Acculturation juridique en République démocratique du Congo : Enjeux et perspectives historiques
Auteur / Autrice : | Olivia Salam |
Direction : | Eric Gasparini |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | En droit spécialité Histoire du droit |
Date : | Inscription en doctorat le 08/09/2021 |
Etablissement(s) : | Aix-Marseille |
Ecole(s) doctorale(s) : | Ecole Doctorale Sciences Juridiques et Politiques |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : CERHIIP - Centre d'Etudes et de Recherches d'Histoire des Idées et des Institutions Politiques |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
Parler de l'acculturation juridique en République démocratique du Congo revient en premier lieu, à faire une analyse rétrospective sur l'origine, la nature et la finalité des diverses normes juridiques qui ont régis cette nation à différentes époques de son histoire. Cela renvoie en second lieu, à examiner les possibles influences et interactions dans un rapport de systèmes entre le droit traditionnel africain et le droit colonial d'origine occidentale pendant la conquête coloniale et à la période postcoloniale. En effet, l'évolution historique du droit congolais reste marquée par la rencontre, à l'époque coloniale, de deux conceptions différentes du « Droit » et de la « Justice » sur le territoire national, à savoir la conception traditionnelle congolaise et celle, occidentale, importée par la puissance coloniale. Le droit et la justice dans la société traditionnelle africaine, congolaise en particulier, étaient liés à l'organisation et à la mentalité des sociétés autochtones. Ces sociétés ont connu des instances hybrides puisque étant à la fois judiciaires, mystico-religieuses et politiques, propres à chaque famille, clan et royauté. Comme dans toutes les sociétés africaines traditionnelles, ces dernières appliquaient des normes coutumières tendant à sauvegarder l'harmonie et la survie du groupe, une justice privilégiant la conciliation. La préoccupation de l'institution judiciaire dans l'univers traditionnel est d'éviter les déchirements sociaux, tandis que celle de la justice inspirée de l'Occident est d'écarter de la société ceux qui agissent contre l'intérêt général, même si cela provoque des dissensions puisque c'est l'État qui assure l'avenir. Dans la conception traditionnelle, quand survient un problème, il est d'abord débattu au sein des instances parentales et, finalement, on prend la solution que l'on estime la meilleure pour la cohésion et l'avenir du groupe, c'est la coutume. Cette conception du droit et de la justice, qui date de l'époque précoloniale, a été fortement ébranlée à l'arrivée de la puissance coloniale. En effet, les représentants du roi belge avaient tenu à imposer sur la terre conquise le droit et le système juridico-administratif calqués sur le modèle belge en remettant en cause le système existant et, ce faisant, en niant les réalités locales. Selon cette conception occidentale de la justice, les décisions ou solutions à prendre en cas de survenance de conflits sont celles prédéfinies par l'État à travers les divers codes et règlements. En Afrique, la reproduction des modèles importés et/ou imposés a marginalisé la palabre. La capacité de gestion locale se heurte aux logiques importées dans le processus d'acculturation ou d'interpénétration des cultures et des systèmes de gestion différents qui cohabitent. L'absence de maîtrise de ce processus dans le management explique dans une large mesure la faiblesse de la capacité gestionnaire qui se traduit par la faillite des États et de leurs entreprises marchandes en Afrique. Au Congo, le passage d'une justice traditionnelle à une justice coloniale moderne ne pouvait que bouleverser profondément la majorité des populations autochtones ; en effet, les conceptions qui fondent cette institution ainsi que les fonctions qu'elles jouent dans les deux univers juridiques sont largement différentes. La rencontre des cultures juridiques occidentale (étrangère et essentiellement basée sur l'écrit) et africaine (locale, fondamentalement structurée autour de l'oralité) a donné lieu à un système juridique de compromis. Plutôt que de parler de coexistence des droits, il convient de parler de subjugation des systèmes juridiques africains par le droit occidental. Il en est résulté ainsi une sorte de « guerre des normes » traduite plutôt par l'euphémisme « dualisme » ou « pluralisme juridique » ou encore par le « syncrétisme juridique ». En effet, il est admis que la plupart des dispositions du Code Napoléon de 1804, édictées ou adoptées en plein libéralisme philosophique et économique ont servi à d'autres fins : domination politique, assimilation, acculturation juridique par l'ignorance ou la méprise de l'altérité. En dépit de toute tentative d'acculturation juridique, la puissance coloniale n'a finalement pas pu éradiquer complètement les instances indigènes de régulation sociale et de résolution des différends ; celles-ci continuent d'exister, voire de résister concurremment à la justice étatique. Cela constitue une interrogation pour l'autorité politique actuelle, appelée à les organiser pour faciliter l'accès à la justice d'une manière qui soit adaptée au contexte social. La tradition juridique congolaise est pluraliste. Le droit traditionnel coexiste avec le droit écrit d'origine occidentale. À la base, chaque famille, chaque communauté a ses propres normes ; en cas de conflit, on recourt préalablement aux sages, aux anciens pour trancher selon les us et coutumes connus et acceptés de tous. Le juge étatique est marginalisé et rejeté au sein de la population. La saisine d'instances externes au cercle familial intervient en cas de non compromis et pour certains faits infractionnels graves. Dans cette pluralité de normes sociales et d'instances de régulation, reste prédominant l'ordre normatif et juridictionnel hérité de la puissance coloniale. Pour rappel, la puissance coloniale avait imposé un droit et une organisation juridique calqués sur le modèle belge. D'origine étrangère, cette justice coloniale était autoritaire, imposée, hiérarchisée et centralisée. C'est donc un système inadapté et déraciné des réalités locales de la colonie. Le droit et le modèle institutionnel occidentaux dont a hérité l'État congolais restent inaccessibles et compréhensibles de la population congolaise. Ces difficultés sont en partie liées à la surproduction législative (inflation législative) sans réelle prise en compte des besoins de la population et des réalités locales, mais aussi à l'ignorance des textes de loi promulgués, ainsi qu'au manque de planification dans le secteur de la justice et au manque de mécanismes de promotion des droits et de protection de proximité. Aujourd'hui, il est difficile de connaître la façon dont les États africains ont dû gérer l'héritage normatif et institutionnel colonial après les indépendances politiques. Dans un mimétisme juridique non maîtrisé, le justiciable est appelé à faire un choix entre les pratiques locales et le droit codifié. Ce dernier est pratiquement ignoré des populations ; ce qui nous amène à nous interroger sur la nature et le volume des actions à réaliser pour faciliter l'accès au droit et à la justice ? Comment adapter le droit congolais au contexte social et culturel ? Certes, toute démarche tendant à réécrire le droit devrait prendre en compte les impératifs nationaux et les enjeux internationaux liés à la mondialisation. Il est donc judicieux de trouver un possible accommodement entre les coutumes locales et le droit écrit d'origine occidentale, en vue d'un nouvel ordre juridique qui serait mieux adapté aux réalités sociales et culturelles africaines. Par une double approche juridique et sociologique, la présente étude à caractère historique tend à promouvoir l'instauration d'une culture juridique basée sur les réalités locales, impliquant notamment la connaissance du droit, de la norme écrite ou coutumière applicable et un accès facile et simplifié au droit et au service public de la justice garanti à toutes les couches de la population.