Une exploration des classes moyennes périphériques en Amérique Latine : identification, comportements, perceptions et aspirations
Auteur / Autrice : | Thibaut Plassot sansans |
Direction : | Matthieu Clement, Eric Rougier |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Sciences économiques |
Date : | Inscription en doctorat le 19/07/2022 |
Etablissement(s) : | Bordeaux |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Entreprise, économie, société (Talence, Gironde ; 1991-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : BSE - Bordeaux sciences économiques |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
Les pays à revenus faible et intermédiaire continuent de voir s'accroître une classe moyenne hétérogène depuis le début du 21eme siècle. Cette dynamique est favorisée par les transitions démographiques, économiques et technologiques à l'uvre, mais aussi par la consolidation des institutions et la stabilité politique (Birsdal, 2010). On observe dans le même temps de nombreuses transformations territoriales, en particulier une intensification des échanges et une interdépendance entre territoires ruraux et urbains, la constitution de mégalopoles, ainsi que le développement de nombreuses zones intermédiaires et périphériques (Berdegué et al, 2015). Malgré une hausse du niveau d'éducation de la population, ces économies restent hautement inégalitaires avec un faible degré de mobilité sociale. On observe une importante persistance intergénérationnelle aux extrêmes de la distribution du revenus, et une partie de la population ressent ne pas prendre part aux gains de la croissance ce qui génère des sentiments comme la dévalorisation, la perte de contrôle, l'isolation sociale et la méfiance vis-à-vis de l'État et des élites. Une croissance inclusive, un marché du travail en expansion et des politiques sociales ciblées sur les groupes les plus vulnérables permettent l'accroissement de la classe moyenne dont il reste néanmoins difficile de trouver une définition consensuelle. Plusieurs approches ont été proposées, par exemple à partir de critères de revenus (Kharas, 2017) ou l'on caractérise ceux n'appartenant ni à la classe riche, ni à la classe pauvre, c'est à dire partant d'un critère d'exclusion plutôt que partant de ce qui définit la classe moyenne. D'autres approches se basent sur des critères multidimensionnels prenant en compte les carences sociales (Teruel et al. 2018), la dimension territoriale (Do Amaral Filho, 2013 ; Berdegué et Soloaga, 2018), ou encore le concept de vulnérabilité face à la pauvreté (Lopez-Calva et al. 2011). De plus, l'identification de la classe moyenne dépend d'autres dimensions telles que le niveau d'éducation et l'occupation (Amoranto et al. 2010), mais aussi du fait de partager un même système de valeurs et d'aspirations (Castellani et al. 2017, Ferreira et al. 2013), ou encore un même capital culturel ou des modes de consommation (Torche, 2010). Finalement il est admis que les spécificités des pays en développement nous obligent à penser les classes moyennes de ces pays avec un regard diffèrent de celui porté sur les classes moyennes pays riches (Sumner and Wietzke, 2018). La littérature a bien documenté l'expansion de cette classe moyenne dans les pays en développement, en soulignant qu'une fraction de ce groupe reste fragile et alterne des périodes de pauvreté et des périodes dans la classe moyenne vulnérable (Ferreira et al. 2013, Ravaillon, 2009, Solimano, 2008). Dans les pays émergents, notamment latino-américains, ce groupe se caractérise par une contribution nette au système fiscal, mais perçoit recevoir peu de bénéfices des services publics (Kharas, 2017). Les classes moyennes se situent entre une masse de personnes pauvres bénéficiant des politiques sociales, et une mince élite qui est parfois perçu comme évadant leur responsabilité fiscale. Le développement de la classe moyenne a des implications sur le marché des biens de consommation, et contribue fortement à la croissance (Easterly, 2001). Des auteurs ont aussi étudié l'influence de ce groupe sur la sphère politique, notamment à travers la demande pour une meilleure gouvernance mais aussi pour des services publics et un système fiscal équitable (Kharas, 2017). La consolidation d'une classe moyenne permettrait de renforcer les institutions démocratiques et économiques (Ravaillon, 2009), et les intérêts de ce groupe pour préserver de minces privilèges peuvent les inciter à soutenir les institutions politico-économiques en place (Birsdal, 2010). Toutefois, la position vulnérable de certains membres des classes moyennes se traduit par un puissant mécontentement à l'encontre de systèmes fiscaux inéquitables et de l'inégale distribution des revenus (Daude et al. 2015 ; Cardenas et al. 2015), comme le montrent les nombreux conflits sociaux ayant impliqué tout ou partie de la classe moyenne en France, au Chili, au Brésil, ou encore dans certains pays d'Asie. La thèse se concentrera sur les classes moyennes périphériques en Amérique Latine et la façon dont la position sociale et les inégalités sont vécues et sont perçues par les membres de ce groupe. Dans un premier temps nous définirons la notion de classe moyenne périphérique selon des critères socioéconomiques et territoriaux, et nous explorerons la structure de ce groupe capable de manière à en refléter l'hétérogénéité potentielle selon le lieu de résidence, le gradient de vulnérabilité et d'autres critères socioéconomiques. Dans un second temps, nous étudierons la perception des individus quant à la distribution des revenus, aux inégalités d'opportunité et à la configuration fiscale et redistributive. Nous comparerons également la situation actuelle des individus à la perception qu'ils ont de leur position dans la sphère sociale et à leurs aspirations. Dans un troisième temps, nous chercherons à mettre en évidence comment la non-satisfaction des attentes, les niveaux d'inégalités et la situation de vulnérabilité se corrèlent aux mécanismes psychologiques influençant le bien-être subjectif et objectif, les comportements économiques et politiques des acteurs, ainsi que leurs rapports avec les institutions et autres groupes sociaux. Du point de vue méthodologique, cette thèse s'appuiera tout d'abord sur la combinaison de données d'enquêtes quantitatives secondaires dans le contexte latino-américain, permettant notamment d'explorer la structure sociale à un niveau spatialement désagrégé. L'analyse reposera essentiellement sur les outils statistiques et économétriques (méthodes de classification, outils d'analyse de la distribution des revenus, micro-économétrie, etc.). Ces analyses quantitatives approfondies seront enrichis par la collecte de matériaux qualitatifs dans le cadre d'enquêtes de terrain dans plusieurs pays latino-américains, permettant ainsi d'inclure une dimension comparative à la thèse. Les résultats permettront d'alimenter la littérature existante et d'informer sur le type de politiques publiques à adopter pour réduire la vulnérabilité, le sentiment d'exclusion, et les barrières limitant la mobilité sociale et l'égalité d'opportunité. Le travail de thèse pourra notamment permettre de répondre aux questions suivantes : Comment se définit la classe moyenne dans les pays en développement ? Existe-t-il une hétérogénéité à l'intérieur des classes moyennes ? La classe moyenne est-elle différente selon le territoire de résidence (zones urbaines, classe moyennes périphériques et en territoires intermédiaires) ? Quelle proportion de la classe moyenne est vulnérable face à la pauvreté et quelles sont ces caractéristiques ? Quel est l'écart entre la position sociale des individus et la perception qu'ils ont sur leur position, et leurs aspirations ? Quelle est la perception des individus sur les inégalités et sur l'inégalité d'opportunité, et quel serait le niveau d'inégalité qu'ils considèrent acceptable ? Pour atteindre une distribution plus équitable des inégalités, quelles configurations fiscales et distributives sont préférées par ces acteurs ? Comment les transformations économiques façonnent les valeurs, les préférences, et les comportements de la classe moyenne ? Quelle est l'influence des facteurs économiques et des niveaux d'inégalités sur les mécanismes psychologiques liés au bien-être ? Quelle est l'influence des classes moyennes sur la transformation économique et sociale et sur le changement politique ? Quels sont les déterminants et les mécanismes qui peuvent pousser ce groupe à la marginalisation et la radicalisation ?