Le rôle de la gouvernance d'entreprise dans les décisions stratégiques liées aux innovations : une approche par les capacités dynamiques
Auteur / Autrice : | Chaymae Benachour |
Direction : | Gulsun Altintas |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Sciences économiques et de gestion |
Date : | Inscription en doctorat le 30/09/2021 |
Etablissement(s) : | Valenciennes, Université Polytechnique Hauts-de-France |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale polytechnique Hauts-de-France (Valenciennes, Nord ; 2021-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Laboratoire de recherche sociétés et humanités (Valenciennes, Nord ; 2021-....) |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
La théorie des capacités dynamiques a été développée vers la fin des années 90 pour expliquer le maintien d'un avantage concurrentiel (Teece, Pisano et Shuen, 1997). Son objectif est double : construire une meilleure théorie de la performance des firmes et informer la pratique managériale (ibid). En effet, les théories précédentes (théories de Porter, l'approche ressources, théorie évolutionniste) ont été jugées insatisfaisantes pour expliquer le maintien d'un avantage concurrentiel (Priem et Butler, 2001) alors qu'il s'agit d'une question importante étant donné que la période durant laquelle les entreprises parviennent à conserver leur avantage concurrentiel s'est considérablement réduite au fil des années (Barreto, 2010). Les capacités dynamiques sont définies comme « l'aptitude d'une firme à intégrer, construire et reconfigurer des compétences internes et externes en réponse aux environnements en évolution constante. » (Teece et al., 1997, p.516). En d'autres termes, il s'agit de la capacité à identifier une opportunité, à saisir cette opportunité et à modifier la base de ressources de l'entreprise (Teece, 2007) soit pour s'adapter à l'environnement soit pour le bouleverser à travers des innovations de rupture. En effet, il existe plusieurs niveaux de capacités dynamiques : les capacités dynamiques d'exploitation sont efficaces pour s'adapter à l'environnement alors que les capacités dynamiques d'exploration sont favorables pour des innovations radicales ou de rupture (Pinho et Prange, 2016). Ces dernières sont parfois nécessaires pour changer de paradigme à travers l'introduction de nouvelles technologies pouvant contribuer à des avancées sociales et sociétales comme la transition écologique et climatique. Les capacités dynamiques peuvent donc permettre de faire des innovations de rupture mais pour ce faire, les entreprises doivent développer des capacités dynamiques étant donné que celles-ci ne peuvent être acquises sur les marchés (Ambrosini et Bowman, 2009 ; Barreto, 2010 ; Donada, Nogatchewsky et Pezet, 2015 ; Schilke et al., 2018). Le développement des capacités dynamiques a été étudié dans une approche organisationnelle et une approche managériale. L'approche organisationnelle souligne l'importance des mécanismes d'apprentissage (Zollo and Winter, 2002; Romme et al., 2010; Bingham et al., 2015, Singh et al., 2007) et des routines (Biesenthal, Gudergan et Ambrosini, 2019) pour développer des capacités dynamiques alors que l'approche managériale souligne quant à elle le rôle des dirigeants / managers (Adner et Helfat, 2003 ; Teece, 2007 ; Helfat et Martin, 2015 ; Ambrosini et Altintas, 2019). A cet égard, certains auteurs ont été à l'origine du développement du concept de capacités dynamiques managériales défini comme « les capacités à travers lesquelles les managers construisent, intègrent, et reconfigurent les ressources et compétences organisationnelles » (Adner et Helfat, 2003, p 1012). L'idée de ce concept n'est pas de dire que les dirigeants / managers peuvent être des capacités dynamiques mais plutôt de dire que ces derniers peuvent permettre de développer des capacités dynamiques au niveau organisationnel. Les capacités dynamiques managériales constituent une thématique émergente de la littérature (Wilden et al., 2016) et les auteurs soulignent que les dirigeants / managers doivent disposer de certaines caractéristiques pour générer le développement des capacités dynamiques au niveau organisationnel. Ainsi, les auteurs ont mis au jour des caractéristiques managériales comme le capital humain, le capital social et la cognition managériale (Adner et Helfat, 2003; Kor et Mesko, 2013; Helfat et Peteraf, 2015). Les études récentes portent quant à elles sur les aptitudes cognitives et psychologiques des dirigeants. Les études sur le rôle de la cognition dans le développement des capacités dynamiques (Helfat et Peteraf, 2015) renvoient aux activités mentales c'est-à-dire aux processus liés aux connaissances, à l'attention, aux souvenirs (ibid) qui permettent de prendre des décisions en suivant un raisonnement (Hodgkinson et Healey, 2011). Ce dernier peut être soit analytique c'est-à-dire rationnel ou soit émotionnel et intuitif (ibid). Lorsque les dirigeants parviennent à combiner les deux types de raisonnement (analytique et intuitif) la probabilité de développer des capacités dynamiques est plus forte (Hodgkinson et Healey, 2011 ; Huy et Zott, 2019). Les études soulignent également que les aptitudes cognitives (Helfat et Peteraf, 2015) et psychologiques (Hodgkinson et Healey, 2011) sont distribuées de façon hétérogène parmi les dirigeants. Par conséquent, chaque dirigeant a des capacités différentes en termes d'identification, de saisie des opportunités et de modification des ressources. Alors que les capacités dynamiques managériales de certains dirigeants peuvent faire le succès de leur entreprise (Teece, 2014), d'autres dirigeants peuvent développer des rigidités organisationnelles (Danneels, 2010) en raison de capacités dynamiques managériales insuffisantes. Dans certains cas, les dirigeants peuvent également mal interpréter l'environnement et développer des capacités dynamiques inappropriées (Ambrosini et Bowman, 2009). La littérature s'est davantage focalisée sur les caractéristiques des dirigeants / managers pour expliquer les capacités dynamiques. Comme nous l'avons précisé précédemment de fortes capacités dynamiques managériales peuvent permettre de développer des capacités dynamiques organisationnelles appropriées pouvant générer de fortes performances. Mais au-delà des caractéristiques managériales et psychologiques des dirigeants, le conseil d'administration et / ou les actionnaires peuvent influencer le développement des capacités dynamiques à travers le niveau de latitude accordée aux dirigeants. En effet, le rôle des dirigeants dans l'orientation stratégique et la performance de l'entreprise dépend de la discrétion managériale (Hambrick, 2007) définie comme « la latitude ou l'étendue de la liberté dont disposent les dirigeants pour influencer les comportements des entreprises par le biais de leurs préférences personnelles » (Gupta, Nadkani et Mariam, 2019, page 856). Selon Hambrick (2007), l'un des éléments qui influencent la discrétion managériale est le conseil d'administration. Comme la théorie des échelons supérieurs de Hambrick et Mason (1984), la théorie de la gouvernance financière postule une influence déterminante du dirigeant sur la performance. Toutefois, l'influence de la latitude managériale est perçue différemment. Pour la première, elle a une influence potentiellement positive sur la performance en permettant aux capacités cognitives des dirigeants de s'exprimer. Pour la seconde, l'influence est négative car elle peut conduire à des décisions contraires aux intérêts des actionnaires (Charreaux, 2008). Si les attributs de gouvernance permettent au conseil d'administration de contrôler et corriger efficacement les biais cognitifs du dirigeant, la discrétion managériale pourrait ne guère influer défavorablement sur la performance organisationnelle. Au-delà des structures, la personnalité des administrateurs pourrait aussi influer sur la création des capacités dynamiques managériales comme organisationnelles. Les codes de gouvernance requièrent d'ailleurs que la politique de recrutement des administrateurs prenne en considération les connaissances et compétences. A un autre niveau, la diversité des profils n'est peut-être pas non plus anodine quant à l'efficience de cette instance en termes de création de capacités dynamiques. La littérature a déjà montré l'influence de la diversité sur la performance (Anderson et al. 2011 ; Maati et Maati-Sauvez, 2016). En considérant l'aspect plural de la diversité des profils des administrateurs, il s'agirait aussi de s'intéresser aux conséquences de cette diversité sur le fonctionnement du conseil d'administration et, in fine, sur la création de capacités dynamiques. La structure de l'actionnariat et les caractéristiques intrinsèques des propriétaires peuvent constituer aussi à la fois un frein et un accélérateur du processus de création de capacités dynamiques. Par exemple, dans une étude de cas, Tellier (2014) montre comment les actionnaires de Kodak ont retardé la mise en uvre de la stratégie en s'opposant au passage au numérique qui aurait généré une baisse de dividendes due à une baisse de la rentabilité de l'entreprise les premières années du lancement d'une innovation de rupture. Le rôle du conseil d'administration et des actionnaires n'a pas été suffisamment étudié dans la littérature sur les capacités dynamiques. Ce projet ambitionne donc d'étudier le rôle modérateur du conseil d'administration (et ou des actionnaires) dans le développement des capacités dynamiques favorables aux innovations de rupture. De manière plus précise, il s'agit de comprendre si et comment le conseil d'administration et l'actionnariat influencent les dirigeants à développer des capacités dynamiques dans un contexte d'innovation de rupture.