La typologie des personnages libertins dans les uvres du Marquis de Sade
Auteur / Autrice : | Jean Clair Abiaga ndong |
Direction : | Françoise Sylvos |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Langue et littérature françaises |
Date : | Inscription en doctorat le 03/01/2022 |
Etablissement(s) : | La Réunion |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Sciences humaines et sociales (Saint-Denis, La Réunion ; 2010-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Déplacements, Identités, Regards, Ecritures |
Résumé
PROJET DE THÈSE Titre de la thèse : 'LA TYPOLOGIE DES LIBERTINS DANS LES UVRES DU MARQUIS DE SADE'' Nous nous proposons de faire une étude des personnages dans les uvres du Marquis de Sade. Il s'agira de l'étude des libertins d'après leurs fonctions, leur classement en catégories et l'analyse des formes de leurs apparitions, leurs attributs qui sont leurs qualités extérieures, notamment l'âge, le sexe, la situation sociale, leurs traits particuliers et leurs goûts. A priori, il ressort à la première lecture que les fonctions demeurent des constantes, ce qui permettra de classer systématiquement les personnages. Ce sont des sujets qui représentent leurs castes de manière exemplaire et leurs portraits sont réduits à peu de mots. L'uvre sadienne va nous permettre d'effectuer une lecture en diagonale des principales passions des libertins, leurs motivations et les desseins qu'ils se proposent sur la société. Notre étude ne consistera pas en une analyse de la pensée sadienne, mais bien de la typologie des libertins, ce qui sous-entend de relever les occurrences, définir le fonctionnement des associations libertines, analyser les personnages par le biais de plusieurs paramètres et voir à quoi cela correspond. En clair, il va falloir établir une homologie entre le libertin, sa physiologie et son histoire, puis montrer que le comportement qu'il affiche est la conséquence logique d'antécédents tumultueux. ETAT ACTUEL DES CONNAISSANCES SUR L'UVRE DU MARQUIS DE SADE De nombreux critiques ont analysé l'uvre du Marquis de Sade et ont tenté de restituer sa vision de l'homme et de la société à travers plusieurs approches, dont celle de l'Histoire des Idées, l'approche philosophique, l'approche stylistique et l'approche linguistique. 1) Histoire des idées Dans la perspective de l'Histoire des Idées, Svein-Eirik Fauskevag dans Sade ou la tentation totalitaire, étude sur l'anthropologie littéraire dans la Nouvelle Justine et L'histoire de Juliette, soutient que chez Sade la vie apparaît comme une dynamique universelle qui, pour se régénérer, exige l'anéantissement des êtres faibles. Ceux-ci sont brutalement soumis à une mort qui reste insignifiante dans la perspective de la nature, perspective adoptée par les êtres puissants que sont les libertins. Étant une destruction anatomique synonyme de désagrégation moléculaire, la mort reste limitée à un mouvement local dans le grand creuset de la nature universelle. Ainsi aux yeux des libertins, le meurtre n'est-il qu'une dissolution des formes matérielles en surface. Puisqu'il modifie les configurations matérielles existantes, le meurtre est générateur de nouvelles créations naturelles lancées de façon mécanique, selon un cycle d'équilibre entre destructions et création. 2) Approche philosophique Jean Marc Kérhès, dans Sade et la rhétorique de l'exemplarité, soutient qu'affirmant que l'universalité est le seul critère de vérité, les libertins sadiens récusent au nom de la relativité des conduites morales les fondements de toute prétendue vertu. Pour discréditer les préceptes éthiques, ils pratiquent une philosophie du soupçon qui détermine la valeur d'une axiologie à l'aune de ses origines et de la pragmatique qu'elle sert. Mais cette philosophie du soupçon se retourne contre ses adeptes, car Sade donne effectivement à voir comment nature et raison servent invariablement les libertins pour légitimer une pratique personnelle. Svein-Eirik Fauskevag dans Sade ou la tentation totalitaire, parlant du principe d'égoïsme dans La Nouvelle Justine et L'histoire de Juliette, soutient que les libertins sadiens proclament l'égoïsme comme une expression universelle de la force vitale de l'homme, son désir qui est étroitement lié à son intérêt privé. Ainsi l'homme qui veut rester dans le vrai se doit de rester fidèle aux principes d'égoïsme et de scélératesse. Les normes morales et sociales sont insidieuses, car elles défigurent l'égoïsme qui n'ose plus s'avouer, l'empêchant d'exprimer le besoin fondamental de l'homme qui est de persévérer dans son existence organique. La conservation de soi étant le besoin primordial de l'individu, son intérêt fondamental est de satisfaire à tout prix ses besoins physiques. Pierre Klosowski, dans Le Philosophe scélérat, affirme que Sade, en interprétant l'acte aberrant comme coïncidence de la nature et de la raison, humilie à la fois la raison par le sensible et le sensible 'raisonnable'' par une raison perverse. La raison perverse n'en est pas moins la réplique de la raison censurant le sensible : en tant que réplique de la censure, la raison perverse retient celle-là pour introduire dans le sensible 'raisonnable'' la sanction punitive en tant qu'outrage par quoi Sade entend la transgression des normes. Le sensible ne se décrit chez Sade que sous la forme d'une propension à agir. 3) Approche stylistique Dans le cadre des études stylistiques entreprises sur Sade, Jean Marc Khérès relève dans La nouvelle Justine et L'histoire de Juliette l'emploi du style coupé et des phrases en escalier. Mais également de la description négative et de l'hypotypose. a- Style coupé et phrases en escalier La description des scènes orgiaques dans La nouvelle Justine et L'histoire de Juliette fait un usage abondant du style coupé. Le récit se fait sur le mode de l'accumulation, présentant fréquemment les éléments licencieux sous la forme d'un procès-verbal qui enregistre et additionne les choses vues et entendues. Par l'utilisation de figures de style comme la gradation et la répétition, le romancier parvient à montrer les libertins en leur qualité d'observateurs zélés des effets provoqués par la torture qu'ils infligent. C'est un procédé qui vient compléter un goût mathématique pour la mise en chiffre, le but étant bien entendu d'intensifier la description. Le narré forme ainsi une sorte de protocole qui dénombre laconiquement les particularités libidineuses. Dans de nombreux cas, le style coupé épouse la sinuosité de la phrase en escalier : la concision et la brièveté d'expression tranchent sur les discontinuités ou les ruptures soudaines que provoque la forme plus expansive de l'hypotaxe. 4) Approche linguistique Philippe Roger dans La Philosophie dans le pressoir, étudie le travail de sabotage sadien sur la machine de pouvoir du langage classique élu comme incongruité discursive par excellence et qu'il nomme 'disconvenance''. C'est d'elle dont se sert Sade pour gripper la machine esthétique. Elle se porte sur le langage, 'l'écart du libertin, le coq-à-l'âne des fantaisies scélérates. D'après lui, chez Sade, le corpus des termes libertins est restreint. Tous les mots sont courants et connus. Il n'y a pas de néologisme libertin, Sade ne fait pas de l'énonciation pornographique un exercice esthétique et élitaire en forgeant sur des racines savantes ou par le jeu d'allusions mondaines et historiques une langue intime des pervers cultivés. Le mot chez lui fonctionne comme un détonateur qui fait éclater le classicisme de la syntaxe et du vocabulaire décent, l'effet recherché étant la violence. Il s'agit de faire le plus mal possible au véhicule de la culture dominante, d'où le retour de quelques mots, toujours les mêmes, les mieux connus, les plus fortement connotatifs susceptibles de faire mouche, le signifiant incongru qui convertit la métaphore de l'épanchement en l'expression de la dépense, la passion amoureuse en passion libertine, l'invocation de Dieu en juron. ÉTAT ACTUEL DES CONNAISSANCES SUR L'ETUDE DES PERSONNAGES Jusqu'au roman héroïco-galant, les personnages sont peu individualisés, soumis à un destin essentiellement gouverné par le hasard, la fatalité ou les dieux et évoluent dans des mondes dont l'espace et le temps sont faiblement déterminés. C'est au XVIIe siècle que se mettront en place les conventions littéraires du réalisme que systématiseront les romanciers du XXe siècle. Études théoriques Les apports théoriques en date les plus intéressantes sur le personnage sont à mettre au crédit de la narratologie. Le renouveau des études littéraires opéré par le formalisme et le structuralisme a permis de reconsidérer une notion jusque-là assez indéterminée et tombée en désuétude. Il s'agissait de donner du personnage une définition strictement fonctionnelle qui le constituât en un composant du système narratif. A. J. Greimas et Roland Barthes ont en ce sens posé les fondements de l'étude narratologique du personnage. 'L'analyse structurale, comme le précisait Barthes à 75 l'époque, très soucieuse de ne pas définir le personnage en termes d'essence psychologique, s'est efforcée à travers des hypothèses diverses de définir le personnage non comme un 'être'', mais comme un 'participant''. Dès lors, la voie était ouverte à l'étude strictement linguistique que l'on trouve dans l'article 'Pour un statut sémiologique du personnage'' de Philippe Hamon. L'analyse sémiotique se fondant sur la tripartition de la linguistique en sémantique, syntaxe et pragmatique, y proposait une définition du personnage passant par trois catégories : les personnages-référentiels (renvoyant à des signifiés sûrs et immédiatement repérables); les personnages embrayeurs (représentant le lecteur ou l'auteur) et les personnages anaphores (unifiant et structurant l'uvre par un système de renvois et d'appels). Le personnage saisi sur le mode du signe linguistique était appréhendé comme un 'système d'équivalence réglé, destiné à assurer la lisibilité du texte'' (Hamon). LES ENJEUX DU SUJET Les personnages ont un rôle essentiel dans l'organisation des histoires. Ils permettent les actions, les assument, les subissent, les relient entre elles et leur donnent sens. Nous pouvons donc avancer que toute histoire est histoire des personnages. Mais appréhender la présence d'un personnage, c'est construire au cours de la lecture sa psychologie, ses fonctions, ses savoirs, ses compétences. Plus précisément, étudier un personnage, c'est mettre à jour un champ complexe et surdéterminé qui est à la fois celui du figuratif en tant qu'un 'effet de réel'', celui de l'anthropomorphisation du narratif, car il est le lieu d'un 'effet moral'', d'un 'effet de personne'' et d'un 'effet psychologique''. A ceux-ci s'ajouteront leurs qualifications, car en tant qu'acteurs, ils peuvent être considérés comme des rôles thématiques, autrement dit comme des sujets discursifs susceptibles de dérouler chacun un parcours narratif dans un texte. Notre étude va nous amener à nous démarquer des études actuelles sur le personnage romanesque qui se cantonnent essentiellement sur l'enchaînement des séquences. Il va s'agir pour nous d'analyser et de comprendre les modalités de leurs représentations et les fonctions qu'ils occupent. Contrairement aux textes de Diderot qui laissent la latitude pour imaginer le personnage, chez Sade, l'univers du personnage, sa composition et ses spécificités sont déclinés à travers un nom et des indications théâtrales. Il va donc s'agir d'analyser les hiérarchies sémantiques (qualités ou défauts de l'âme et du corps) et rhétoriques (structures syntaxiques) qui donneront une vision d'ensemble de l'univers romanesque. LA METHODE ADOPTEE DANS L'ELABORATION DU SUJET Nous avons pris connaissance de la méthode de Philippe Hamon (Pour un statut sémiologique du personnage), celle de Jean Philippe Miraux dans Le Personnage de roman, sans omettre Francis Berthelot dans Le Corps du héros. Ce qui nous permettra de faire un classement à partir de critères qui ont du sens. Nous dresserons une fiche signalétique d'un certain nombre de libertins, tantôt en condensant les traits caractéristiques du personnage d'après le rôle qu'il joue, tantôt en reproduisant littéralement la peinture que Sade en a donnée, tout en analysant son discours, car c'est le devenir des personnages ou l'effet-personnage qui constitue le fil directeur des actions et supporte la transformation, lesquelles actions peuvent être le lieu d'investissement idéologique. Enfin, une grande attention sera portée aux noms et aux titres, car ils sont la marque d'une permanence, d'une identité d'un groupe ou d'une personne par de-là la diversité des individus et la permanence d'un projet romanesque suivi. Il rattache le personnage à une origine, donc à un destin. Le titre est ainsi un signal anaphorique et cataphorique. Nous sommes donc amenés à insister sur l'intérêt et la nécessité d'une approche multidimensionnelle afin de faire ressortir la personnalité de chaque libertin dans un système hiérarchisé.