinéma invente dans ses uvres entre différents statuts de l'image, en considérant l'art du cinéma comme art du confus, qui trouble les frontières entre les genres, les temps et les espaces, nous semble une voie féconde pour mener une réflexion sur les horizons d'attente à l'égard des images cinématographiques, ainsi que leur pouvoir sur le réel. La confusion a été un enjeu majeur de la théorie du cinéma. Des avant-gardes des années 1920 qui ont sorti le cinématographe de ses origines foraines pour l'élever au rang d'art (entreprise de distinction) aux théories militantes qui dénoncent le caractère illusoire du dispositif cinématographique (distanciation et méfiance du pouvoir des images) en passant par le rêve du cinéma total et les expérimentations du cinéma étendu (majoration de l'expérience sensible par l'art audiovisuel), les artistes cinéastes et les penseurs n'ont cessé de redéfinir les spécificités et les espaces du cinéma. Le cinéma est un laboratoire esthétique de la reconfiguration des images, et par là le témoin d'un nouveau partage du sensible, entre le visible et l'invisible, entre les images et les discours sur les images. À partir de la conception du cinéma comme « art réaliste, sinon rien » (Daney), je propose donc, à titre d'hypothèse de recherche, de repenser la confusion intrinsèque à l'idée d'esthétique à travers l'étude des motifs de l'image confuse qui courent dans certains films de l'histoire du cinéma et contemporains, ainsi que des discours qu'ils suscitent. La confusion est une relation, c'est pourquoi nous projetons de la décliner selon trois axes principaux : au sein d'un récit, entre un personnage et le monde qu'il habite, entre le représenté et la matière de l'image ainsi qu'entre des images de différents régimes, enfin entre le spectateur et le film.