Développer la capacité de résilience proactive par la formation à la pleine conscience
Auteur / Autrice : | Saijal Vats |
Direction : | Evelyne Rouby, Renata Kaminska |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Sciences de gestion |
Date : | Inscription en doctorat le 31/08/2023 |
Etablissement(s) : | Université Côte d'Azur |
Ecole(s) doctorale(s) : | Droit et Sciences Politiques, Économiques et de Gestion |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : GREDEG - Groupe de Recherche en Droit, Economie et Gestion |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
Introduction Les catastrophes naturelles ou d'origine humaine (Baker et al., 2013 ; Broughton, 2005) sont des exemples d'événements adverses dommageables pour la survie de populations entières (Sadri et al., 2018 ; Sanchez et al., 1995). Leur gestion à court terme, c'est-à-dire lorsqu'ils incubent ou viennent juste de se produire, constitue un défi majeur : elle détermine l'avènement ou non de la crise mais aussi son ampleur et ses conséquences en termes de déconstruction et/ou de rupture. Cette gestion implique un grand nombre de parties prenantes (par exemple, les équipes d'assistance médicale, les pompiers, les élus locaux) qui, dans un contexte d'extrême urgence, doivent faire face à des situations complexes, ambiguës et incertaines, autrement dit, qui doivent donner du sens à la situation qui est en train de se produire et y apporter des réponses appropriées, y compris partiellement ou totalement innovantes. En ce sens, elle fait écho à une définition récente de la résilience (Williams et al., 2017 ; Hillmann & Gunther, 2021), celle de la résilience proactive (Duchek, 2020). La littérature montre que faire face à l'incertitude, caractéristique des situations complexes et imprévisibles, repose sur la pleine conscience (mindfulness) (Williams et al., 2017). Toutefois, être mindful ne va pas de soi pour les individus (Sutcliffe et al., 2016). Ils doivent y être préparés (ibid.), ce qui introduit le rôle clé de l'apprentissage (Weick & Sutcliffe, 2001). Toutefois, la littérature demeure relativement silencieuse sur les modalités et mécanismes sous-jacents de cet apprentissage ; les travaux qui portent sur le lien entre résilience proactive, mindfulness et apprentissage sont rares (Hillmann & Guenther, 2021 ; Hepfer & Laurence, 2022). Notre thèse propose d'investiguer plus avant et en profondeur ce lien essentiel mais peu étudié. Revue de la littérature La revue de littérature combine deux champs de recherche connexes : 1) la résilience et 2) la mindfulness. L'état de l'art sur la résilience et la mindfulness est ici présenté de manière à identifier les principaux apports et limites, et donc la question de recherche. La résilience Dans les années 1970 et 1980, le terme résilience a émergé dans la littérature écologique. Il a plus tard introduit dans la littérature en management ; la résilience y est alors définie comme une capacité de l'organisation à contourner les menaces externes (Staw et al., 1981) et les chocs environnementaux (Meyer, 1982). Le concept a ensuite progressivement gagné en popularité, ce qui a donné lieu à différentes approches et conceptualisations (Raetze et al., 2022). Ces approches et conceptualisations diffèrent selon le niveau d'analyse - individuel ou collectif (équipe ou petit groupe, organisation, réseau ou interaction entre les niveaux) -, la nature de la résilience - un résultat, une capacité, certains processus constitutifs de cette capacité-, les types de chocs exogènes auxquels il faut faire face - terrorisme, catastrophe naturelle, perte de données, changement climatique, surprises, événements inattendus, événements perturbateurs - , ou encore l'environnement dans lequel la résilience est à construire - risqué, perturbateur, complexe et dynamique, stressant - (Duchek, 2020 ; Hillmann & Guenther, 2021 ; Linnenluecke, 2017 ; Raetze et al., 2022). La résilience devient ainsi un concept multidimensionnel et contextuel (Baram, 2019). En toile de fonds de cette hétérogénéité conceptuelle, un consensus se dégage : la résilience consiste à obtenir des résultats positifs malgré l'adversité (Raetze et al., 2022). L'adversité, qui trouve son origine dans des événements variés (par exemple des chocs de grande ampleur, des évènements stressants etc.), renvoie inévitablement à des situations complexes, ambiguës et/ou imprévisibles (Raetze et al., 2022). Ainsi, une définition récente de la résilience l'assimile à la capacité à gérer l'incertitude, caractéristique de ce type de situations ; la définition se précise pour intégrer la notion de résilience proactive (Duchek, 2020). La littérature récente identifie trois moments clés de la résilience (Linnenluecke et al., 2017 ; Duchek, 2020) : ''avant'', ''pendant'' et ''après'' l'événement adverse. Le second moment est crucial car il va non seulement déterminer l'avènement ou non de la crise mais aussi son ampleur et donc ses conséquences en termes de déconstruction et/ou de rupture (Rouby et al., 2023) : Le moment du ''pendant'' est celui de la résilience proactive ; les parties prenantes doivent faire face à l'événement adverse dans le court terme, c'est-à-dire lorsqu'il est en incubation ou lorsqu'il vient juste de se produire, provoquant alors un enchaînement de causalités complexes qui sont difficiles à gérer. Il s'agit de gérer une multitude de signaux complexes en interaction et de développer une interprétation riche de la situation pour construire des réponses appropriées à ce qui est en train de se produire, ce qui repose sur la capacité des individus à être mindful (Williams et al., 2017). Le moment de l'''avant'' est celui de la préparation des individus à faire face à l'adversité avant qu'elle ne se manifeste. Il consiste à préparer les individus à gérer l'incertitude et donc à être mindful le moment venu (Williams et al., 2017). Cette phase de préparation appelle la mise en uvre de modalités d'apprentissage (Sutcliffe et Vogus, 2003 ; Tasic et al., 2020 ; Young et al., 2022). Le moment de l'''après'' est celui de la résilience en tant que capacité de reconstruction. Il renvoie à la gestion de l'évènement adverse après qu'il se soit produit et sur le long terme, par l'utilisation de ressources variées permettant au système de récupérer et de se reconstruire (Linnenluecke et al., 2017 ; Duchek, 2020). En définitive, la littérature identifie le moment du ''pendant'' comme essentiel. C'est à ce moment que les parties prenantes doivent développer des capacités de résilience proactive. Cette résilience proactive repose sur la mindfulness. Toutefois, être mindful ne va pas de soi ; les individus doivent y être préparés, ce qui introduit le rôle clé joué par l'apprentissage. La mindfulness La littérature sur la mindfulness est variée et renvoie à différents domaines du management comme par exemple le marketing (Bahl et al., 2016) ou encore la gestion des ressources humaines (Baron et al., 2018 ; Frizzell & Banner, 2018 ; Goldman-Schuyler et al., 2017). Il n'existe pas une définition unique de la mindfulness (Dane, 2011 ; Sutcliffe et al., 2016) du fait notamment de l'existence de deux grandes écoles de pensée, l'école orientale et l'école occidentale (Daniel et al., 2022). Dans l'école orientale, la mindfulness est représentée comme une observation sans jugement et une conscience individuelle en temps réel (Weick, 2015). Elle implique une conscience non conceptuelle et une attention au moment présent (conscience ouverte et réceptive des sens, des pensées et des émotions), ce qui est facilité par la méditation (Weick et Sutcliffe, 2006). Dans l'école occidentale, Langer (1989) relie la mindfulness à un processus sociocognitif. Par processus sociocognitif, l'auteur entend un processus consistant à ''établir de nouvelles distinctions'' (Langer & Moldoveanu, 2000, p.1), une flexibilité cognitive et le traitement actif et riche de l'information pendant l'exécution des tâches et l'attention portée à l'environnement externe (Krieger, 2005). Dans cette perspective, la mindfulness se définit comme une qualité de l'attention (Weick et Sutcliffe, 2006), en l'occurrence une attention à la fois stable et flexible. La stabilité de l'attention consiste à se concentrer sur un objet environnant donné (Thomson et al., 2015) dans un laps de temps donné (Dane, 2020). Elle est synonyme de vigilance et d'absence d'errance mentale (Rerup, 2009). Définie par Wallace (2000), la flexibilité de l'attention fait référence à ''l'élaboration, la réflexion ou l'imagination de la pensée d'une personne sur l'objet de son attention.'' Dane (2013) et (Rerup, 2009) indiquent qu'elle implique des représentations riches et complexes, non déterminées par des schémas conceptuels préexistants. La littérature met en avant le fait que pour naviguer dans un environnement complexe, la mindfulness doit être collective. Les individus doivent travailler en étroite collaboration et de manière interdépendante (Dane, 2013) ; en particulier, ils doivent s'engager collectivement dans la gestion de signaux complexes ; on attend d'eux qu'ils s'informent, qu'ils donnent du sens à la situation qui est en train de se produire, et pour ce faire, qu'ils réinterrogent leur cadre de référence préexistants pour les faire évoluer si nécessaire (Rouby & Thomas, 2023). Comme indiqué précédemment, la mindfulness est nécessaire au développement de la résilience proactive (Williams et al., 2017). Toutefois, mettre en uvre la mindfulness ne va pas de soi. Les individus doivent y être préparés, ce qui signifie qu'ils doivent être formés à devenir mindful (Sutcliffe et al., 2016). Cela introduit le rôle clé joué par l'apprentissage (Weick et Sutcliffe, 2001). En définitive, l'école occidentale définit la mindfulness comme une qualité de l'attention, c'est-à-dire une attention à la fois stable et flexible. Stabilité et flexibilité de l'attention sont essentielles pour gérer l'incertitude caractéristique des situations complexes, ambiguës et incertaines. Toutefois, le développement de la mindfulness ne va pas de soi ; les individus doivent être préparés à devenir mindful, ce qui introduit comme clé le rôle joué par l'apprentissage. Apprendre à être mindful Selon Kudesia (2019) et Dane (2021), l'apprentissage à la mindfulness est possible. Toutefois, comme le soulignent Rerup et Levinthal (2021), l'apprentissage de la mindfulness constitue un véritable défi. La littérature sur la résilience identifie l'apprentissage comme inhérent au développement de la résilience (Sutcliffe & Vogus, 2003 ; Tasic et al., 2020 ; Young et al., 2022). Selon Raetze et al. (2022), divers programmes d'intervention peuvent être utilisés, notamment pour apprendre aux individus et aux équipes à analyser de façon riche leur environnement (Demmer et al., 2011). Duchek (2020) souligne l'importance de la méthode des scénarios dans la formation des individus au sein des organisations à haute fiabilité. Hillmann et al. (2018) précisent que ces scénarios peuvent être irréalistes et impensables de sorte à préparer les individus à imaginer et construire des réponses innovantes. Toutefois, peu est dit sur comment former concrètement les individus, les freins et les leviers de l'apprentissage. Beaucoup reste à faire sur l'identification et la compréhension des mécanismes sous-jacents à l'apprentissage de la mindfulness comme support au développement de la résilience proactive. En définitive, si l'apprentissage est présenté comme inhérent au développement de la résilience proactive et des capacités attentionnelles (Sutcliffe & Vogus, 2003 ; Tasic et al., 2020 ; Young et al., 2022), de nombreuses questions demeurent ouvertes sur le lien entre la mindfulness et l'apprentissage, aux défis associés et aux réponses à apporter (Hillmann & Guenther, 2021 ; Hepfer & Laurence, 2022). Même si la littérature sur la résilience souligne l'importance de l'apprentissage, elle demeure silencieuse sur la manière dont les individus apprennent à être proactivement résilients en étant mindful, ce qui appelle à davantage de recherche sur le sujet. La littérature sur la mindfulness a principalement étudié le lien entre l'apprentissage et la mindfulness dans la perspective orientale (Jensen et al., 2012 ; Michel et al., 2014). Le lien entre l'apprentissage et la mindfulness dans la vision occidentale, plus appropriée dans le cas de la préparation des individus à faire face à des situations complexes, ambiguës et incertaines, est assez peu exploré. Kudesia (2019) indique que la mindfulness, décrite comme la capacité à développer une attention à la fois stable et flexible, peut être développée via la formation. Considérant la mindfulness comme une pratique métacognitive, l'auteur propose de former les individus à être réflexifs vis-à-vis de leurs pratiques et modèles de pensée (pourquoi ils font les choses, comment ils doivent les faire). Dans une perspective similaire, Dane (2021) indique que les individus doivent être entrainer à développer de nouveaux modèles d'interaction avec leur environnement ; selon lui, la formation doit porter sur les schémas ou modèles de pensée mobilisés pour traiter les signaux et suggère qu'ils soient formés à développer de nouveaux cadres de référence. Toutefois, peu est dit sur les modalités concrètes de la formation. Une littérature récente explore le lien entre la mindfulness et l'apprentissage. Elle l'identifie comme crucial (Sutcliffe et al., 2016), mais complexe (Levinthal & Rerup, 2021, Rouby & Thomas, 2023). Plus particulièrement, Rouby et Thomas (2023) plaident en faveur d'un apprentissage délibéré et, par conséquent, en faveur d'une révision des programmes de formation existants. Cependant, la question de savoir comment mettre en uvre ces programmes, notamment dans des contextes autres qu'organisationnels au sens stricto sensu du terme, n'est pas véritablement abordée, ce qui nécessite de plus amples développements théoriques et empiriques. En définitive, le lien entre l'apprentissage et la mindfulness est essentiel au développement de la résilience proactive. Former les individus à devenir mindful (dans la version occidentale de la mindfulness) vise à préparer les individus à faire face à l'adversité avant qu'elle ne se produise et à gérer l'incertitude caractéristique des situations complexes, ambigües et imprévisibles. Toutefois, si la littérature souligne le rôle clé joué par l'apprentissage, elle demeure silencieuse sur la manière dont les individus apprennent à être proactivement résilientes grâce à la mindfulness. De nombreuses questions subsistent quant aux défis rencontrés et aux réponses à apporter, ce qui appelle à des recherches plus approfondies sur le sujet. La combinaison de ces différentes littératures permet d'identifier une limite importante : le lien entre la résilience proactive, la mindfulness et l'apprentissage est sous-exploré. Il l'est particulièrement lorsque la mindfulness est appréhendée dans sa version occidentale et devient central à étudier lors de la phase de préparation (i.e., le moment de « l'avant »). Par conséquent, la question de recherche que nous proposons d'explorer dans le cadre de notre thèse est la suivante : Comment former les individus à la mindfulness afin de développer des capacités de résilience proactive ? Cette question de recherche se décompose en plusieurs questions de recherche spécifiques : (1) Quelle est la nature de l'apprentissage ? (2) Quels sont les leviers et les freins de l'apprentissage à la mindfulness individuelle et collective ? (3) Quels sont les mécanismes sous-jacents de l'apprentissage ? Méthodologie En dépit des avancées récentes de la littérature, les travaux existants sur le lien entre la résilience proactive, la mindfulness (dans sa version occidentale) et l'apprentissage sont peu nombreux ; le lien demeure sous-exploré. Cela justifie la nature exploratoire de notre travail de recherche et la mobilisation d'une méthodologie qualitative (Yin, 1989) dans la perspective de la théorie ancrée (grounded theory) (Gehman et al., 2018 ; Gioia et al., 2010). Ici, le cas étudié sera un cas emblématique au sens de Einsenhardt et Graebner (2007). L'étude de cas réalisée s'inscrit dans le cadre du projet de recherche IMPACT-A (Immediate Management Planning ACTion - Assessment). IMPACT est un module de formation de type jeu sérieux. Il a été conçu et développé par le lieutenant-colonel Frédéric Castagnola, chef du groupe fonctionnel Citoyenneté / 06 du Service départemental d'incendie et de secours, et responsable de la formation à la gestion des risques et de crise depuis 2015. Conformément à la question de recherche, IMPACT s'inscrit dans le moment de l'''avant'', c'est-à-dire celui de la préparation des individus à faire face à l'adversité. Il est censé former les individus à développer des capacités de résilience proactive par le biais de la mindfulness. L'idée sous-jacente est que les acteurs responsables de la gestion d'événements adverses inattendus et des effets domino incertains qui en émergent (chaîne de causalités complexe et imprévisible) doivent être préparés à développer une flexibilité cognitive et des capacités d'improvisation. Il vise à préparer les individus à se détacher de leurs cadres de référence préexistants et à faire face à tous types d'événements, notamment ceux liés aux catastrophes naturelles. L'étude empirique appliquera la méthode d'analyse des données développée par D. Gioia afin de produire des résultats rigoureux et solides. La collecte de données sera réalisée via plusieurs modalités : des entretiens semi-structurés avec les apprenants d'IMPACT, des observations participantes et non participantes complétées par des entretiens informels. L'objectif sera de permettre la triangulation des données recueillies lors des différentes phases de collecte. L'analyse des données suivra le processus de codage conventionnel pour une méthodologie de théorie ancrée (Gehman et al., 2018 ; Gioia et al., 2010 ; Strauss & Corbin, 1998). Tout d'abord, un codage ouvert sera réalisé. Les codes initiaux (codes de premier niveau) seront comparés et regroupés en catégories plus abstraites et conceptuelles (processus d'abstraction), tout d'abord des codes de second niveau puis des codes encore plus abstraits appelés codes agrégés. Ces codes seront ensuite reliés entre eux pour générer un modèle inductif (Gioia et al., 2010). Notons que les phases de collecte et d'analyse des données seront réalisées de manière itérative. Contributions attendues Des contributions théoriques sont attendues sur le lien entre le développement de capacités de résilience proactive, la mindfulness et l'apprentissage par la formation, lien sous-exploré dans par la littérature existante. De nouvelles connaissances sont attendues sur la nature de l'apprentissage, ses leviers et freins mais également ses mécanismes sous-jacents. En particulier, nos résultats devraient permettre de mieux comprendre le rôle de la ''scénarisation'' dans le processus de formation à la mindfulness et la préparation des individus à faire face individuellement et collectivement à des situations complexes, ambiguës et imprévisibles, autrement dit à gérer l'incertitude caractéristique de ces situations. Des contributions managériales sont également attendues. Il s'agira d'une part d'évaluer et d'améliorer le module de formation IMPACT en étroite collaboration avec son concepteur, et d'autre part de construire des recommandations managériales à destination des services RH cherchant à développer des programmes de formation des personnels évoluant dans des environnements de travail dynamiques et complexes.