Actions holographiques effectives pour la matière fortement couplée
Auteur / Autrice : | Clément Supiot |
Direction : | Blaise Goutéraux |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Physique |
Date : | Inscription en doctorat le 01/09/2023 |
Etablissement(s) : | Institut polytechnique de Paris |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale de l'Institut polytechnique de Paris |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Centre de Physique Theorique |
Equipe de recherche : Théorie des cordes |
Mots clés
Résumé
Les phases de matière quantiques fortement couplées constitue un défi majeur pour la physique théorique contemporaine. On trouve ces systèmes aussi bien aux basses qu'aux hautes énergies, de la cosmologie primordiale à la matière condensée en passant par la physique des particules et la chromodynamique quantique. Parmi ces exemples, ce doctorat se concentrera principalement sur les systèmes de matière condensée fortement couplés, comme les supraconducteurs à haute température critiques et les phases métalliques dites étranges. Ces matériaux furent synthétisés il y a environ trente-cinq ans pour la première fois, et malgré une attention soutenue depuis, il n'existe pas de consensus sur leur description théorique, alors que les études expérimentales continuent de fournir de nouveaux résultats. Les composés parents non dopés sont des isolants de Mott, avec une phase anti-ferromagnétique à bas dopage. Aux dopages les plus élevés lorsque la supraconductivité disparaît, ces matériaux ont un comportement compatible avec celui d'un liquide de Fermi, vu les mesures d'ARPES, d'oscillations quantiques et de transport. Aux dopages intermédiaires, la valeur élevée de la température critique à laquelle ces matériaux deviennent supraconducteurs est en tension avec la théorie de la supraconductivité de Bardeen-Cooper-Schrieffer. De plus, la résistivité devient parfaitement linéaire en la température dans la phase métallique dite étrange, ce qui est également incompatible avec les prédictions de la théorie du liquide de Fermi. Ce comportement en loi d'échelle des observables de transport semble persister pour un intervalle de dopage, en tension avec le cadre théorique des points critiques quantiques. Les points critiques quantiques séparent une phase ordonnée et une phase désordonnée à température nulle. Leur description théorique se fait habituellement en les traduisant en un problème de physique statistique à température non-nulle en une dimension d'espace supplémentaire, au moyen d'une rotation de Wick du temps Lorentzien vers un temps Euclidien imaginaire et en compactifiant cette dimension sur un cercle. Les supraconducteurs à haute température critique ne semblent pas appartenir à cette catégorie, entre autres car l'origine de la phase métallique étrange ne peut pas être attribuée de manière univoque à la brisure spontanée d'une symétrie ou à un point critique quantique en particulier. Les fermions à densité finie sont également à l'origine du célèbre problème de signe dans le formalisme de l'intégrale de chemin : l'action n'est pas définie-positive et oscille de plus en plus rapidement aux basses températures. Ceci constitue un obstacle supplémentaire à l'analyse de ce genre de problèmes, et rend compliquée la limite de basse température des études numériques. La dualité entre théories de jauge et de gravité présente une alternative intéressante pour modéliser ces systèmes. Dans sa version d'origine, elle fut découverte par Maldacena en 1997 dans le cadre de la théorie des cordes. De façon générale, il s'agit d'une dualité entre une théorie des champs conforme et une théorie de la gravitation avec une dimension d'espace supplémentaire, définie sur des espaces-temps anti de Sitter avec une courbure négative, couplée à des champs de matière. Il existe plusieurs réalisations microscopiques de cette dualité, qui ont servi à établir le dictionnaire entre la théorie de gravitation et la théorie des champs duale. Cette dualité est entre le régime quantique à fort couplage de la théorie des champs et le régime classique à faible couplage de la théorie de gravitation. Ceci a pour conséquence que le régime de couplage fort de la théorie quantique des champs est décrit en résolvant les équations d'Einstein couplées à de la matière. La dualité repose sur une limite de grand N de la théorie quantique des champs, où N est le rang du groupe de jauge de la théorie. Ce type de limite de grand N est souvent utilisée en théorie de la matière condensée. Toutefois, il faut alors se soucier de l'impact éventuel de cette limite et d'effets qui pourraient survenir à N fini. Par exemple, il a été établi très rapidement que les fonctions de corrélations de fermions-tests dans un espace-temps anti de Sitter révélaient la présence d'une surface de Fermi. Toutefois, ces surfaces de Fermi sont des artefacts de la limite test où les fermions ne modifient pas la métrique de l'espace-temps, et les fonctions de corrélation de la métrique ne présentent pas, elles, de surface de Fermi. Les états avec une description holographique forment donc un terrain intéressant pour décrire des métaux qui ne seraient pas des liquides de Fermi. Toutefois, se cantonner uniquement à la construction d'une solution gravitationnelle et de ses perturbations ne révèle qu'une quantité limitée d'informations. L'étape-clé nécessaire est la construction de l'action effective à température nulle. Ceci permet de faire le lien et la comparaison avec les approches plus conventionnelles de matière condensée, et d'identifier les éventuelles caractéristiques universelles des phases holographiques. Au niveau microscopique, les théories duales sont des théories conformes, très différentes des systèmes de matière condensée. Toutefois, ces théories peuvent être déformées par l'introduction d'un opérateur scalaire ou d'un potentiel chimique. Ces déformations essentielles provoquent alors un flot du groupe de renormalisation vers une phase infrarouge non-triviale. Celle-ci est typiquement dotée d'excitations à énergies arbitrairement basses, et sont covariantes sous les transformations d'échelle. Ceci est dû à la persistence d'une échelle avec une dimension non-nulle dans la théorie infrarouge. Ce mécanisme présente des similarités avec les liquides de Fermi, pour lesquels l'énergie de Fermi joue le même rôle. Contrairement aux liquides de Fermi, les théories effectives contrôlant les états holographiques aux températures basses comparées au potentiel chimique ne sont pas connues. Construire ces théories effectives est l'objectif principal de ce doctorat. Nous le ferons en utilisant une procédure similaire dans son principe au flot du groupe de renormalisation, consistant à intégrer sur les degrés de liberté d'énergie plus élevée qu'une certaine échelle. Ceci s'effectue en intégrant le long de la dimension supplémentaire, holographique dans l'action d'Einstein-Hilbert. On peut alors exprimer l'action effective en terme des degrés de liberté infrarouge, couplés à un secteur critique quantique émergent. Ceci a déjà été fait pour le cas simple d'un champ de Maxwell découplé de la métrique et des autres champs de matière. Dans le cadre de ce doctorat, nous allons explorer d'autres modèles holographiques, comme les suprafluides et les métaux holographiques, en incluant le couplage à la métrique. A plus long terme, une fois ces actions construites, nous tenterons d'établir des connections avec des modèles théoriques de matière condensée, comme les liquides de Fermi et les modèles de fermions couplés à un boson de type Hertz-Millis, ainsi qu'à la phénoménologie expérimentale.