Le gigantisme du contractant : l'exemple des plateformes en ligne
Auteur / Autrice : | Maria Tawk |
Direction : | Frédéric Buy |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | En droit spécialité Droit privé |
Date : | Inscription en doctorat le 01/09/2021 |
Etablissement(s) : | Aix-Marseille |
Ecole(s) doctorale(s) : | Ecole Doctorale Sciences Juridiques et Politiques |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : CDE - Centre de Droit Economique |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
I. Définition et contours du sujet Les plateformes qui nous intéressent dans le cadre de cette étude sont celles qualifiées de services d'intermédiation en ligne. Elles permettent aux entreprises d'offrir leurs biens et services aux consommateurs du monde entier à travers leur gallérie marchande virtuelle. Ces plateformes ont fait l'objet d'une surcroissance démesurée, phénomène que l'on appelle couramment dans la doctrine le « gigantisme ». Leur gigantisme économique n'est pas sans conséquence sur leur pouvoir juridique dans les relations contractuelles. Les plateformes se sont dotées d'un monopole décisionnel dans les relations avec leurs contractants professionnels. Elles contrôlent entièrement le processus contractuel, c'est-à-dire qu'elles assurent sa gestion de façon interne et monopolistique. Ces acteurs constituent l'un des grands défis du XXIe siècle : la toute-puissance des pouvoirs privés, et le droit ne peut refuser de réagir vis-à-vis des modalités d'exercice que ces acteurs géants imposent à leurs prétendus cocontractants. Il s'agit dans cette étude de mener des réflexions sur la capacite du droit des contrats d'encadrer ces pouvoir, donc sur les limites des règles en vigueur et leur possible adaptation. II. Les problématiques posées par le sujet Au-delà d'un simple pouvoir unilatéral, les plateformes disposent d'un pouvoir entièrement discrétionnaire. La réalité des plateformes impose une tout autre dynamique contractuelle. D'abord, le pouvoir unilatéral dans la conclusion des contrats, tel qu'il est connu aujourd'hui, se caractérise par l'absence de négociation. Or, dans le cas précis des plateformes, la négociation est matériellement et logistiquement impossible à réaliser. La plateforme traite de milliers de contrats, tous uniformes, car soumis à un impératif d'homogénéité. Aussi, la plateforme se réserve le pouvoir discrétionnaire de modifier, suspendre ou rompre unilatéralement le contrat. Les seules solutions juridiques envisagées par le droit Européen et la jurisprudence pour endiguer les abus qui résultent de ce pouvoir discrétionnaire sont le dispositif de lutte contre le déséquilibre significatif et l'exigence d'une information suffisante en contrepartie de l'unilatéralisme. Cependant ces solutions sont insuffisantes à double égards. Premièrement, même généralisé par la réforme de 2016 à tous les contrats d'adhésion, le dispositif du déséquilibre significatif ne fait qu'éradiquer les clauses contractuelles les plus déséquilibrées, mais ne peut imposer des obligations positives dans la prise de décision. Deuxièmement, les nouvelles régulations ne semblent pas pouvoir endiguer le problème dans toute son ampleur. Les règles sont sectorielles alors que le problème concerne tous les acteurs pareillement. Aussi deviennent-elles vite éphémères et obsolètes, comme elles sont dépassées par l'évolution démesurée des plateformes. Le règlement Platform-to-business aussitôt sorti en 2019 fait déjà l'objet de discussions sur une éventuelle refonte. Ce même pouvoir discrétionnaire, à l'origine des mesures de rétorsion, inhibe le contentieux. Le contentieux initié par les victimes des abus est très rare. Les entreprises, craignant les mesures de rétorsions et les sanctions contractuelles, prérogatives que consacrent les nouveaux textes à la plateforme, optent pour l'inertie. Et si le contentieux prend place, encore faut-il que les sanctions soient efficaces et dissuasives face à ces acteurs aussi puissants que les états et dont les ressources sont toutes aussi importantes. Les récentes évolutions de la règlementation des plateformes ont renforcé les garanties du recours judiciaire et extrajudiciaire face aux abus contractuels mais les initiatives restent rares. Le droit Français quant à lui a renforcé les sanctions des abus contractuels des géants, mais l'approche reste critiquable. III. Intérêt du sujet Notre sujet sur le gigantisme du contractant s'explique enfin par les particularités sus évoquées de son pouvoir discrétionnaire. Un élément perturbateur intervient et met le droit en désarroi, élément qui n'est toujours pas cerné dans ses spécificités. Dès lors, le but de notre étude est de définir le statut juridique de ce contractant et ses effets sur les règles du droit positif. Il y a un nécessaire équilibre à trouver entre la protection des contractants face à ces géants, et le réalisme lié au fait que ces plateformes ne fonctionnent pas comme les opérateurs ordinaires, et que par conséquent, une nécessaire adaptation de la règle s'impose. Le gigantisme malmène aujourd'hui les principes et fondements du droit des contrats. Quel consensualisme quand toutes les étapes du processus contractuel sont unilatéralement contrôlées par la plateforme ? Quelle liberté quand contracter avec la plateforme et maintenir la relation contractuelle n'est plus un choix commercial mais un impératif pour évoluer sur le marché ? Et quelle force obligatoire du contrat quand les plateformes craignent peu les conséquences de leurs abus ? IV. Enjeux du sujet Il s'agit dans un premier temps de penser de nouvelles règles propres aux plateformes, afin de rééquilibrer la relation entre des acteurs touchés de gigantisme, peu souciant du droit, et des entreprises qui en dépendent pour survivre. La réflexion doit nécessairement être menée a l'échelle européenne compte tenu de la dimension de l'activité des plateformes. Que ces règles soient vouées à intégrer le droit commun ou bien évoluer à la marge du droit commun dans le cadre d'un ordre spécial, la réflexion dans ce sens importe aussi. Dans un second temps, il s'agit d'élaborer le régime de recours, et celui des sanctions des abus contractuels. Le règlement Platform-to-business a déjà amorcé un mouvement dans ce sens en conférant aux associations d'entreprises la capacité d'agir, et le législateur Français a pris soit d'adapter ces nouvelles règles de manière à préserver l'action du ministre et à renforcer à cette occasion les prérogatives de l'administration. Il s'agit donc de continuer la réflexion dans ce sens.