Etudier la littérature italienne contemporaine dans la perspective d'une éthique écologique du care: prendre soin de soi, des autres et des écosystèmes vivants.
Auteur / Autrice : | Rebecca Degregori |
Direction : | Angela Biancofiore |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | ETUDES ROMANES spécialité Etudes italiennes |
Date : | Inscription en doctorat le 01/09/2023 |
Etablissement(s) : | Montpellier 3 |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Langues, Littératures, Cultures, Civilisations (Montpellier ; 1991-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : RESO: Recherches sur les Suds et les Orients |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
I. Définition d'une éthique écologique du soin au sein de la création littéraire. Le premier chapitre sera dédié à la question philosophique, afin de comprendre au mieux l'importance du souci de soi. Le souci de soi est la traduction italienne de l'expression en grec ancien epimèleia heautoù, qui remonte notamment à la philosophie de Socrate et qui a été reprise et traduite par cura sui dans la culture romaine de l'Antiquité tardive. Le concept de ''souci de soi'' est un thème abondamment traité par le philosophe et sociologue Michel Foucault dans plusieurs de ses écrits, tels que Herméneutique du sujet, et surtout dans le troisième volume de l'Histoire de la sexualité, publié en 1984 sous le titre Le soin de soi. C'est précisément le thème de la sexualité que le penseur français considérait presque comme un prétexte pour traiter le sujet du soin de soi. À cette époque, le concept du souci de soi est devenu un impératif éthique, différent de sa signification à l'âge classique, où il était teinté d'aspects pédagogiques et politiques. Dans les dialogues platoniciens, en particulier dans l'Alcibiade et l'Apologie, le soin de soi consistait à instruire les jeunes pour les préparer à la vie adulte, qui devait également tenir compte du commandement socratique de gnothi seautòn (connais-toi toi-même), phrase gravée sur le fronton du temple de Delphes. Le précepte pratique socratique s'est ainsi transformé en impératif spirituel et philosophique du devoir de rechercher la vérité intérieure au point de mettre de côté la technique du soin de soi. Dans le monde classique, la formation de la spiritualité chez le sujet est toujours liée comme condition à la recherche de la vérité, qui n'est accessible qu'à ceux qui ont accompli un parcours de formation spirituelle. Par ailleurs, dans la philosophie de Martin Heidegger, le concept clé du souci de soi occupe une place centrale. Le cheminement philosophique qui le mène à en faire le pivot de l'existence est d'une complexité remarquable. Il englobe des éléments issus de sa formation théologique, de sa transition du catholicisme au protestantisme, de sa compréhension du religieux et de la pietas, qui transcende toutes les distinctions fidéistes. Il est donc incorrect de penser que la pensée de la sollicitude est une particularité qui n'émerge qu'avec la publication d'Être et Temps ; de même, il est réducteur de considérer qu'elle n'est plus abordée après 1927. Pour introduire sa réflexion sur le soin, Heidegger reprend le mythe raconté par Hyginus dans ses Fabulae. Le soin représente la structure clé de l'existence, intimement liée à la question de la temporalité. Dans Être et temps, Heidegger précise que l'être ne peut être compris et réalisé que comme être-dans-le-monde (In-der-Welt-Sein) ; le monde, cependant, n'est jamais et seulement la totalité des entités qui y sont présentes ; il est plutôt l'horizon transcendantal à partir duquel les entités peuvent se donner. Il faut souligner que le choix du thème et plus précisément du terme ''soin'' n'est en aucun cas fortuit, en effet, même Luigina Mortari, dans ses essais Filosofia della cura, Aver cura di sé, La politica della cura, affirme que le soin fait partie des choses essentielles à la vie humaine, nous devons prendre soin de nous-mêmes, des autres et du monde. Luigina Mortari définit le soin comme une action, une pratique, et si les pensées et les intentions ne se traduisent pas en actes, on ne peut pas parler de soin. Il s'agit ici de prendre soin de soi, mais aussi des autres, de ceux qui font partie des gens que nous aimons. Prendre soin d'autrui, avoir quelqu'un qui prend soin de nous sont des aspects très importants dans le processus d'évolution de l'être humain, car ils nous permettent d'établir des relations, de vivre en communauté et d'avoir des liens avec les autres êtres. En outre, grâce à l'aide d'autres personnes, nous sommes en mesure d'épanouir nos propres possibilités d'être et de nous protéger de la souffrance. Il faut apprendre à prendre soin de l'existence, apprendre l'art d'exister. Il s'agit d'une responsabilité de nature éducative et autodidacte : l'éducation, si elle ne peut pas enseigner directement l'art d'exister, peut guider le sujet dans l'apprentissage des méthodes nécessaires à la recherche de cette connaissance. L'éducation guide le sujet dans l'apprentissage des méthodes et des pratiques de recherche ontogénétique, et l'une de ces pratiques peut être l'écriture. Éduquer, c'est aider l'autre à acquérir les compétences nécessaires pour activer le processus d'auto-éducation. Le soin transforme la simple vie en existence, et devient chez l'homme une option primordiale, la réponse à un impératif ontologique et éthique. Par ailleurs, Adriana Cavarero, dans son livre Tu che mi guardi, tu che mi ascolti. Filosofia della narrazione, exprime le soin à travers une autre perspective, celle de l'écriture de soi. Le livre tente d'expliquer les différentes façons dont un individu crée et façonne son propre portrait par le biais de la narration. L'ouvrage présente un florilège de personnages mythologiques et littéraires : d'dipe à Ulysse, d'Orphée à Shéhérazade. C'est la philosophie qui nous apprend d'abord que, quels que soient nos efforts, nous ne pourrons jamais comprendre pleinement ''l'unicité de l'existence humaine'', la particularité de chaque individu. Le fil conducteur de l'ensemble de l'uvre est précisément le concept d'unicité, tel qu'il a été élaboré par Hannah Arendt. Paradoxalement, c'est parfois précisément, et uniquement, la narration qui nous révèle qui nous sommes vraiment, et c'est donc la narration qui nous montre notre identité, une identité qui commence invariablement par la naissance : un exemple de cela est dipe, qui découvre qui il est uniquement grâce à la narration des autres. Il ignore sa naissance, c'est donc un individu qui a vécu pendant des années sans connaître sa véritable identité : il ne sait pas qui il est jusqu'à ce qu'il rencontre quelqu'un qui lui révèle la vérité. Cette révélation est cependant malheureuse puisqu'il découvre l'inceste et le parricide commis. Un autre exemple est celui d'Ulysse, incognito parmi les Phéaciens, qui pleure en écoutant un aède aveugle raconter son histoire. Ulysse parvient enfin à comprendre et à donner un sens profond et réel à ses événements qu'il n'avait peut-être pas pu saisir jusqu'alors. Ulysse, contrairement à dipe, sait qui il est, il a sa propre identité ; mais, malgré cela, c'est grâce à la narration des autres qu'il peut acquérir pleinement le sens de sa propre histoire. L'identité n'a pas seulement un caractère propre et objectif, elle a aussi un caractère expositif, l'homme se manifeste et s'expose aux autres, et un caractère relationnel, dans le milieu environnant il est impossible de ne pas établir de relations interpersonnelles. Chaque individu, volontairement ou non, se sait être un ''moi narrateur, plongé dans l'auto-narration spontanée de sa mémoire''. Chaque individu se vit à travers sa propre histoire, à travers ses souvenirs, sans que ce processus soit nécessairement conscient. En tout état de cause, le moi narrateur ne se définit pas comme le produit de l'histoire de vie racontée par la mémoire, il n'est pas une construction, mais correspond plutôt à la pulsion narrative de la mémoire. C'est pour cela que la deuxième partie de la thèse de doctorat va se concentrer sur l'analyse de romans, poèmes et essais de littérature italienne contemporaine, pour pouvoir se concentrer sur l'autocompassion, l'empathie, ainsi que le soin de soi et des autres. À travers la lecture, mais aussi l'écriture, nous pouvons nous découvrir nous-mêmes, notre identité, ainsi que le monde qui nous entoure, en parvenant à comprendre l'importance de prendre soin de soi, des autres et des écosystèmes. II. Prendre soin de soi, des autres et des écosystèmes vivants à travers la littérature italienne contemporaine : entre autocompassion et empathie. L'écriture et la lecture sont deux pratiques différentes mais à la fois complémentaires qui nous permettent de comprendre l'importance de prendre soin. Écrire en termes autobiographiques est un acte de guérison compris comme une conjugaison du « connais-toi toi-même » et de s'occuper de soi. C'est un espace existentiel, même quotidien grâce auquel nous pouvons tisser ces deux actes importants pour nous rapprocher des événements qui ont marqué et marquent notre vie. L'écriture renforce la volonté de les accueillir, de les reconnaître. Écrire sur soi nous aide à nous connaître un peu plus et à prendre soin de nous. Ce que nous racontons à travers l'écriture c'est notre existence : les saisons traversées et le présent que nous vivons. Par où commencer lorsqu'on écrit sur soi-même ? Selon Duccio Demetrio, dans son essai Green autobiography, une façon possible d'aborder l'écriture autobiographique est de retrouver un dialogue avec la nature, à la fois pour aider à l'introspection et pour promouvoir l'écriture écologique. Pour expliquer le choix douloureux d'un titre anglophone, Duccio Demetrio explique que le mot green, en plus d'inspirer confiance et espoir, est aujourd'hui un synonyme universel d'amour pour la planète, d'engagement écologiste et de choix éco-durables. Une attitude qui s'étend également à la littérature, à ces récits écologiques dont la green autobiography est un sous-genre qui comprend ''les écrits consacrés aux environnements naturalistes, qu'il s'agisse de jardins, de forêts, de montagnes, de paysages désertiques, marins ou même ''sauvages'', de journaux intimes et de récits de voyage, ou encore de la description d'activités agricoles, des jardins potagers aux cultures les plus disparates, sans exclure toutes les espèces animales, végétales, arborescentes, marines et minérales''. Autobiography, en revanche, se veut un hommage à la longue tradition de l'école anglophone de l'autobiographie qui, grâce à la révolution protestante, s'est rapidement développée et s'est consolidée comme un genre littéraire à part entière. Une écriture, celle de l'autobiographie, qui nous permet en quelque sorte de nous sauver : ''Nous nous sauvons, en écrivant, parce que nous acceptons de nous perdre'' ; c'est un outil qui nous aide à nous éloigner de nous-mêmes et à nous retrouver ensuite entre les pages. La « véritable » écriture autobiographique doit naître d'un besoin, d'un désir. Pour qu'elle soit un exercice « thérapeutique », il faut écrire sans ambition de succès, prévient Demetrio : ''écrire sans ambition constitue un formidable exercice pour l'esprit, voire un ''médicament'' contre le ''mal de vivre''''. Qu'est-ce qui peut naître de la rencontre entre l'écriture autobiographique et la nature ? Le fil vert que Demetrio nous invite à rechercher est un prétexte pour entrer en contact avec notre paysage intime, ce fil rouge qui devient vert. Selon Duccio Demetrio, il faut partir de l'enfance ; c'est là que nous entrons tous en contact pour la première fois avec le monde qui nous entoure et qui est destiné à laisser en nous des traces indélébiles. Nous avons tous été submergés par ce que Cesare Pavese appelait ''les choses de la nature'' : ''jardins, potagers, cours de ferme, bois, champs, montagnes, lacs, rivières, plages, marais, sentiers, chemins muletiers, promenades en bateau, baignades, maisons de campagne des grands-parents, rangées de peupliers et animaux de toutes sortes''. Des images et des sensations qui donnent vie à un fil qui apparaît lorsque nous sommes enfants et qui ne nous quitte plus, ''entre les affections et les attachements tenaces ou interrompus qui ont accompagné notre histoire privée''. En outre, à travers la lecture et l'écriture, nous pouvons développer l'autocompassion, afin de prendre soin de nous-mêmes. À travers l'autocompassion, nous pouvons contempler notre propre souffrance, comme expliqué par Kristin Neff dans son essai S'aimer. Comment se réconcilier avec soi-même. Comment pouvons-nous être touchés par notre douleur si nous ne commençons pas à admettre qu'elle existe ? L'autocompassion englobe la recherche du bien-être et de la santé. Loin de prôner la passivité, elle encourage les gens à agir pour améliorer leur situation. Par ailleurs, elle n'implique pas que je considère mes propres problèmes comme plus importants que ceux de l'autre. Ils ne sont pas plus importants, mais simplement tout aussi importants. Nous pouvons utiliser la souffrance qu'ils provoquent pour accroître notre amour pour nous-mêmes et nous éloigner de ce désir irréaliste et frustrant de perfection et ouvrir la porte à un épanouissement réel et durable, simplement en nous donnant la compassion dont nous avons besoin quand nous en avons besoin. D'autre part, la pratique du prendre soin peut favoriser le développement de l'empathie. L'empathie peut être comprise comme une réaction émotionnelle et une compréhension cognitive. Lorsque nous accordons notre attention aux autres, nous contribuons à leur bien-être et à la construction de leur être dans le monde. Il est important de souligner que nous ne pouvons pas prendre soin des autres sans d'abord prendre soin de nous-mêmes. Un exemple pertinent de cette idée peut être trouvé dans la philosophie de Socrate, et plus précisément dans l'Apologie de Platon. Selon l'auteur, pour Socrate prendre soin de soi implique avant tout la connaissance de soi, c'est-à-dire la compréhension de nos pensées et de nos émotions. En se connaissant soi-même, Socrate soutenait que nous pouvons mieux comprendre les autres et être en mesure de leur offrir un soutien authentique et bienveillant. En lisant des récits, nous pouvons donc ressentir de l'empathie, de la compassion, de la sympathie pour les personnages, être proches d'eux. Par exemple, Il peso della farfalla est un livre écrit par Erri De Luca et dans lequel l'empathie touche les personnages, mais aussi nous-mêmes en tant que lecteurs. L'empathie qui existe entre les animaux, et en particulier entre les chamois, est présente de manière saillante dans ce livre. Antonio Prete est un autre auteur important, qui place, dans son essai Compassione, les émotions au centre de la narration, afin que le lecteur puisse se sentir plus proches des personnages, mais c'est aussi ainsi que nous entreprenons un travail de guérison sur nous-mêmes. Avec Bajani et son roman Un bene al mondo, l'auteur nous parle de la douleur du protagoniste. Un bene al mondo est une histoire de passage à l'âge adulte, qui semble simple en raison de la narration, mais qui est en fin de compte très compliquée. Il traite de la dure réalité de la vie, caractérisée par la souffrance et la tristesse et nous fait prendre conscience que ces sentiments ne disparaîtront jamais, mais qu'ils reviendront au cours de la vie, et qu'il faut donc apprendre à reconnaître, accueillir, explorer et transformer la douleur. Un bene al mondo est un roman sur l'importance du prendre soin de soi et des autres, ainsi que de ce qui nous arrive. À chaque page, on retrouve une question sous-jacente, c'est-à-dire : que fait un être humain de sa propre douleur ? C'est une douleur intime, existentielle, presque ancestrale et originelle, inéluctable, une souffrance liée simplement au fait d'exister, d'être venu au monde. La douleur est quelque chose de mystérieux et d'indéfinissable et le but du roman, comme celui de la littérature, est de rendre visible l'invisible. C'est une histoire sur l'intimité, sur la relation que tout être humain entretient avec lui-même et ses sentiments. Comme l'écrit également Chandra Livia Candiani dans son livre Questo immenso non sapere, publié en 2021, la douleur caractérise chaque être humain, nous vivons toute notre vie en portant les cicatrices du passé. Si à travers la littérature italienne contemporaine on peut apprendre à prendre soin de soi et des autres, on peut également, à travers l'éco-narration apprendre à prendre soin de notre écosystème, du monde non-humain, des animaux, des plantes et de tout ce qui nous entoure. Prendre soin d'un environnement de plus en plus en danger à cause du réchauffement climatique, de la pollution et il faut sensibiliser et instruire l'être humain à travers les humanités écologiques, afin qu'il commence à avoir un impact positif sur l'environnement dans lequel il habite. Franco Arminio, dans sa production littéraire, met au centre de l'attention le paysage naturel. Dans son recueil de poèmes Cedi la strada agli alberi, le thème des relations sociales est mis en avant. En mettant l'accent sur les relations sociales, l'auteur fait comprendre au lecteur que chaque être humain, animal ou plante joue un rôle fondamental dans la société et que nous sommes tous liés par des rapports d'interdépendance. Outre les relations sociales, les liens entre l'homme et l'animal sont également importants. Que ce soit pour des raisons économiques ou affectives, les animaux apportent de nombreux avantages à ceux qui s'en occupent. Il a été prouvé que la présence d'animaux de compagnie contribue au bien-être général des personnes et au développement des compétences sociales des enfants : les animaux peuvent être des compagnons, des amis. Dans son livre Écosophie Arne Naess explore la relation entre les humains, les animaux, les végétaux et même les minéraux d'une perspective écologique et philosophique. Naess propose une vision holistique de la nature, où tous les êtres vivants et éléments naturels interagissent et coexistent dans un système interconnecté. Selon Naess chaque être vivant, qu'il soit humain, animal, végétal ou minéral, possède une valeur intrinsèque et une place légitime dans l'écosystème. Il encourage une attitude de respect et de considération envers toutes les formes de vie, reconnaissant que chaque être contribue à la diversité et à l'équilibre de l'environnement. Dans son approche de l'écosophie, Naess cherche à promouvoir une relation harmonieuse avec la nature, en encourageant la coopération et la coexistence pacifique plutôt que l'exploitation et la domination. Il met en avant l'importance de prendre en compte les besoins et les intérêts des animaux, des végétaux et des minéraux dans nos décisions et actions, afin de préserver la santé et la durabilité de notre planète. Les facteurs qui déterminent les rapports entre l'homme et l'animal sont universels et comprennent des valeurs économiques, des facteurs psychologiques et des valeurs sociales ou culturelles. Nous sommes tous liés dans le cycle de la vie, y compris dans l'environnement. L'interdépendance existe également au sein de l'écosystème, car les hommes, les animaux et l'environnement entretiennent une relation constante. Parmi les uvres littéraires de ces dernières années qui peuvent être explorées pour en extraire le potentiel de dénonciation environnementale, le roman Sirènes de l'écrivaine Laura Pugno frappe par sa vision futuriste. La lecture du roman est émotionnellement exigeante car, page après page, il est utile de comprendre à quel point l'écriture de l'autrice sait raconter les dynamiques de destruction qui accompagnent l'humanité. Laura Pugno raconte un futur dystopique dans lequel les êtres humains, désormais décimés, sont contraints d'habiter les fonds marins pour échapper à la force destructrice du soleil, qui provoque le ''cancer noir'', une terrible et incurable maladie de la peau. Poussé au-delà de la frontière des abysses marins, l'homme découvre l'existence d'une espèce légendaire, les sirènes, qui lui apparaissent belles et féroces, sauvages et immunisées contre la maladie qui frappe l'humanité. La surprise sanglante du roman réside précisément dans le comportement de l'homme face à un tel prodige : confronté à cette espèce extraordinaire, il se met à l'étudier puis à la dominer, en la chassant, en l'élevant pour la reproduction, en mangeant sa chair et même en l'utilisant pour la prostitution. Dans ces pages, on peut retrouver plusieurs éléments notables qui peuvent être rattachés à l'analyse éco-critique : tout d'abord, ceux liés à la fiction littéraire, à côté d'un autre topos important, celui de la nature qui, forte et indomptable, lutte pour se libérer de la domination anthropocentrique de l'homme avec toute l'obstination de ses anciennes créatures, les sirènes. Dans le roman, ces dernières appartiennent au monde non humain, une caractéristique qui les condamne d'emblée à la souffrance et à l'oppression. Il s'agit donc d'une ''fable noire'', comme la définit l'autrice, mais qui, jusqu'à la fin, ne perd pas ses prérogatives de domination sur tous les autres êtres vivants. C'est pour cela qu'on verra que dans la littérature italienne contemporaine, nombreux sont les écrivains chez qui l'on peut puiser ce désir d'interconnexion entre l'éthique environnemental et l'art : citons Anselmo Botte, Erri De Luca, Carmine Abate, Mauro Corona, Christiana de Caldas Brito. Comme ils l'expérimentent eux-mêmes, il s'agit d'inclure dans l'écriture une éducation à la sensibilité à l'environnement perçu comme un espace moral où se vit la différence. La société peut alors s'inspirer d'une production artistique utile face aux enjeux éthiques contemporains, pour reconnaître et étudier les problèmes et les exigences éthiques du monde contemporain dans le but de développer l'espoir et le changement auprès des nouvelles générations, en essayant de diminuer le phénomène d'éco-anxiété. III. Cultiver l'espoir dans l'avenir grâce à l'éducation, l'éco-narration, la littérature. Pour certains chercheurs, l'espoir est intimement lié à la croyance en la possibilité d'un avenir meilleur. Miller décrit l'espoir comme l'anticipation d'un avenir bon ou meilleur par rapport au présent. Elle souligne l'importance de la croyance, suggérant que l'espoir est bien plus qu'un simple désir. Lazarus suggère que c'est cet aspect de possibilité qui distingue l'espoir de la motivation. Amsler reprend cette perspective dans sa description de l'espoir dans la Blackwell Encyclopedia of Sociology où il écrit que l'espoir fait généralement référence à un désir d'avenir positif considéré comme possible, que ce soit théoriquement ou en en pratique, mais qui n'est pas garanti. Conceptualiser l'espoir en termes de croyance en un avenir positif est problématique dans le contexte de la morosité environnementale. Lovelock, le scientifique et inventeur de l'hypothèse Gaïa, en décembre 1999 a affirmé que nous avons déjà dépassé le point d'écologique de la Terre et que les dommages sont irréversibles. Des études et des enquêtes menées dans un certain nombre de pays suggèrent que de nombreux enfants se sentent désespérés face à l'avenir. L'espoir est souvent décrit comme la croyance en la possibilité d'un avenir meilleur. Cela introduit d'autres conceptions de l'espoir qui privilégient la « recherche de sens ». Il y a la nécessité de développer une culture du soin pour les éducateurs à l'environnement. L'espoir est sous-représenté dans les domaines de la science de la conservation, de la philosophie écologique, de la sociologie de l'environnement et de l'éthique environnementale. Ces domaines doivent reconnaître et remettre en question leur position pessimiste et, avec le domaine de l'éducation à l'environnement, reconnaître que le pessimisme est un récit qui doit être changé. Les émotions sont contagieuses. Elles peuvent être transmises d'une personne à l'autre. Les études récentes sur la propagation des émotions ont montré qu'elles peuvent se propager par l'intermédiaire des réseaux en ligne soulève des inquiétudes supplémentaires quant à la montée du désespoir face à l'inquiétude environnementale. La littérature peut nous amener à trouver du sens, l'espoir. Camille Etienne, jeune militante, dit qu'elle a trouvé l'espoir à travers l'action. ''Comme on peut faire des différences entre vouloir, désirer et souhaiter, il y a des formes d'espoir qui sont très différentes'', rappelle Vincent Delecroix. ''Certaines qui vouent à la passivité - des espoirs qui ne sont pas moteurs et qui ne produisent absolument aucune action -, et puis il y a des espoirs qui projettent en avant''. La définition de Camille Étienne entre plutôt dans la seconde catégorie : ''je ne vois pas l'espoir comme un salut, comme quelque chose qui viendrait nous sauver malgré nous. Mais plutôt comme un cap, considérer comme Bergson, l'avenir non pas comme ce qui va arriver mais comme ce que l'on va en faire, ou même comme Thoreau, qui dit très bien « prenez vos rêves pour des réalités et puis travaillez-y, pour faire en sorte que ces rêves puissent être déterminants ». À ces mots Vincent Delecroix défend qu'alors ''la question, finalement, n'est pas tant celle de l'espoir que celle de l'action : qu'est-ce qui motive, qu'est ce qui soutient l'action ? On peut par ailleurs considérer, avec le catastrophisme par exemple, qu'il y a des formes de désespoir radicales qui sont aussi motrices''.