Thèse en cours

Contacts impériaux dans des confins contestés : la construction physique et imaginaire de la Crimée et du Caucase comme frontière méridionale de la Russie dans les récits de voyage britanniques, 1783–1914

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Auteur / Autrice : Arman Martirosyan
Direction : Hélène IbataRodolphe Baudin
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Histoire politique, culturelle et sociale
Date : Inscription en doctorat le 22/09/2023
Etablissement(s) : Strasbourg
Ecole(s) doctorale(s) : ED 520 : Humanités
Partenaire(s) de recherche : Equipe de recherche : Savoirs dans l'espace anglophone : représentations, culture, histoire (SEARCH UR 2325) - Europe orientale, balkanique et médiane (EUR’ORBEM UMR 8224, dont le Centre interdisciplinaire de recherches sur la Russie, l'Asie centrale et le Caucase – CIRRUSAC)

Résumé

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Je me spécialise dans les histoires politiques, culturelles et sociales de la Grande-Bretagne, de la Russie impériale et du Proche-Orient. Plus précisément, je travaille sur les récits de voyage non fictionnels publiés au cours du long XIXᵉ siècle (1783–1914), rédigés par des voyageurs britanniques au sujet des régions frontalières méridionales de l’Empire russe, à savoir la Crimée et le Caucase. Mon objectif est de déterminer comment les hommes et les femmes britanniques voyageaient avec des préconçues impériales dans des terres qui n’étaient pas sous domination coloniale britannique. On peut émettre l’hypothèse que dans leurs représentations écrites et visuelles des Autres « exotiques » et des paysages « étranges », ces voyageurs ont dû adopter un regard nouveau, non colonial mais peut-être dominateur, tout en cherchant à adapter ces peuples et ces paysages à des cadres familiers britanniques ou européens. Les dimensions ethnographiques et géopolitiques de ces récits de voyage doivent également être évaluées ; on peut en effet y voir des observations qui reflètent autant l’identité nationale (britannique) que la pluralité des identités russe, criméenne ou caucasienne. ||| Dans des régions où les conflits, les résistances et les annexions poussaient à modifier les frontières et les divisions administratives, où de nouvelles infrastructures étaient construites, des noms de villes changés et de nouveaux colons installés, il y avait un besoin constant de fournir des informations actualisées. L’intérêt des lecteurs occidentaux pour ces régions orientales ne relevait donc pas seulement du plaisir littéraire, mais aussi de la curiosité pour des espaces en mutation et en développement, d’autant plus qu’il s’agissait de territoires coloniaux d’un empire rival. En même temps, ces représentations de territoires apparemment en voie de modernisation pouvaient paradoxalement être entravées au profit de la mise en avant d’histoires figées et de peuples décrits comme vivant dans des Arcadies pastorales et tranquilles, similaires au concept de « bons sauvages ». ||| Cette thèse s’inscrit dans la lignée des études (et critiques) de l’orientalisme développées par Edward Said. Elle cherche à déterminer si des politiques orientalistes et impérialistes existaient ou pouvaient exister dans des zones non soumises à un contrôle colonial britannique direct. Les premiers résultats montrent qu’elles pouvaient et qu’elles existaient bel et bien. Toutefois, dans notre contexte, le concept « d’anti-conquête » de Mary Louise Pratt est peut-être plus pertinent. Ou, pour reprendre le terme d’Andrew Hammond, on pourrait parler de « colonialisme imaginé ». L’insistance de C. A. Bayly sur la nécessité d’étudier l’histoire impériale non seulement du point de vue institutionnel mais aussi de celui des sociétés colonisées (ici : les « travelees », pour reprendre un terme des études sur le voyage) nourrit largement mon projet. Sur ces bases, la thèse s’inscrit dans le champ de l’histoire mondiale, bien qu’elle mobilise aussi les area studies. ||| Enfin, bien qu’elle soit centrée sur le long XIXᵉ siècle, cette thèse entend répondre aux interrogations des lecteurs contemporains sur les XXᵉ et XXIᵉ siècles. D’un côté, la péninsule de Crimée et la quasi-totalité des États-nations et territoires dépendants du Caucase (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan ; Tchétchénie, Daghestan ; Abkhazie, Ossétie, Haut-Karabakh…) ont connu une série de conflits et de guerres majeures, depuis le début des années 1990 jusqu’en 2024, avec des réalités politiques toujours très contestées, en particulier dans le contexte de l’invasion russe en Ukraine, qui a rouvert les débats sur le statut de la Crimée depuis 2014 et sur l’insistance persistante du régime de Poutine à intervenir dans les affaires du Caucase du Sud. La guerre de la Russie contre l’Ukraine a également poussé l’UE et, plus largement, les pays européens, à reconsidérer l’importance stratégique des régions de la mer Noire et de la mer Caspienne, afin de contrebalancer la présence économique russe en Europe et de réduire la dépendance énergétique européenne vis-à-vis de la Russie. De l’autre côté, l’éloignement politique formel du Royaume-Uni vis-à-vis du continent (Brexit) depuis 2016 a accru l’attention des chercheurs et des historiens politiques, culturels et économiques contemporains, désireux de réaffirmer l’indissociabilité du Royaume-Uni et de l’Europe. Les voyages et récits de voyage des siècles précédents sont une manière de démontrer l’interconnexion entre le Royaume-Uni, la Russie et le continent européen. À travers une analyse des facteurs sociaux et culturels, ce projet de thèse intègre également l’histoire politique pour expliquer à la fois les événements du XIXᵉ siècle et leurs héritages dans les mondes de l’après-Seconde Guerre mondiale, de l’après-guerre froide et de l’après-URSS. De cette manière, mon projet vise à toucher un large public, intéressé par les voyages, les rencontres culturelles, la géographie, l’ethnographie, l’histoire et la littérature mondiales, ainsi que par les relations entre l’Europe et la Russie. ||| Je travaille sous la direction d’Hélène Ibata, professeure d’histoire britannique à l’Université de Strasbourg et directrice de l’UR 2325 Savoirs dans l’Espace Anglophone : Représentations, Culture, Histoire (SEARCH), et la codirection de Rodolphe Baudin, professeur de littérature russe à Sorbonne Université et co-directeur de l’UMR 8224 Europe orientale, balkanique et médiane (Eur’ORBEM). ||| https://search.unistra.fr/membres/doctorantes/arman-martirosyan/