Faire communauté : reconfiguration des liens entre individus et territoires dans la poétique de Marie-Hélène Lafon.
Auteur / Autrice : | Christel Bouchez |
Direction : | Pascale Jonchiere |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Langue et littérature françaises |
Date : | Inscription en doctorat le 01/09/2023 |
Etablissement(s) : | Université Clermont Auvergne (2021-...) |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale des lettres, sciences humaines et sociales (Clermont-Ferrand) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Centre de Recherches sur les Littératures et la Sociopoétique |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
Marie-Hélène Lafon sonde sa terre natale et pourtant s'adresse à ce qu'il y a de plus intime en chacun de nous. Il s'agit de se demander comment l'auteure, en enracinant son écriture dans l'humus de la terre natale, parvient paradoxalement à « faire communauté ». À cette intention, nous nous réfèrerons à la totalité de l'uvre de l'auteure (romans, recueils de nouvelles et essais.) Si cette poétique, enracinée dans un terreau identitaire fortement marqué, fait un écho si intime en chacun de nous, c'est par un dépassement de toute forme consciente d'implication politique au profit d'une implication poétique et sensible. Le regard empathique, depuis l'épicentre et à hauteur de personnages, permet de transcender la dialectique entre célébration et condamnation que portait en filigrane le discours de la terre. La focale adoptée par Marie-Hélène Lafon, gage de justesse émotionnelle, ménage ainsi à chacun sa place dans la communauté. Ensuite, le refus de déployer au sein de ses récits une forte densité événementielle, la volonté de délaisser quelque peu l'action au profit de l'observation, nous amènera à réfléchir sur la relation entre dépassement du réalisme et tissage des liens. L'attention accordée au paysage, le libre déploiement du regard et son épanouissement dans l'espace du texte, confèrent à la description un statut fédérateur singulier. Si l'écriture de la terre natale acquiert enfin une valeur réunificatrice, c'est parce que la pluralité des sens se déploie en permanence dans le tissu textuel. En donnant à voir autant qu'à sentir, entendre, goûter et toucher, c'est une communauté sensible que convoque l'auteure. Par ces synesthésies, le texte collige les hommes d'hier et ceux d'aujourd'hui par-delà le temps, le monde rural au monde urbain par-delà les espaces. Comme une boue organique première, la « sauvagine » ressurgit au travers des lignes et vient crier la fin de l'exception humaine : faire corps et faire paysage se mêlent et se confondent. Nous montrerons d'abord que les frontières entre l'humain et le non-humain sont entièrement poreuses. L'homme fait corps avec l'animal et avec le pays. Fusion ensuite, fusion toujours, entre la langue et les corps : la langue sort du corps. La corporéité de l'écriture s'éprouve tant sur le plan lexical que sur les plans syntaxique et sonore. La « coulée verbale » transporte la matière, matière à ciseler comme le bois ou à modeler comme la glaise, matière qui prend corps en accord avec les corps. Par cette fusion volcanique, le paysage devient personnage. Paradoxalement, le paysage n'est pas figé et ne fige pas : il initie le mouvement. Les motifs de l'exil et du voyage, omniprésents dans les textes, sont intimés par cette terre à la fois rude et douce, et qui transmet sa force de caractère aux hommes. Cette écriture organique offre enfin au lecteur un objet souple et ouvert, un objet qui invite au remodelage. Le pays ne se laisse pas saisir facilement, opacité et complexité le constituent. Sa polymorphie liée à la saisonnalité le rend difficile à cerner et ses contours demeurent incertains. Il imprime à l'uvre ses paradoxes : sécurisant ou menaçant, tantôt refuge, tantôt prison, horizon ouvert ou monde clos. Il donne lieu à la plurivocité : chargé d'une densité polysémique, le texte est un objet dynamique. Par effet de contamination, l'esthétique de l'effacement habite tous les niveaux du texte : les personnages recèlent une grande part de mystère. Silences, non-dit et secret contribuent amplement à ouvrir le texte sur tous les possibles. Enfin l'ambivalence caractérise les excipits de l'uvre, et cette « inconclusivité » donne à penser. L'indétermination et l'absence de clôture laissent la place au lecteur, l'inachevé constituant le reste à écrire.